Faits marquants de la planification du génocide perpétré contre les Tutsi : 19-25 janvier 1991 à 1994 (série 3)

Kigali: La CNLG continue de mettre en lumière quelques-unes des actions menées dans le cadre de la planification du Génocide. Ce communiqué concerne les actions menées pendant les périodes allant du 19 au 25 janvier des années 1991 à 1994.

  1. La mise en place du comité chargé de l’organisation de l’Auto-défense civile

Le 20 janvier 1992, le Ministre de l’Intérieur, Munyazesa Faustin, a adressé une lettre aux Préfets de Ruhengeri et de Gisenyi leur demandant de contacter les commandants militaires dans leurs préfectures pour prendre connaissance des instructions concernant la poursuite de la distribution d’armes à la population et des modalités des entrainements militaires qui seront organisés pour les concernés. Il leur demandait de le faire de toute urgence et de l’informer sans délai et par Fax les dispositions qu’ils auront prises pour le recrutement des jeunes qui devront suivre ces entrainements ainsi que le déroulement de ceux-ci. Le Ministre Munyazesa a conclu en exhortant les Préfets de prendre les précautions les plus strictes pour éviter que ces armes ne soient volées ou escamotées autrement.

Pour organiser et coordonner ces actions, il fut créé au niveau du Ministère de la Défense une commission appelée AUTO-DEFENSE CIVILE chargée de faire le suivi de l’organisation de celle-ci dans tout le pays. Cette Commission était composée  du Lieutenant-colonel Rwabalinda Ephrem, du Major Rwarakabije Paul, du Major Nteziryayo Alphonse et du Major Kankwanzi Ruth qui était le Chef du Service Comptabilité des Forces Armées Rwandaises (FAR).

Le 22 janvier 1992, le Colonel Bernard Cussac, qui était chargé de la coopération militaire entre la France et le Rwanda à l’Ambassade de France à Kigali, a adressé une lettre au Ministère de la Défense française l’informant que des armes avaient été distribuées aux Interahamwe par les Forces Armées Rwandaises (FAR) et des autorités liées au MRND.

  1. Une enquête effectuée par un officier belge a révélé la planification du génocide par les Forces Armées Rwandaises (FAR)

Un officier du contingent belge de la MINUAR était chargé de faire le suivi quotidien de tout ce qui se passait au Rwanda et d’en faire rapport à son hiérarchie. Le rapport du Senat belge de 1997 sur la responsabilité de la Belgique vis-à-vis  du génocide perpétré contre les Tutsi a révélé que le Lieutenant NEES qui était chargé de cette mission, avait adressé à l’Etat-Major de l’Armée belge, un total de 29 rapports couvrant la période allant du 19 janvier au 11 mars 1994, avant qu’il ne soit remplacé par le Lieutenant De Cuyper.

Le Senat belge, après lecture  et analyse des rapports quotidiens qu’avait rédigés le Lieutenant NEES, affirme que celui-ci avait fourni des preuves, jour après jour, de la planification par l’Etat rwandais de l’extermination des Tutsi. Le Lieutenant NEES a expliqué  que les Forces Armées Rwandaises étaient contre les négociations de paix d’Arusha et qu’il avait personnellement pris connaissance d’une lettre qui avait été adressée aux officiers FAR et qui confirmait cet état d’esprit.

Ces informations ont ete confirmees par le Colonel Walter Balis, un des officiers du contingent belge de la MINUAR, lors de son audition en 1997 devant le Senat belge, et il reitera les memes propos lorsqu’il fut entendu en 2007 par la Commission Mucyo.

  1. Les experts internationaux découvrent et dénoncent la planification du génocide

Du 7 au 21 janvier 1993, un comité d’experts composé par Carbonare (France), le coordinateur, le Dr Philippe Dahinden (Suisse), le Prof. René Degni-Segui (Cote d’Ivoire), Me Eric Gillet (Belgique), le Dr Alison Des Forges (USA), le Dr Pol Dodinval (Belgique), Rein Odink (Hollande), Halidou Ouedraogo (Burkina Faso), André Paradis (Canada) et le  Prof. William Schabas (Canada), a mené une enquête au Rwanda sur les actes de violences qui y étaient commises.

Le coordinateur de ce comité, Jean Carbonare, à son arrivée en France, le 24 janvier 1993, fut invité par la télévision France 2 et déclara que pendant leur séjour de trois semaines au Rwanda, ils ont enquêté sur les actes de violences qui y étaient commis, et ont pu découvrir des fosses communes où étaient jetés les corps des Tutsi assassinés ; il affirma qu’il y avait des signes évidents de la planification d’un génocide pour exterminer les Tutsi, plan dans lequel le Président Habyarimana lui-même, ainsi que son épouse Agathe Kanziga étaient impliqués. Il fut le premier à démontrer que le génocide était déjà en cours au Rwanda:

« Ce qui nous a beaucoup frappé au Rwanda, c’est à la fois l’ampleur, la systématisation, l’organisation même, de ces massacres. […] Il y a un mécanisme qui se met en route […] On a parlé de purification ethnique, de génocide, de crimes contre l’humanité […] nous insistons beaucoup sur ces mots ». « Notre pays, qui soutient militairement et financièrement ce système, a une responsabilité. […] Notre pays peut, s’il le veut, peser sur cette situation ». « J’insiste beaucoup : nous sommes responsables ! Vous aussi, Monsieur Masure, vous pouvez faire quelque chose, vous devez faire quelque chose…, pour que cette situation change, parce qu’on peut la changer si on veut ! […] On peut faire quelque chose, il faut qu’on fasse quelque chose… ».

Jean Carbonare est décédé le 18 janvier 2009, à l’âge de 82 ans. Nous le garderons toujours en notre mémoire.

  1. La France soutient le Gouvernement rwandais dans la négation de la nationalité rwandaise des membres du FPR

Le 23 janvier 1991, le Président Habyarimana a sollicité auprès de la France l’envoi de troupes pour l’aider à combattre les Inkotanyi et bouter ceux-ci hors de Ruhengeri, sous le prétexte mensonger que ceux qui avaient attaqué cette ville seraient des militaires ugandais. Dans la réponse de l’Ambassadeur de la France au Rwanda, Georges Martres, adressée au Président Habyarimana, signifiant que sa requête avait été acceptée, il explique également que le problème du Rwanda est d’ordre ethnique, que ceux qui ont attaqué le Rwanda sont des Tutsi Hima originaires de la Région des grands lacs, tout comme Yoweri Museveni. L’assertion comme quoi les Inkotanyi ne seraient pas des Rwandais est un des socles sur lesquels se sont appuyés les extrémistes du régime Habyarimana pour justifier la poursuite de la guerre et la mise en œuvre du génocide.

Dans la nuit du 23 au 24 janvier 1991, les militaires français, dans ce qui a pris le nom                d’Opération NOROIT sont venus à la rescousse de l’Etat rwandais, et à Ruhengeri étaient commandés par le Colonel René Galinie. Dans la lettre du 24 janvier de l’Ambassadeur Martres, il affirme que l’opération a été menée de manière efficace, surtout pendant les deux heures avant la tombée de la nuit :

« Le respect des instructions n’a pas exclu une certaine audace dont les parachutistes français ont dû faire preuve dans les deux dernières heures précédant la tombée de la nuit. L’état de choc dans lequel se trouvait la population expatriée ne permettait pas d’envisager de lui faire subir l’épreuve d’une nouvelle nuit d’affrontements. »

  1. Le Président Mitterrand a adressé un sévère avertissement aux Tutsi

Comme révélé par deux écrivains français, Gabriel Peries na David Servenay, dans leur livre « Une guerre noire : enquête sur les origines du génocide rwandais (1959-1994) », le Président Mitterrand a tenu le 23 janvier 1991 une réunion avec ses proches conseillers, dont le Chef d’Etat-major général, l’Amiral Jacques Lanxade et le Secrétaire général de l’Elysée, Hubert Védrine, pour discuter sur le raid du FPR dans la ville de Ruhengeri, sur la sécurité des français qui y vivaient ainsi que sur la pseudo responsabilité de l‘Uganda dans la guerre au Rwanda. Le Président a déclaré que la guerre au Rwanda était un conflit entre francophones et anglophones, et que la France devait combattre pour défendre sa langue. Il a ajouté qu’ils doivent adresser un sévère avertissement au Président Museveni, et qu’ils ne tolèreront pas la prise du pouvoir par la minorité Tutsie.

Ce qui montre à suffisance que la guerre qu’a menée Mitterrand et ses troupes, était une guerre guidée par une idéologie du génocide basée sur les ethnies, ce qui a consolidé le régime Habyarimana dans son intention de commettre le génocide. Mitterrand s’est exprimé dans ces termes : « Nous sommes à la limite du front anglophone. Il ne faut pas que l’Ouganda se permette n’importe quoi. Il faut le dire au président MUSEVENI ; il n’est pas normal que la minorité tutsie veuille imposer sa loi à la majorité. »

Le 30 janvier 1991, Le Président Mitterrand, dans une lettre adressée au Président Habyarimana, lui a signifié que l’Armée française continuera à lui apporter son soutien comme elle l’avait toujours fait depuis octobre 1990 : « J’ai décidé (…) de maintenir provisoirement et pour une durée liée aux développements de la situation, la compagnie militaire française envoyée en octobre dernier à Kigali. »

Ce soutien militaire que l’Armée française a continué à apporter au Rwanda,  a donné au Président Habyarimana le sentiment qu’il était soutenu par une grande puissance, ce qui l’a incité à ne pas emprunter la voie de la paix.

  1. Des armes ont continué à être distribuées aux Interahamwe sous les yeux de la MINUAR

Le 24 janvier 1993, l’envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU au Rwanda, Jacques Roger Booh-Booh, a déclaré qu’il y avait un grand nombre de caches d’armes dans Kigali et ses alentours, et qu’il s’en inquiétait. La MINUAR n’a rien fait pour les saisir.

Le 25 janvier 1993, l’ambassadeur belge au Rwanda, Johann Swinenn, a informé le Ministre des Affaires Etrangères de Belgique, que Dallaire demande sans cesse à l’ONU de renforcer son mandat pour qu’il puisse saisir les armes cachées dans Kigali, en menaçant de partir du Rwanda, lui et ses troupes de la MINUAR, si sa requête n’est pas acceptée. Johann Swinenn a aussi déclaré qu’il a eu un entretien avec Murego Donat, le Secrétaire général du MDR, qui l’a informé que les Interahamwe se préparaient à mener la guerre à l’intérieur du pays, et qu’ils prévoient de s’attaquer au contingent belge de la MINUAR.

  1. La France a fourni des armes en violant pas les résolutions de l’ONU

Après la signature des accords de paix entre le Gouvernement du Rwanda et le FPR-Inkotanyi, le Conseil de Sécurité de l’ONU a pris la décision d’interdire l’achat et la distribution d’armes supplémentaires pour faciliter la mise en œuvre de ces accords. La France n’a pas respecté cette décision et a continué de fournir des armes au Gouvernement rwandais. Ainsi, il a été révélé par la MINUAR que dans la nuit du 21 au 22 janvier 1994, un avion DC-8 français a atterri dans la plus grande discrétion sur l’aéroport de Kanombe. La MINUAR est intervenue et a fouillé cet avion pour y trouver 90 caisses remplies d’armes de guerre destinées à l’Armée rwandaise.

CONCLUSION

Tous les évènements repris dans cette chronologie prouvent à suffisance que le Génocide perpétré contre les Tutsi a été planifié par l’Etat depuis de nombreuses années et que certains pays étrangers ont soutenu ce plan. C’est pourquoi il est rappelé que tout un chacun a le devoir de combattre ceux qui continuent à nier le génocide perpétré contre les Tutsi.

Rappelons également aux pays qui continuent à protéger des personnes impliquées dans le Génocide, qu’ils devraient les faire juger par leurs propres tribunaux ou les transférer au Rwanda dans le cadre de la lutte contre l’impunité et du respect des droits de l’homme. (Fin)