La Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, visite Bunia en République démocratique du Congo (janvier 2020).
Kigali: Près de 1.300 civils ont été tués dans plusieurs conflits distincts impliquant des groupes armés et les forces de sécurité en République démocratique du Congo au cours des huit derniers mois, a déclaré vendredi la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet. Elle a ajouté que certains des incidents impliquant des massacres et d’autres exactions et violations pourraient constituer des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre.
Le nombre de victimes a fortement augmenté ces dernières semaines alors que les conflits dans trois provinces de l’Est – Ituri, Nord-Kivu et Sud-Kivu – se sont propagés avec des répercussions désastreuses sur la population civile. Des groupes armés ont commis des atrocités et des massacres, et les forces de sécurité ont également été responsables de graves violations des droits de l’homme dans ces provinces ainsi que dans d’autres parties du pays.
« Je suis consternée par l’augmentation des attaques brutales contre des civils innocents par des groupes armés, et par la réaction des forces militaires et de la police qui ont également commis de graves violations, y compris des meurtres et des violences sexuelles. Ce ne sont pas seulement des actes répréhensibles, mais ils brisent aussi la confiance entre les populations et les autorités civiles et militaires », a déclaré Bachelet.
Dans la province d’Ituri, la violence s’est propagée dans de nouvelles zones alors que le nombre de groupes armés s’est multiplié. Le principal groupe armé reste la CODECO, composé principalement de combattants issus de la communauté Lendu, qui a éclaté après que son principal dirigeant, Ngudjolo Duduko Justin, ait été tué le 25 mars.
Comme documenté dans le rapport de l’ONU sur les droits de l’homme publié le 10 janvier 2020 et mis à jour le 27 mai, la CODECO et d’autres combattants Lendu poursuivent une stratégie de massacres de résidents locaux – principalement Hema, mais aussi Alur – depuis 2017, afin de contrôler les ressources naturelles dans la région. D’autres groupes, y compris les Ndo Okebo, Nyali et Mambisa, ont été affectés par la violence plus récemment.
« Jusqu’à présent, et à leur grand crédit, les communautés ciblées se sont abstenues de riposter », a déclaré Mme Bachelet, qui s’est rendue en Ituri en janvier et a rencontré des personnes mutilées et déplacées lors d’attaques brutales de la CODECO. “Cependant, en l’absence de protection par des forces de sécurité et de défense efficaces, il existe un risque sérieux que les communautés se sentent obligées de former des groupes d’autodéfense, ce qui exacerberait très probablement une situation déjà désastreuse.”
Les attaques et la nature de la violence commises par des groupes armés sont devenues de plus en plus atroces, se caractérisant notamment par des violences sexuelles, des décapitations et des mutilations de cadavres. Selon le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme en RDC (BCNUDH), entre le 1er octobre 2019 et le 31 mai 2020, au moins 531 civils ont été tués par des groupes armés en Ituri, dont 375 depuis mars, lorsque les violences se sont multipliées. Les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et la Police nationale congolaise (PNC) auraient également tué 17 civils au cours de la même période.
Au Nord-Kivu, le lancement d’opérations militaires par les forces de sécurité et de défense en novembre 2019 a donné lieu à des représailles contre les populations civiles de la part du principal groupe armé, les ADF, qui ont tué au 31 mai 2020 au moins 514 civils à l’aide de machettes, de haches et d’armes lourdes, ont enlevé des enfants et attaqué des écoles et hôpitaux- (Les combattants des ADF ont également été responsables de 77 morts civils dans l’Ituri voisin). Les forces de défense et de sécurité ont également été fortement impliquées, dans l’exécution extrajudiciaire par les FARDC de 59 civils et la PNC de 24 autres. Plus de 400.000 personnes ont été déplacées dans le Nord-Kivu.
Les opérations des FARDC ont également permis aux ADF d’étendre leur influence dans des territoires auparavant non affectés par le conflit armé. Comme en Ituri, il existe un risque sérieux que des groupes d’autodéfense Maï-Maï surgissent, les civils étant de nouveau pris au milieu.
« J’appelle les autorités congolaises à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour établir l’autorité de l’Etat dans ces deux zones de conflit, y compris par le déploiement ou l’élargissement de la présence des forces de sécurité, et pour s’assurer qu’elles protègent les civils plutôt que de s’en prendre à eux », a déclaré la Haute-Commissaire. “La protection des civils relève de la responsabilité de l’Etat et lorsque l’État laisse un vide, d’autres acteurs ont tendance à le remplir. En RDC, l’expérience passée montre que cela peut avoir des résultats catastrophiques. Le caractère généralisé et systématique de certaines des attaques contre des civils en Ituri et au Nord-Kivu peut constituer des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre», a-t-elle ajouté.
Au Sud-Kivu, au moins 74 personnes ont été tuées depuis octobre et au moins 36 femmes et enfants violés dans une recrudescence de la violence ethnique entre les communautés Banyamulenge et les Bafuliro, Babembe et Banyindu. Plus de 110.000 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, ont été déplacées par la violence, qui est alimentée par des discours haineux diffusés sur les médias, les réseaux sociaux et lors de déclarations publiques. Des militaires des FARDC ont également été responsables de violations des droits de l’homme, y compris le meurtre d’au moins 15 personnes et des violences sexuelles contre 13 femmes.
De graves violences et des meurtres ont également eu lieu au Kongo Central et à Kinshasa où, entre le 30 mars et le 24 avril, au moins 62 civils ont été tués et 74 blessés lors de sept opérations menées par la PNC et les FARDC contre des militants du groupe politico-religieux Bundu Dia Kongo (BDK).
Les membres de BDK ont organisé des manifestations en violation de la loi, barricadé des routes, tenu des discours de haine, menacé d’expulser les étrangers du Kongo Central, et auraient attaqué physiquement certains d’entre eux. Ils ont également réagi violemment contre les forces de sécurité, tuant un policier et blessant neuf autres. Cependant, la réponse des forces de sécurité et de défense a été clairement disproportionnée, avec l’usage systématique par des agents de police de balles réelles pour disperser des foules non armées. Le 22 avril, à Songololo, Kongo Central, des agents des forces de l’ordre ont attaqué une maison où 70 partisans de BDK s’étaient réunis, l’ont incendiée et ont tiré et utilisé des machettes contre ceux qui fuyaient l’incendie, tuant 19 personnes, dont un enfant. Deux jours plus tard, à Kinshasa, la police et les forces armées ont tué 31 autres partisans du BDK lors d’une opération visant à arrêter le chef du groupe, Ne Muanda Nsemi.
« Les normes internationales sur le recours à la force par les forces de sécurité*, établissent un équilibre clair entre la menace et la réponse », a déclaré la Haute-Commissaire. « Même pendant l’état d’urgence, le recours à la force doit toujours être exceptionnel et fondé sur les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité. » Les forces de sécurité ne doivent recourir à la force que lorsque cela est strictement nécessaire, et la force létale ne peut être utilisée que lorsqu’il y a un risque imminent pour la vie.
Elle a souligné que les enquêtes qui ont été établies doivent être crédibles, transparentes et indépendantes, rappelant que les victimes et leurs familles ont droit à la justice, à la vérité et à des réparations et elle a exhorté les autorités à « prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher la répétition de telles violations graves. »