12 mai 1994: massacres de Tutsi à l’église de l’ADEPR Nyabisindu, district de Muhanga

By Dr Bizimana Jean Damascène*

Depuis le 23 avril 1994, les massacres se sont intensifiés dans la Commune Nyamabuye, dans l’ancienne préfecture de Gitarama et les Tutsi ont commencé à se réfugier à l’église ADEPR Nyabisindu située dans le Secteur de Nyamabuye, District de Muhanga.

Des Tutsi se sont réfugiés dans cette église, mais y campaient déjà des déplacés de la guerre, dits « de Kivuye et Nyacyonga », qui s’y étaient réfugiés, venant de certaines communes de la Préfecture de Byumba où se déroulaient des combats, dont celle de Kivuye, d’où l’appellation relative au lieu d’origine de ces réfugiés.

A Nyabisindu, les réfugiés étaient tellement nombreux qu’ils occupaient tous les locaux de l’école primaire de l’ADEPR. Les dirigeants de l’ADEPR ont séparé les réfugiés en se basant sur les ethnies auxquelles ils appartenaient, le Pasteur SAGAHUTU et une dame étaient assis devant l’église, l’un étant chargé de recenser les Hutu tandis que l’autre recensait les Tutsi.

Les réfugiés Hutu venus de Kivuye et Nyacyonga, mais aussi d’autres qui étaient venus de Cyangugu (qui s’y étaient réfugiés parce que la plupart des dirigeants de l’ADEPR étaient originaires de Cyangugu), ont été installés à part dans un endroit viable et regardaient néanmoins les réfugiés Tutsi d’un regard hostile.

Certains parmi les réfugiés Tutsi étaient venus de diverses localités de Gitarama, et d’autres de Kibilira ; les réfugiés Hutu ont participé à faire venir des groupes de tueurs qui ont tué petit à petit les Tutsi avant la date fatidique à laquelle ils les ont tous exterminés. Il y a eu des viols de femmes et de filles, et parfois les génocidaires appelaient des enfants Tutsi et les forçaient à assister aux viols, et, pour certains d’entre eux, à pratiquer eux-mêmes des relations sexuelles contraintes.

Avant la date de l’extermination des réfugiés Tutsi, le Sous-préfet  MISAGO RUTEGESHA Antoine et le Préfet de la Préfecture Gitarama, le Major UKURIKIYEYEZU, accompagnés du Pasteur qui dirigeait l’ADEPR, NYANDWI Enoki, sont venus et ont déclaré que les réfugiés Tutsi devaient être acheminés dans la localité appelée Misizi, loin de la route et du centre urbain, avec l’intention non avouée de les massacrer à cet endroit.

Ils ont acheminé ces réfugiés qui étaient escortés par des tueurs armés d’armes traditionnelles, surtout des haches, un véhicule ouvrant la marche et un autre fermant celle-ci en fin du cortège qui empruntait la route goudronnée qui menait à la ville de Gitarama ; sur toute la longueur du chemin, les tueurs prenaient des Tutsi qu’ils tuaient et dont ils jetaient les corps dans les conduits de canalisation de l’eau de pluie en bord de la route.

Arrivés dans la ville de Gitarama, à la place du marché, les réfugiés se sont rebellés et ont refusé de se  rendre à Misizi ; ils se sont plutôt battus pour forcer le passage et se rendre à Kabgayi. Une partie d’entre eux ont été tués sur place, d’autres ont pu arriver à Kabgayi où ils ont été les premiers réfugiés à être installés dans le quartier appelé « CND » ; parce qu’ils vivaient dans de très mauvaises conditions dans ce quartier et qu’ils subissaient des attaques menées par des tueurs venus les tuer, certains de ces réfugiés ont pris la décision de retourner dans le plus grand secret à l’ADEPR Nyabisindu.

Alors qu’une partie des réfugiés Tutsi étaient amenés à Misizi, certains d’entre eux étaient parvenus à rester à l’ADEPR Nyabisindu quand d’autres y sont revenus. C’est alors que le 12 mai 1994, des Interahamwe arborant sur leurs corps de la chaux et des peintures, affublés de feuilles de bananier sèches, armés de couteaux, haches, machettes et gourdins cloutés, se sont rués sur les Tutsi et les ont massacrés. Le même jour, vers 14h de l’après-midi, des prisonniers de droit commun sont venus jeter les corps des Tutsi dans des fosses, certains étaient encore en vie et les suppliaient de les épargner, d’autres priaient, gémissaient de douleur.

Les femmes et les filles Tutsi ont été mises a mort en dernier lieu, les tueurs les ayant réservées pour pouvoir préalablement les violer ; elles furent atrocement torturées à l’aide de bouteilles, piques et autres objets similaires que les génocidaires enfonçaient dans leurs intimités. 

Dans le mémorial du Génocide perpétré contre les Tutsi de l’ADEPR Nyabisindu, ont été inhumés 121 corps de victimes qui ont pu être récupérés.

Parmi ceux qui sont réputés pour avoir porté une lourde responsabilité dans les massacres à l’ADEPR Nyabisindu, il y avait notamment:

  le Préfet, le Major Jean Damascène UKURIKIYEYEZU;

  le Sous-préfet MISAGO-RUTEGESHA Antoine;

  Pasteru NSANZURWIMO Joseph, Représentant légal de l’ADEPR au niveau national;

  Pasteur NYANDWI Enock;

  Pasteur GATERE Simon Pierre;

  UPFUYISONI Marie Goretti qui était députée (réside en Belgique);

  Pasteur SAGAHUTU Jean qui dirigeait la Paroisse Nyabisindu (réside en Zambie);

  Pasteur MUNYEBOYI Amon (lui aussi réside en Zambie);

   Pasteur KAGURANO Gerald;

   Pasteur GAKWERERE Cyprien (réside en Uganda);

   Pasteur UTAZIRUBANDA Léon (réside en Tanzanie);

   Pasteur NKUBITO Noël;

   NZIGIRA qui était un agent de la Préfecture Gitarama;

   André alias Ruhurwinda;

   Le Conseiller NIYIREMA Theodomir;

   RWAJEKARE, Tito et d’autres.

CONCLUSION.

Le Génocide perpétré contre les Tutsi a été mis en oeuvre par des rwandais de toutes catégories, dont des religieux. Certains de ceux-ci ont été poursuivis en justice et condamnés, tandis que les procès d’autres sont encore en cours comme celui du Pasteur Jean UWINKINDI (ADEPR) qui a été transféré au Rwanda par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) pour y être jugé.

En 2016, la Direction de l’ADEPR a demandé pardon pour la part de responsabilité qu’ont eue certains de leurs membres dans la mise en oeuvre du Génocide perpétré contre les Tutsi; parmi ceux-ci, il y a notamment un de leurs anciens porte-parole, le Pasteur Joseph NSANZURWIMO qui réside en Belgique et qui continue à nier et à minimiser le Génocide perpétré contre les Tutsi. (Fin).

* Dr Bizimana Jean Damascène, Secrétaire Exécutif Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG)