By Dr BIZIMANA Jean Damascène*
Les militaires français sont arrivés à Nyarushishi le 23/6/1994. Officiellement, le camp de Nyarushishi était l’objectif humanitaire le plus important de l’opération turquoise dans son ensemble. Mais les témoignages de réfugiés et de certains Interahamwe qui ont œuvré dans les alentours du camp disent plutôt que les massacres de Tutsi par les Interahamwe ont continué et que les militaires français ont commis plusieurs actes de viol sur des rescapés qu’ils étaient censés protéger.
1) LA SITUATION DU CAMP DE NYARUSHISHI ET LES MASSACRES DE TUTSI DE CE CAMP
Nyarushishi fut un camp dans lequel ont été logés des réfugiés Burundais en 1993. En 1994, des Tutsi venant de la ville de Cyangugu y ont été amenés et d’autres qui avaient survécu aux massacres notamment à Mibilizi, Shangi, Nyamasheke et Kibogora s’y sont réfugiés.
Les Français sont arrivés à Cyangugu le 23 juin 1994 et se sont rendus directement à Nyarushishi pour montrer que la raison de leur présence est humanitaire. Ils avaient besoin de paraitre comme tels devant les Télévisions notamment françaises parce que des journaux critiquaient le Gouvernement français pour avoir envoyé des troupes au Rwanda pour aider un Etat qui commettait un génocide.
Les Français s’efforçaient de montrer devant la communauté internationale que ce camp de Nyarushishi était la preuve qu’ils étaient venus au Rwanda pour sauver ceux qui étaient l’objet de massacres, alors qu’il s’agissait réellement de cacher la vraie raison de leur présence qui était de venir en aide au Gouvernement génocidaire. Et c’est pourquoi ils ont demandé au Gouvernement l’inviolabilité du camp de Nyarushishi pour que les medias, surtout français, puissent mettre en avant le caractère humanitaire de leur mission.
Les Français ont commis des actes de violence à Nyarushishi dont des viols. Depuis 2005, des filles qui ont été violées à Nyarushishi et à Murambi ont posé plainte en France. Des medias ont demandé à des anciens commandants des troupes françaises à Cyangugu ce qu’ils pensent de ces plaintes et ceux-ci ont répondu que de tels actes ont peut-être été commis.
Le Colonel Didier TAUZIN qui dirigeait l’unité COS lorsqu’ils sont arrivés à Nyarushishi le 23 juin 1994 a dit au journal La Croix en 2011 ce qui suit: “ Je n’ai jamais été informé de tels actes pendant l’opération Turquoise. Nous étions toujours accompagnés par de nombreux journalistes, pas un seul parmi eux n’y a fait allusion. Mais je ne peux pas affirmer à 100% qu’un tel acte n’ait jamais été commis par un militaire à titre personnel.”
Quant au Colonel Jacques HOGARD qui dirigeait les troupes françaises à Cyangugu pendant l’opération Turquoise, il a dit au journal Causette en 2011 ce qui suit: “ Il est possible que de tels actes aient été commis par des indisciplinés à titre personnel, mais notre système n’a jamais autorisé de tels actes. Une fois j’ai par exemple été informé d’un vol de casiers de bière par des Légionnaires. Mais je refuse à croire que nos militaires aient violé des filles.”
De tels propos sont mensongers. Si ce commandant des troupes françaises affirme qu’il a appris que ses hommes avaient volé des casiers de bière, qu’ils avaient donc détroussé des membres de la population rwandaise, comment ces militaires se seraient interdit de violer des filles quand ils se permettaient de voler de la bière? Ces propos de TAUZIN et HOGARD montrent qu’ils étaient au courant des actes délictueux commis par leurs troupes.
Le General Jean-Claude LAFOURCADE qui était le commandant en chef des troupes françaises de l’opération Turquoise semble confirmer qu’il y a eu des viols commis par des militaires français au camp de Nyarushishi et à Murambi, tout en minimisant de tels actes: “Il n’y a pas eu de faute grave, pas de viol collectif ”.
Ce qui veut dire qu’il accepte le fait de viols mais qu’il en diminue la gravité en disant que les militaires n’ont pas agi sur instruction de leur hiérarchie et qu’il n’y aurait pas eu de viols collectifs.
Le Colonel Thibault a semblé, par ses propos, admettre la complicité des Français avec les Interahamwe et les autres génocidaires à Nyarushishi. Ainsi, lorsque le 28 juin 1994, le journaliste Raymond BONNER du New York Times lui a demandé pourquoi les Interahamwe continuaient à encercler le camp de Nyarushishi et que les Français laissaient faire, Thibaut a répondu: “Nous n’avons pas d’ordres de désarmer les milices”. Ces propos ont été repris dans le New York Times du 29juin 1994.
Ce qui est aussi malheureux est que des agents de la Croix Rouge ont eu leur responsabilité dans les massacres de Tutsi qui étaient enlevés du camp de Nyarushishi. Le plus connu est HATEGEKIMANA Saadi qui, alors qu’il était un agent de la Croix Rouge, livrait les Tutsi aux Interahamwe qui les tuaient.
2) LES TUTSI ONT ÉTÉ MASSACRÉS PAR LES INTERAHAMWE SOUS LE YEUX DES MILITAIRES FRANÇAIS CENSÉS LES PROTÉGER DANS LE CAMP DE NYARUSHISHI
Le cercle de sécurité du camp de Nyarushishi était constitué par les postes de garde des militaires français, doublé d’un cercle concentrique plus large et constitué de barrières tenues par des Interahamwe et des gendarmes rwandais. Les réfugiés recevaient des vivres mais devaient sortir pour aller chercher le bois à l’extérieur du camp.
Un témoin raconte :
Un jour, trois jeunes ont été débusqués des plantations de théiers par des Interahamwe et ont couru en direction du camp, poursuivis par les Interahamwe. Ils sont quand même parvenus à entrer dans le camp de Nyarushishi. Le commandant de la position des gendarmes qui était là est entré, les a pris et les a amenés. Les Français étaient là et assistaient à la scène sans rien faire. Nous n’avons plus revu les trois jeunes. »
Pour plusieurs rescapés du camp de Nyarushishi, « […] Les Français ont été complices des Interahamwe dans les tueries et tortures commis sur les Tutsi. La plupart des Tutsi qui venaient se réfugier au camp tombaient entre les mains des Interahamwe puisqu’ils devaient absolument passer par des barrières tenues par ces derniers. […].
Un interahamwe affirme que des militaires français leur ont demandé de tuer toute personne qui voudrait entrer dans le camp.
« (…) Nous avions une barrière à environ 1000 m de la tente des Français. Sur cette barrière, nous avons tué beaucoup de personnes et les Français venaient nous demander ce qui se passait. Nous leur avons expliqué que nous avions tué des Tutsi et ils nous ont demandé de veiller à ce que personne d’autre n’entre dans le camp et que ceux qui viendraient par la suite devraient être tués. Suite à cette instruction, nous avons tué une femme avec sa fillette et un jeune homme. Je ne les connaissais pas, ils disaient qu’ils venaient d’un endroit dénommé K’Uwinteko. Nous avons également tué les Tutsi qui sortaient du camp pour aller chercher du bois de chauffage dont Charles, fils de Sembeba. Après les avoir tués, nous les jetions dans une fosse commune près de la barrière. Les Français sont venus voir ce que nous faisions et nous ont dit que nous sommes des vrais militaires. En guise de récompense, ils nous ont offert des rations de combat. Ils nous accompagnaient aussi dans des patrouilles de nuit. Après la victoire du FPR, les Français nous ont interdit de continuer à massacrer les Tutsi afin d’éviter que le FPR ne se venge. Ils nous ont plutôt conseillé et invité à fuir, nous faisant des signes comme quoi le FPR nous égorgerait, et ils se fâchaient fortement contre les personnes qui traînaient dans les maisons.»
3) DES MILITAIRES FRANÇAIS ONT VIOLÉ DES FEMMES TUTSI REFUGIÉES DANS LE CAMP DE NYARUSHISHI
Plusieurs victimes de viols affirment qu’elles ont été violées par des militaires français dans le camp de Nyarushishi.
« […] Les Français ont violé Claudine à tour de rôle. Elle avait entre 14 et 15 ans en 1994, et elle en a été tellement traumatisée qu’elle en est devenue folle. Ils ont également violé Umulisa, la sœur d’Oscar. Ils les torturaient sexuellement, mettaient du piment dans leurs sexes. Ils violaient beaucoup de filles, seulement nous ne connaissons pas leurs noms.
Les militaires français «violaient également des jeunes filles qu’ils avaient évacuées de l’EAV Ntendezi, ils venaient les chercher dans le camp. Pour y échapper, elles allaient dormir dans d’autres tentes pour qu’ils ne les trouvent pas. »
Des militaires français ont violé des filles en dehors du camp de Nyarushishi, au stade Kamarampaka. Une victime raconte que « Les Français installés au stade Kamarampaka ont aussi violé des filles et des femmes tutsi pendant l’opération Turquoise. Ils nous avaient chargés de façon particulière de leur chercher des filles ou des femmes Tutsi et certaines victimes de leurs viols ont survécu. Il fallait nécessairement leur apporter des filles tutsi qui, disaient-ils, ne leur causeraient pas de problèmes si des gens apprenaient qu’ils les avaient violées et il était strictement interdit de leur apporter des filles Hutu. La première fois, je leur ai apporté deux filles de 14 ou 15 ans au stade Kamarampaka. La première, que nous avions trouvée au cimetière de Mururu, s’appelait M Béata. Comme nous savions qu’elle était Tutsi, nous l’avons prise et l’avons amenée au stade Kamarampaka où des militaires français l’ont violée. Après, ils nous l’ont remise, nous suppliant de ne pas la tuer ».
4) DES MILITAIRES FRANÇAIS ONT PRATIQUÉ L’ESCLAVAGE SEXUEL DANS LE CAMP DE NYARUSHISHI SUR DES FEMMES TUTSI
Plusieurs femmes Tutsi ont été victimes de l’esclavage sexuel dans le camp de Nyarushishi. Les militaires français commettaient des viols systématiques sur des femmes Tutsi qu’ils ont gardées durant leur présence dans le camp de Nyarushishi.
Une rescapée de Nyarushishsi témoigne :
« (…) Les Français sont arrivés dans l’après-midi et Bavugamenshi nous a demandé de les accueillir chaleureusement en dansant. A leur arrivée, les Français ont fait le tour des tentes du camp en prenant des photos. Après trois jours, ils avaient identifié les abris des filles. Dès le quatrième jour, à la tombée de la nuit, ceux qui avaient procédé à cette identification revenaient avec d’autres Français pour prendre les filles qu’ils amenaient dans les tentes pour les violer.
(…) Personnellement, j’ai connu la pire expérience de viol. Après m’avoir déshabillée, ils me violaient par groupe de quatre en même temps et se relayaient. (…). J’étais avec d’autres femmes, ils nous relâchaient à quatre heures du matin pour nous ramener le lendemain. Des fois, ils venaient nous prendre le matin et revenaient encore le soir. Lorsque nous essayions de nous cacher, ils organisaient un comité chargé de nous retrouver partout et de nous ramener. (…) Cette situation a duré toute la période qu’ils sont restés au camp de Nyarushishi. (…) A cause de ces actes sauvages et permanents qu’ils m’ont fait subir, j’ai eu par la suite de graves complications gynécologiques : j’avais une douloureuse infection au niveau de l’utérus. Quand je me rappelais qu’ils avaient ajouté à ce que m’avaient fait subir les Interahamwe, je perdais la tête et voulais me suicider. Le seul fait d’avoir un enfant à ma charge me retenait ».
5) DES TUTSI DU CAMP DE NYARUSHISHI N’ONT PAS ÉTÉ TUÉS GRÂCE À L’INTERVENTION DU COLONEL INNOCENT BAVUGAMENSHI
Des Tutsi n’ont pas été tués par les Interahamwe à Nyarushishi grâce à l’intervention du Colonel Innocent BAVUGAMENSHI qui était commandant de la gendarmerie à Cyangugu. Il a refusé de commettre le Génocide ou d’en être le complice, il a chargé des gendarmes en qui il avait confiance de protéger le camp de Nyarushishi où les réfugiés étaient harcelés par les Interahamwe depuis l’arrivée des Français. Il est décédé après le Génocide alors qu’il avait intégré l’armée du Gouvernement de l’Union nationale.
CONCLUSION
L’exemple du comportement criminel des militaires français dans le camp de Nyarushishi montre bien que les intentions réelles de Turquoise étaient tout sauf humanitaires; l’opération Turquoise est le prolongement du soutien militaire français au Gouvernement génocidaire et à son armée, les FAR.
Nyarushishi est le premier à subir des actes criminels, mais d’autres endroits comme Murambi, Bisesero ont été des lieux de la mort et de torture sous la responsabilité des militaires français. (Fin).
* Dr BIZIMANA Jean Damascène, Secrétaire Exécutif Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG)