Agence Rwandaise d’Information (ARI) – Qui est Docteur Yves Mugabo?
Dr Yves Mugabo(Y.M) – Je suis père de deux enfants. J’ai 40 ans. J’ai fait mes études secondaires au Rwanda. Après j’ai commencé mon université en France. J’ai continué mes études au Canada où j’ai fait mon doctorat.
ARI – En médecine?
Y.M – J’ai fait un doctorat, un PhD en Nutrition Moléculaire. Actuellement, je suis chercheur au Centre de recherche sur le diabète de Montréal.
ARI – CHU de Montréal?
Y.M – Oui. On peut dire ça. Là je fais des recherches sur le diabète et l’obésité. Comme vous le savez, j’ai découvert récemment une enzyme. Une enzyme que j’appelle Glosserole 3 phosphate phosphatase. Cette enzyme, qu’est-ce qu’elle fait ? Elle prévient ou elle bloque les complications du sucre. Par exemple les cellules beta qui sont très souvent exposées à un niveau très élevé de sucre, ce sucre peut causer des problèmes à ces cellules beta.
ARI – Cellules beta, c’est quoi ?
Y.M – Les cellules beta sont des cellules qui produisent de l’insuline au niveau du pancréas… Et cette enzyme va prévenir ces effets toxiques du sucre. D’accord. Parce que quand on est diabétique ou quand on est résistant à l’insuline, ça veut dire qu’on n’arrive pas à capter d’une manière normale le glucose qui se trouve dans le sang.
Donc, quand on est diabétique, ou obèse, surtout quand on est résistant à l’insuline, il y a trop de sucre qui tourne autour de la cellule pancréatique beta, cellule qui secrète de l’insuline. A ce moment là, vu que la cellule beta pancréatique qui secrète l’insuline, elle capte toujours du glucose, donc elle est toujours sensible au glucose. Donc, quand il y a trop de glucose, du sucre dans la circulation, elle peut mourir très facilement. Et quand ces cellules beta meurent, c’est dire qu’on est déclaré diabétique de type 2. Donc mon enzyme qu’est ce qu’elle va faire ? Elle va avoir un rôle de protecteur. Elle va protéger les cellules pancréatiques beta qui secrètent de l’insuline. Elle va les protéger et prévenir la survenue du diabète de type 2.
Autre chose : c’est que quand on mange des choses qui sont trop grasses, cette enzyme va prévenir le stockage du gras, la formation et le stockage du gras ; ça c’est une chose. Donc, Côté étude, où est-ce que nous en sommes en ces moments.
ARI – Vous parlez de diabète de type 2, est-ce que c’est celui qui est propre aux enfants ou c’est celui qui est même courant chez les adultes.
Y.M – Non non. C’est plus le diabète qui se trouve chez les adultes. Parce que le diabète de type 1, c’est un diabète où tu n’as vraiment pas presque plus de cellules beta qui secrètent de l’insuline. Et on trouve ça souvent chez les enfants. D’accord. Sinon le diabète de type 2, il arrive souvent à l’âge de 40 ans. C’est surtout chez les adultes. Il est souvent associé à l’obésité.
ARI – Et maintenant, où est-ce que vous en êtes exactement avec votre recherche, l’enzyme. Hier vous m’avez dit qu’il fallait réactiver cette enzyme avec une molécule…
Y.M – On a remarqué que cette enzyme joue un rôle protecteur quand il est activé. Donc, il faut trouver comment l’activer. C’est une enzyme qui se trouve dans notre organisme. Il faut bien le comprendre. Ce qu’il faut faire, c’est qu’il faut trouver les moyens de l’activer. Et là on est en train de collaborer avec des compagnies pharmaceutiques pour trouver de petites molécules capables d’activer cette enzyme. Je pense qu’on est en train de les trouver ensemble. Pour le moment, ça se passe très bien. A partir de ces petites molécules, la compagnie pharmaceutique va faire un médicament test. On appelle ça un médicament test. Et avec ce médicament test, on va faire des tests sur les animaux.
ARI – Les rats par exemple ?
Y.M – Les rats ou les souris des laboratoires. Et après des tests convaincants sur les animaux, on va aller faire des études cliniques chez les humains. Et il faut comprendre que ce type d’étude peut prendre jusqu’à 10, 15, 20 ans. C’est vraiment un processus très très long. Donc, il faut être patient. C’est pour cela que la recherche fondamentale est très importante. Nous, ce qu’on fait, c’est ce que je fais depuis longtemps, depuis toujours, c’est de trouver des cibles thérapeutiques comme cette enzyme. Les cibles thérapeutiques, ça veut dire que c’est une cible qu’on va cibler avec des molécules, pour pouvoir faire un médicament par exemple contre le diabète de type 2. Voilà donc, ce processus est long, il faut être patient, c’est ce que je peux dire aux Rwandais. C’est qu’il faut être patient. J’ai confiance et puis après on verra.
ARI – Dix ans, c’est presque long. Est-ce qu’il n’y a pas moyen d’accélérer l’expérimentation. Si vous pouviez disposer de plus de moyens, si les gens pouvaient vous soutenir, les pays, parce que tous souffrent du diabète, s’ils pouvaient se coaliser et vous donner un appui pour que la recherche soit accélérée, est-ce que vous ne pouvez pas trouver ce médicament un peu plus tôt ?
Y.M – C’est vrai que tout cela demande les moyens ; ça demande beaucoup d’argent, c’est vrai que de l’aide financière, ça peut toujours aider. Mais comme je vous l’ai dit, là on est en collaboration avec une compagnie pharmaceutique. Après, c’est toujours quelque chose à considérer. On ne dit jamais non à une aide financière. Mais c’est vrai qu’avec beaucoup de fonds, ça peut aller très vite.
ARI – La balle est dans le camp des pays, des communautés, des organisations internationales, il faut des fonds pour la recherche autrement dit.
Y.M – Tout à fait. Et ça c’est un très bon point. Il faut vraiment valoriser la recherche. Moi j’y tiens beaucoup, surtout la recherche fondamentale.
ARI – Si vous essayez d’évaluer, il vous faut à peu près combien pour que dans trois ans vous puissiez avoir accéléré la recherche pour arriver à quelque chose. Vous avez besoin de combien qui peut être mobilisé ?
Y.M – [… rire…] ça c’est une question un peu difficile à répondre [… rire…]. Je ne peux pas vous répondre d’une manière claire et précise là-dessus. Ça c’est quelque chose sur lequel je ne peux pas trop m’aventurer. Parce que je peux te dire dix millions $, 20 millions $, …
ARI – 20 millions de dollars$…
Y.M – Cela peut se chiffrer en millions de dollars. Ça peut arriver très facilement à 50 millions.
ARI – Cinquante millions des dollars $ pour sauver les gens…J’estime qu’il y a certaines personnes, certaines institutions, si elles accédaient à votre information, qui peuvent se coaliser, consentir pour donner cet appui…
Y.M – Tout à fait, ça peut toujours aider. Comme je l’ai dit tout à l’heure, les moyens financiers, c’est toujours le meilleur moyen pour arriver à nos objectifs.
ARI – Est-ce que les médias ne peuvent pas se coaliser pour mobiliser l’opinion afin que l’appui soit trouvé. Qu’est ce que vous en pensez. Ce serait une bonne chose ?
Y.M – Comme vous le savez, les médias, vous êtes les porte-paroles de la communauté. Je compte sur vous pour nous aider dans ce sens-là.
ARI – Si on revenait au NEF2018 (Next Einstein Forum) qui vient d’être organisé. Qu’est ce que vous pensez aux contacts que vous avez eus, est-ce-que vous pensez que ça vous a été utile à votre recherche.
Y.M – Je pense, je suis positif. Je suis positif parce que l’objectif du NEF déjà c’est quelque chose de très positif. Ils veulent aider les chercheurs africains qui œuvrent, non pas seulement en Afrique, mais aussi à l’étranger. Surtout ils veulent et ils nous demandent effectivement d’aider l’Afrique, d’aider la jeunesse africaine, de sensibiliser la jeunesse africaine. Surtout, ils sont presque prêts à ce que nous, nous venions en Afrique et essayer d’initier des projets, peut-être initier les jeunes Africains à la recherche, en ce qui concerne la recherches fondamentale.
Je pense que ici, ici donc dans ce NEF, j’ai eu quand même pas mal de contacts. C’est qui est intéressant, c’est que le NEF comme un cercle. Après ces deux ou trois jours ici à Kigali, on est devenu comme une famille. Ce qui est intéressant. J’ai eu comme impression qu’on a tous le même objectif, on a quasiment tous le même objectif, on veut tous aider l’Afrique, on veut que l’Afrique avance, on ne veut plus que l’Afrique reste consommatrice, mais plutôt productrice. Ça peut nous permettre d’être beaucoup plus indépendants.
ARI – Vous venez de passer dix ans au Canada, vous êtes déjà Canadien ?
Y.M – Je suis Canadien. Je suis aussi Rwandais.
ARI – La recherche vous retient, vous devez rester dans votre centre apparemment jusqu’à ce que vous arriviez à quelque chose. Si le médicament est trouvé, qu’est ce que vous comptez faire par exemple ?
Y.M – Je ne suis pas obligé de rester au Canada parce qu’après, quand l’étape de la recherche fondamentale est terminée, c’est la recherche clinique. Moi je ne contribue plus à ce moment-là. C’est la partie plus pharmaceutique qui s’occupe de ça.
Sinon, moi ce n’est pas fermé. Je ne suis pas obligé de rester au Canada, je peux venir travailler au Rwanda, en Afrique. C’est pour cela que je tiens beaucoup à ce que la recherche fondamentale avance en Afrique. Parce que si jamais il y a l’infrastructure, les moyens qui peuvent me permettre de travailler comme il faut ici pour pouvoir mener mes recherches au Rwanda ou ailleurs en Afrique, c’est une possibilité de venir en Afrique pour aider les jeunes chercheurs.
ARI – Comment l’opinion ici a accueilli la recherche que vous avez initiée. Les Rwandais notamment ?
Y.M – C’est vrai que les Rwandais sont fiers d’avoir un digne fils qui arrive à réaliser une telle découverte. Moi-même aussi je suis fier de cette performance. Je suis vraiment très content parce qu’ils m’ont vraiment accueilli comme leur fils. J’ai vraiment très bien apprécié. C’est quelque chose de formidable.
ARI – Vous avez encore des parents au Rwanda ?
Y.M – Oui, oui mes parents sont toujours au Rwanda.
ARI – Tous vivants.
Y.M – Oui.
ARI – Et les frères et sœurs.
Y.M – Mes frères et sœurs sont au Canada.
ARI- Merci pour votre entretien.