Enfermés dans un dilemme de devoir envisager l’avenir en ayant les yeux tournés vers le passé, de penser à demain en se souvenant d’hier, les Rwandais se disent et disent qu’il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer. Quitte à bousculer tout, à jeter des pavés dans la marre : la dernière bisbille avec les programmes de la BBC en Kinyarwanda en est le parfait fait symptomatique. C’est ainsi qu’ils ont changé l’architecture politico administrative et, pour combattre l’idéologie du génocide, ils ébauchent l’ombre du début d’une esquisse d’idéologie sur la base d’un choix linguistique définitif et total : que, hic et nunc, le français, le kiswahili et le kinyarwanda même cèdent la place à l’anglais dans toutes les sphères de la vie.
Le choix est politique, idéologique et tout le monde doit s’y soumettre ou se démettre de tout poste occupé ou à occuper s’il ne parle pas la langue de Shakespeare. La réalité d’un pays parlant le Kinyarwanda plus qu’aucune autre langue –ce qui est un élément de fierté incommensurable- se dilue et se dissout dans les eaux glacées d’une logique politique procédant sans évaluation préalable, sans tirer les implications nécessaires, les répercussions inéluctables sur des milliers d’hommes et de femmes dont le fonds de commerce social, politique, économique et culturel reposait sur la maîtrise des tours d’esprit de la langue de Molière.
Ces thèses sont, pour moi, l’occasion de rappeler que, jamais, aucun peuple ne s’est développé dans la langue du colonisateur, du dominateur. Cinquante après les « indépendances du drapeau » (Uhuru wa bendera), il parait être urgent de penser à la décolonisation mentale en allant puiser aux sources des cultures, des langues et des identités africaines. Les automatismes verbaux et mentaux hérités du psittacisme et de la singerie des cultures euro-chrétiennes ou arabo-islamiques doivent laisser la place à un volontarisme culturel et idéologique « afrocentré », « afrocentriste »
Et si nous dépassions les configurations actuelles des Etats-Nations pour bâtir de nouveaux « Ensembles » sur la base des exigences, des impératifs de la Géographie ? Peut-être que le Swahili et le Lingala, plus que l’anglais et le français ou, alors, le Kivu, la Ruzizi et le Tanganyika sont ces occasions rêvées de penser à une nouvelle Communauté qui, dépassant et surclassant la Communauté de l’Afrique de l’Est, la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale, permettrait aux hommes et leurs biens de circuler de l’Océan Indien à l’Océan Atlantique, à cheval sur l’Equateur, dans toute l’aire d’expansion de la Civilisation bantu délimitée par l’expression du Kiswahili et du Lingala : la Communauté des Pays Swahiliphones {Jumuiya ya Nchi za Kiswahili)
1ère thèse : « L’anglais est la plus importante langue du monde »
• L’Anglais est une des langues du monde. Chaque langue, toute langue, est un moyen de communication pour ceux qui la parlent et/ou la comprennent.
• Si on prend comme critère le nombre des locuteurs d’une langue, il n’est pas impossible que le chinois et le hindi dépassent l’anglais. Après tout, l’anglais n’est pas la première « langue nationale » en Europe. L’Allemagne et la Russie, en tant que nations, sont, chacune, plus peuplées que la Grande Bretagne et ont, certainement, des langues nationales ayant plus de locuteurs.
• En plus, la superficie respective de chacun de ces pays confère à chacune des deux langues (le russe et l’allemand) une aire d’expression et d’expansion sans commune mesure avec l’aire de diffusion de l’Anglais, dont l’insularité britannique et les particularités linguistiques de l’Ecosse, des Pays de Galles et de l’Irlande limitent l’expression et la diffusion.
• L’Anglais n’est pas, non plus, la première langue en Amérique. Outre qu’il soit talonné et sérieusement menacé par l’Espagnol aux Etats-Unis, l’anglais est partiellement parlé au Canada et très minoritairement parlé en Amérique latine où l’Espagnol, le Portugais (Brésil, Surinam) et le Français (Guyane, Martinique, Guadeloupe) s’imposent.
• Le seul continent où l’Anglais s’impose c’est l’Océanie, du fait que cette langue est parlée en Australie et en Nouvelle-Zélande.
2ème thèse : « L’anglais est la première langue et la plus importante du Continent africain »
• L’Anglais n’est pas la première langue du continent africain parce que les plus importantes langues sont le Kiswahili, l’Haoussa, l’Amharique, Bambara, Wolof…. c-à-d des langues africaines. L’Anglais est la langue d’une partie de l’élite intellectuelle qui, sur un ensemble de pays où l’analphabétisme tourne autour de 80%, ne représente pas grand-chose.
• De plus, dans les 20% de non alphabètes, tous ne parlent pas que l’anglais. Il y a des pays où, outre les autres langues coloniales (français, portugais, espagnol, arabe) on parle les langues ethno-tribales à large diffusion comme le kikuyu, kihaya, luganda, kisukuma, kinyarwanda, kirundi, mashi, kilega, kikongo, lingala, kizulu, kishona, bambara, wolof, etc.…
• Ainsi, c’est par erreur et par ignorance de la réalité linguistique en Afrique qu’une infirme minorité d’anglophones du Rwanda impose une thèse erronée à une majorité composée de rwandophones, de swahiliphones et de francophones.
3ème thèse : «L’anglais est la première langue et la plus importante de la Communauté de l’Afrique de l’Est »
• De même, l’Anglais n’est pas la première langue de la Communauté de l’Afrique de l’Est. Au regard du nombre de locuteurs et de son aire d’expansion, la première langue de l’Afrique de l’Est est le KISWAHILI. Le kiswahili est, non seulement la première langue de la Tanzanie, du Kenya et du Congo mais aussi de l’Afrique.
• Par ailleurs, en Afrique de l’Est, on trouve des langues ethno-tribales plus parlées que l’anglais. Chacune d’elles aligne un nombre de locuteurs plus important que tous les anglophones de toute l’Afrique de l’Est réunis. Il s’agit du KIKUYU, KIJALUO, KISUKUMA, KINYARWANDA, KIRUNDI
4ème thèse : « Les langues bantu, dans la Communauté de l’Afrique de l’Est ou dans la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs, ne jouent qu’un rôle auxiliaire et/ou ancillaire »
• Les langues bantu et toutes les autres langues ethno-tribales dans la Communauté de l’Afrique de l’Est ou dans la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs ne jouent pas un rôle auxiliaire ou ancillaire pour les langues coloniales (anglais, français, portugais, espagnol, arabe). Ces langues sont celles de la majorité, ce sont les langues du peuple.
• La Démocratie est une idée chimérique, un doux rêve, quand elle ne s’exprime pas à travers la langue de la majorité, la langue du peuple. S’adresser au peuple, à la Nation, en langues coloniales et se targuer d’être en Démocratie est une ESCROQUERIE politique, économique et intellectuelle doublée d’un hold-up permanent sur les identités. L’Anglais et le français sont des outils qu’utilise l’intelligentsia pour maintenir le système d’ALIÉNATION MENTALE, de CORRUPTION, DETOURNEMENTS, EXPLOITATION, PREVARICATION et PRATIQUES véreuses ou concussionnaires.
5ème thèse : « Le français est la langue dans laquelle les Interahamwe ont conçu, conduit et conclu le Génocide contre les Tutsi en 1994 et, de ce fait, instrument du génocide »
• Au Rwanda, le français est la langue d’une petite minorité de personnes qui ont eu la chance de faire des études universitaires. Le français est une langue utilisée, seulement, au bureau, parce que, au quotidien, les gens s’expriment en Kinyarwanda.
• Dire que le génocide a été conçu, conduit, conclu en français et vouloir faire du français l’outil, l’arme du génocide est un point de vue erroné.
• Le génocide est aussi une conséquence, une issue d’un long processus de combats politiques, idéologiques et philosophiques dont le Rwanda a été le théâtre durant une longue période. La thèse de l’existence d’un plan préalable tendant à l’élimination systématique des tutsi est une thèse parmi tant d’autres.
• Cependant, il est bon de rappeler que le fait d’abattre l’avion qui transportait deux Présidents hutu, Habyarimana et Ntaryamira fait penser à l’existence préalable d’un plan conçu, conduit et conclu par les hommes faisant face ou pièce aux manœuvres politiques de la classe dirigeante d’alors. Il est possible que ceux qui avaient conçu le plan n’aient pas calculé les conséquences, les suites et les tournures que prendraient les événements. Quoi qu’il soit, comme instrument de communication, toutes les langues du Rwanda, si on suit ce genre d’arguments, ont été des outils du génocide. Au fait, le français, l’anglais et le kiswahili n’ont pas le même poids linguistique que le Kinyarwanda.
6ème thèse : « Les pays anglophones voisins du Rwanda ont un poids économique et démographique plus important que celui de tous les autres pays voisins réunis »
• Le seul pays anglophone, voisin du Rwanda est l’Uganda. Son poids économique et démographique n’est pas plus important que celui du CONGO (R D C) et du Burundi réunis.
• Quand le Rwanda parle de « pays anglophones voisins », il intègre aussi le KENYA. Mais ce dernier n’est pas voisin au sens de « pays limitrophe » du Rwanda
• De toute façon, quand on fait le compte – en supposant qu’on prenne la Tanzanie comme un pays anglophone – et qu’on fasse la somme de la population de la Tanzanie et celle de l’Uganda, la RDC et le Burundi sont encore plus peuplés que ces deux pays réunis. Quant au poids économique…..c’est une question de point de vue et d’instrument de mesure.
7ème thèse : « Les pays anglophones voisins du Rwanda ont un poids économique et démographique plus important que tous ses voisins swahiliphones »
Etant donné que l’Uganda est le seul pays anglophone voisin du Rwanda, on ne peut pas dire que sa population soit plus importante que celle de la RDC, du Burundi et de la Tanzanie réunies
8ème thèse : « Les pays anglophones, voisins du Rwanda, n’ont aucun besoin de langues bantu et les utilisent peu ou prou »
• Les pays voisins (limitrophes) du Rwanda utilisent beaucoup les langues bantu. Au Burundi (kirundi, kiswahili), Congo (lingala, kikongo, kiswahli, tshiluba, mashi, kivira kifuliru, kilega, kinyanga, etc…), Uganda (kiganda, kinyankore, etc…), en Tanzanie (Kisukuma, kihaya, kimakonde, kinyakyusa, kizaramo)
• Ces pays utilisent effectivement ces langues bantu et s’efforcent de les défendre et de les illustrer.
9ème thèse : »Le Rwanda peut, du jour au lendemain, se passer du français et passer du français à l’anglais, sans inconvénient et sans anicroche »
• Le Rwanda se fera mal et fera mal à ses voisins (Congo, Burundi) s’il décide, sur des bases politiques et idéologiques, de passer du français à l’anglais, du jour au lendemain, et se passer du français.
• Les générations entières habituées à s’exprimer en kiswahili et en français auront de problèmes, n’ayant plus le choix qu’entre se soumettre on se démettre.
• Toutes ces générations paraîtront comme des analphabètes, sans savoir, expérience ou pratique professionnelles antérieures.
• La langue est un outil d’accès rapide à la connaissance, au savoir : c’est un outil de communication. Pour cela, le français, l’anglais, le portugais, l’espagnol et l’arabe c’est bonnet blanc, blanc bonnet : ce sont des langues coloniales. Choisir entre le français et l’anglais c’est comme opérer un choix entre la rougeole et la roubeole, c’est aller de Charybde en Scylla, c’est déshabiller Pierre pour habiller Paul.
10ème thèse : »Etant donné que le Rwanda est désormais membre de la Communauté de l’Afrique de l’Est, il faut que tout rwandais utilise l’anglais dans sa vie quotidienne »
• Comme membre de la Communauté de l’Afrique de l’Est, le Rwanda devrait utiliser sa langue – le kinyarwanda – d’abord, ensuite le kiswahili et enfin, toutes les autres langues selon les choix et les besoins de chacun au regard de ses propres intérêts.
• Le choix de l’anglais est la marque d’un choix idéologique et politique et signifie que l’on accorde plus d’importance à la petite minorité d’intellectuels ou de « petits bourgeois » ayant vécu et étudié à l’étranger, demandant à la majorité de la population parlant Kinyarwanda, Kiswahili et Français de suivre ses habitudes linguistiques et ses pratiques langagières.
• Ce ne sera pas possible d’utiliser l’anglais dans la quotidienneté de la vie parce que même dans les pays ayant connu la domination anglaise (Uganda, Kenya, Tanzanie), l’anglais est la langue de communication des intellectuels, des commerçants et des étrangers.
• Si le Rwanda a mis environ un siècle (depuis qu’il est territoire sous mandat belge, à la fin de la 1ère guerre mondiale)) pour en arriver à cette situation actuelle où, moins de 10% de sa population parle français, il mettra -toutes choses restant égales par ailleurs- encore un siècle pour apprendre l’anglais pour que la même proportion de la population puisse parler anglais
• Quoi qu’il en soit, le Rwanda est tenu en étau, linguistiquement, culturellement, économiquement, entre les 2 grands pays Swahiliphones que sont le Congo et la Tanzanie.
• En plus, ces 2 pays sont limitrophes de tous les autres pays à la frontière du Rwanda (Burundi, Uganda) mais aussi limitrophes entre eux-mêmes. Pour cela, au quotidien, les langues importantes du Rwanda sont, respectivement, le Kinyarwanda et le K kiswahili.
11ème thèse : « Les deux plus grands voisins du Rwanda ne peuvent pas se passer du Rwanda, de l’Uganda et du Kenya et ne peuvent pas envisager de créer une autre « Communauté »
• Voisins du Rwanda dans ses parties occidentale et orientale, le Congo et la Tanzanie partagent une longue frontière commune matérialisée par le lac Tanganyika. Ce sont deux grands pays peuplés où se parle le KISWAHILI. En somme, l’Afrique Orientale et des grands lacs, c’est le CONGO + la TANZANIE.
• L’histoire du Congo et de la Tanzanie est ancienne. Les liens économiques existent depuis longtemps : Zanzibar-Bagamoyo-Tabora-Ujiji-Maniema (et vice-versa) est une itinéraire qui a fondé et forgé des liens multiples et variés entre les deux pays.
• Le pays le plus grand et le plus peuplé, à la frontière de la Tanzanie c’est le Congo. Le pays le plus grand et le plus peuplé à la frontière du Congo c’est la Tanzanie.
• Les tracés des deux lignes de chemin de fer de la Tanzanie vont, principalement, au Sud – Ouest. La carte routière indique que les nouvelles routes s’acheminent vers le Sud (Mozambique, Malawi, Zambie) mais aussi vers l’Ouest (Congo, Rwanda, Burundi). Ainsi, pour ces relations, la Tanzanie a beaucoup plus d’intérêts avec le Sud et l’Ouest du pays qu’avec le Nord et l’Est.
• Par ailleurs, la partie orientale du Congo est en même temps la plus peuplée, la plus riche et celle qui parle le KISWAHILI.
• Ces provinces plus peuplées, plus riches, swahiliphones sont frontalières avec la TANZANIE et tous les Pays de l’Afrique Orientale et des Grands Lacs.
• Economiquement, linguistiquement, socialement et, donc, politiquement, les deux pays de l’Afrique Orientale et des grands lacs ayant le plus d’intérêts et de liens communs sont le Congo et la Tanzanie.
• C’est pour cela que la Communauté du Congo et de la Tanzanie est la seule qui, dans le cadre actuel, puisse permettre aux hommes et aux biens de circuler de l’ Océan Indien à l’Océan Atlantique, à cheval sur l’Equateur, en utilisant le KISWAHILI et le LINGALA. Pour cela, la base linguistique et culturelle sur laquelle construire la communauté du Congo et du Tanganyika est le SWAHILI NGALA.
12ème thèse : »Le voisin « occidental » du Rwanda est francophone, héberge les génocidaires et, donc, ennemi juré du Rwanda »
• Les plus grand voisin du Rwanda c’est le Congo. Ce n’est donc pas surprenant que le Congo accueille, de façon cyclique, des Réfugiés politiques ou économiques en provenance du Rwanda chaque fois que l’insolite, l’inhabituel frappe ce pays.
• Sous protectorat belge et, après l’indépendance, sous les Présidences de KAYIBANDA et/ou de HABYARIMANA, plusieurs vagues déversant des flots de Rwandais se sont brisées sur le CONGO pour des raisons, des intérêts économiques ou politiques.
• Ceux qui, ayant fui le Rwanda et s’étaient établis au Congo, en Uganda, en Tanzanie et au Burundi, avaient décidé de rentrer au pays de leurs pères et y ont pris le pouvoir. De ce fait, de nouveaux flots de Rwandais se sont déversés sur la partie orientale du Congo, obligeant le Congo d’accueillir en un coup, plus de Rwandais qu’il n’en avait jamais accueilli dans son histoire.
• Cette nouvelle vague de Rwandais entrée au Congo à partir de 1994 veut et prépare le retour au Rwanda pour renverser le pouvoir en place, actuellement à Kigali. Et le même cycle infernal pourrait recommencer avec son lot de malheurs, de larmes, de sueurs et de pleurs.
• Le Congo n’est pas un pays francophone mais plutôt bantuphone ([1]). Par ailleurs, le Congo ne protège pas les INTERAHAMWE. La présence des Rwandais au Congo est une suite logique des problèmes économiques qui taraudent le Rwanda. C’est une conséquence, c’est un effet. N’allons pas confondre l’effet et la cause ([2]).
• Le Congo n’est pas l’ennemi du Rwanda.
On peut se permettre de dire, assez souvent, que l’ennemi du Rwanda c’est le Rwanda : ses problèmes politiques, économiques, intellectuels, idéologiques ; ses choix erronés ou ses chancelantes positions, le génocide … sont des affaires ou des actes des Rwandais contre les Rwandais.
Buhendwa Eluga Essy:
• Docteur en Sciences Politiques
• Docteur en Sociologie du Développement
• Enseignant-Chercheur au Centre de Recherches et d’Etudes sur l’Afrique Orientale et des Grands Lacs
• Professeur aux Universités de Goma (ULPGL, UNIGOM), Bukavu (UCB), Gisenyi (ULK), Ruhengeri (INES), Kigali (ULK)