L’ambassadeur des Pays-Bas au Rwanda, Matthijs Wolters (2e à droite), ainsi que les attachés militaires néerlandais accrédités auprès des pays africains et d’autres responsables, déposent des couronnes en l’honneur des victimes du génocide, au Kigali Genocide Memorial Centre, en février.(Photo, archives).
By Amb. Matthijs Wolters*
Le 7 avril 1994 marquera à jamais le début d’une période sombre dans l’histoire du Rwanda et du monde. Dans les mois qui ont suivi, le monde s’est lentement rendu compte qu’il était à nouveau témoin d’un génocide. Bien qu’il se soit engagé à ne jamais laisser les atrocités de l’Holocauste se reproduire environ un demi-siècle plus tôt, le génocide contre les Tutsi s’est produit en plein jour, faisant environ un million de morts et laissant le pays en ruines.
L’année dernière, je suis revenu à Kigali. De retour, oui, car j’avais travaillé dans le pays par intermittence de l’automne 1994 à l’été 1995. Ce que j’ai rencontré alors, c’était un pays dévasté. C’était une période de perte et de chagrin incroyables. C’était aussi une période d’incompréhension profonde et généralisée. Comment cela aurait-il pu arriver est une question qui a été posée non seulement par tous les Rwandais, mais aussi par la communauté internationale dans son ensemble. Et nous n’avons toujours pas toutes les réponses. Oui, il existe des explications politiques, économiques, juridiques et sociologiques – l’histoire tragique du Rwanda a fait l’objet de nombreuses recherches. Mais ce qui s’est réellement passé, sur le plan humain – pourquoi les gens ont tué leurs voisins, vieux et jeunes, pourquoi des milliers de femmes sans défense ont été violées, pourquoi le tissu social de ce pays a été perturbé à bien des égards – reste quelque chose au-delà de la compréhension humaine.
Ce mois-ci, nous rendons hommage à ceux qui sont perdus et à ceux qui sont toujours là mais dont la vie a changé de façon irréversible. Ce n’est pas une tâche facile. Les souvenirs et les images gravés sur nos consciences continuent de susciter une profonde émotion. Pourtant, aussi douloureux soit-il, il est important de faire une pause et de réfléchir à ce qui s’est passé en 1994: le génocide contre les Tutsi. Réfléchir à ce dont les humains sont capables, dans de mauvaises circonstances. Nous devons à la fois aux victimes et aux survivants d’apprendre du passé, de voir que justice est faite, de se réunir pour un avenir meilleur et de réagir ensemble lorsque nous voyons les signes émerger.
Et c’est bien ce que le Rwanda a fait. La myriade de défis auxquels le pays était confronté au lendemain du génocide semblait insurmontable. Il était facile de sous-estimer la détermination du peuple rwandais à reconstruire sa société et à transformer un héritage de désespoir en espoir pour l’avenir. Pourtant, à cette époque, à plusieurs reprises, j’ai accompagné des membres du gouvernement lors de visites sur le terrain, où ils se sont adressés aux habitants des villages et les ont écoutés dans le but de s’attaquer aux racines du divisionnisme et de construire une nouvelle nation.
J’ai découvert le désir d’être entendu et la soif de justice lors d’une visite à Ntarama en septembre 1994. Des gens faisaient la queue pour témoigner de ce qui était arrivé à un représentant du CICR, juste à côté de l’église où tant de membres de leur communauté avaient été brutalement assassinés. Ce sont ces événements qui, à l’époque, indiquaient déjà la voie à suivre. Aujourd’hui, les résultats sont là visibles pour tout le monde; Le Rwanda est un pays transformé.
Pour souligner un aspect, le Rwanda a reconstruit son système judiciaire, presque à partir de zéro. Tenir les auteurs responsables n’a pas été une tâche facile, étant donné la participation massive au génocide et les sentiments généralisés de colère et de ressentiment.
Pour pouvoir traiter l’énorme charge de travail, mais aussi pour que justice rime avec réconciliation, le Rwanda a installé les juridictions Gacaca. La majorité des auteurs ont avoué et plaidé leur cause devant des tribunaux spéciaux de village, après quoi les survivants à travers le pays ont réintégré les auteurs dans leurs communautés. Je ne peux pas commencer à imaginer le courage que cela a dû prendre. Sans les juridictions Gacaca, l’arriéré des affaires serait encore insurmontable aujourd’hui. Les dossiers des auditions qui se sont déroulées partout au Rwanda ont un rôle particulier dans le processus de réconciliation. Ce sont les souvenirs tangibles de ce qui s’est passé. Je suis heureux que les Pays-Bas, Aegis et le gouvernement rwandais aient rendu possible la conservation et la numérisation de ces fichiers.
Le système judiciaire officiel a également été renforcé. Des prisons ont été construites, des avocats et des juges ont été formés et divers instituts tels que la GFTU[Unité pour la traque des génocidaires fugitifs, ndlr] ont été créés. Ces interventions ont aidé les Rwandais à accéder à la justice. Les Pays-Bas continueront d’aider à traduire les coupables en justice, si possible dans le pays où ils ont commis leurs crimes. Soyons clairs: il ne peut y avoir d’impunité pour de telles atrocités.
Permettez-moi de saisir cette occasion pour rendre hommage au peuple rwandais pour ce qu’il a accompli. Pour la façon dont ils ont montré au monde qu’après un mal impensable, les communautés peuvent rétablir leurs valeurs et retrouver leur dignité sur la voie d’un avenir commun. Les Pays-Bas veulent montrer leur amitié en accompagnant les Rwandais dans ce processus et en contribuant à la recherche collective de la vérité et de la réconciliation. (Fin).
*L’auteur de cet article est l’Ambassadeur des Pays-Bas au Rwanda. Le texte original est Anglais. Nous le traduisons pour que le message soit accessible aussi au public francophone.