En marge de la session de la Commission Mixte Rwanda – Mali qu’il a co-présidée, le Ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop (A.D.) juge que les Africains n’ont pas besoin d’aller apprendre à Washington ni à Paris, mais qu’ils peuvent apprendre les uns des autres, et se renforcer mutuellement, et ainsi se développer dans un esprit de solidarité africaine. Lire son interview à André Gakwaya de l’Agence Rwandaise d’Information (ARI).
ARI – En quoi a consisté la session de la Commission Mixte Rwanda-Mali qui a débouché sur 19 accords signés?
(A.D.) – Cette Commission Mixte est une étape importante dans le renforcement des relations politiques, économiques et commerciales entre le Rwanda et le Mali, qui ont toujours entretenu d’excellents rapports sur le plan diplomatique, y compris des échanges de haut niveau. A titre d’illustration, le Président Kagamé a visité le Mali en 2015 et en 2017. Par ailleurs, le Mali et le Rwanda ont une longue tradition de concertation diplomatique sur les questions géopolitiques au sein de foras internationaux comme les Nations Unies et l’Union Africaine. En tant que pays africains solidaires, nous partageons la même volonté de voir une Afrique unie et renforcée sur la scène internationale. Pour ce qui concerne le cas spécifique de la Commission Mixte, je tiens à rappeler qu’en septembre 2023, sur la base des orientations qui ont été données par nos Chefs d’Etat de renforcer nos relations bilatérales, le Ministère des affaires étrangères du Rwanda, mon frère Vincent Biruta et moi-même, avons signé trois accords.
Il s’agit d’un Accord-cadre de coopération, d’un Mémorandum d’entente relatif aux consultations politiques entre les deux Ministères des Affaires étrangères, et d’un Accord portant création d’une grande Commission mixte entre les deux pays. A peine quelques mois après la signature de ces Accords, nous avons pu tenir la première session de la Grande Commission Mixte, ce qui est un signe extrêmement important, et je voudrais féliciter la République du Rwanda pour l’organisation réussie de cette rencontre au cours de laquelle nous avons signé jusqu’à 19 accords qui touchent à des domaines aussi divers que la défense et la sécurité, la santé, l’éducation, la promotion des investissements et bien d’autres secteurs. Aujourd’hui, au sortir de cette importante rencontre, je pense que nous avons une opportunité d’élever nos relations économiques à la hauteur de nos excellentes relations politiques et de faire en sorte que les engagements qui ont été pris dans le cadre de cette Commission Mixte, soient mis en œuvre et suivis par nos équipes respectives. L’un des projets qui permettra de renforcer la coopération économique entre le Mali et le Rwanda est celui relatif à la desserte de Bamako par la compagnie Rwandair. Cette connexion aérienne le Mali et le Rwanda, tous deux enclavés, favorisera naturellement les échanges économiques.
ARI – Est-ce que la sécurité du Mali est suffisamment stabilisée pour attirer des investisseurs ?
(A.D.) – Le niveau général de la sécurité au Mali est considérablement amélioré durant les dernières années. Aujourd’hui, des efforts importants ont été faits par l’Etat malien pour renforcer les capacités des forces de défense et de sécurité, pour avoir un contrôle suffisant de l’ensemble du territoire national, y compris à travers la lutte contre les groupes armés terroristes. Ces efforts vont se poursuivre pour créer un climat de sécurité qui puisse permettre aussi la reprise des activités sociales, politiques et économiques. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’amélioration du climat des affaires. La présence, au sein de la délégation malienne, figure le DG de l’agence malienne de promotion des investissements, qui vient aussi de signer un accord avec l’agence de développement du Rwanda, pour pouvoir travailler ensemble et partager les expériences. Après la tragédie qu’il a connue en 1994, et le Rwanda est devenu un modèle pour tout un chacun en termes de stabilité et d’environnement économique. Cela est une source d’inspiration pour de nombreux pays, dont le Mali, qui regorge de beaucoup de potentialités économiques, des ressources minières, mais aussi d’une population jeune et entreprenante.
ARI – Est-ce que les changements des régimes dans la région n’ont pas nui au processus d’intégration ?
(A.D.) – Vous savez, ce ne sont pas les changements de régimes qui nuisent à l’intégration. Ce qui pose problème maintenant, c’est comment nos dirigeants sont en train de gérer des changementsdes pouvoir qui sont intervenus et qui ont créé aujourd’hui des situations qui remettent en cause l’idéal et l’esprit d’intégration. De l’indépendance du Mali à ce jour, toutes les Constitutions du Mali qui se sont succédées, contiennent, de façon constante, des dispositions qui prévoient que le Mali est disposé à abandonner tout ou une partie de sa souveraineté pour réaliser l’intégration africaine. Cet engagement fort du Mali demeure une constance. En revanche, je déplore que des organisations sous-régionales comme la CEDEAO, sous influence extérieure, aient pris des décisions qui vont à l’encontre de cet esprit d’intégration, de solidarité et de fraternité entre les peuples. C’est ce qui est en train de détruire les liens entre les pays en créant cette situation. La création, par le Burkina, le Mali et le Niger, de l’Alliance des Etats du Sahel, n’est pas du tout contraire à cet engagement, bien au contraire. Vous remarquerez, par exemple, que dès son préambule, la Charte du Liptako-Gourma qui créé l’AES fait référence à la Charte des Nations Unies, et surtout à l’Acte constitutif de l’UA, et au Traité révisé de la CEDEAO. Cette Charte a été signée le 16 septembre 2023. C’est vous dire que ce ne sont pas ces changements de régime, mais plutôt la façon de gérer ces changements qui a été maladroite. Les décisions prises par l’Organisation, induite en erreur par des puissances extérieures, ont mis à mal l’esprit de fraternité et le processus d’intégration en Afrique de l’Ouest. Malgré tout, nos populations restent engagées pour vivre ensemble, nous avons un destin commun.
ARI – Un message à transmettre ?
(A.D.) – Le message que nous voulons transmettre est un appel à davantage de solidarité, de fraternité et aussi de complémentarité entre les Etats africains. La Commission mixte que le Rwanda et le Mali viennent de tenir est la parfaite illustration que nos pays ont la capacité de se développer en apprenant les uns des autres, en partageant les expériences et les leçons apprises. Le renforcement de la coopération Sud-Sud nous permet de valoriser nos expertises africaines, sans avoir besoin d’aller hors de notre Continent. Le Mali peut apprendre du Rwanda, le Rwanda peut apprendre de l’expérience du Mali. Il y a un intérêt commun et des avantages mutuels à travailler ensemble. Il est aussi possible de voir comment travailler ensemble sur des projets économiques structurants et un fort potentiel d’investissements de part et d’autre. Beaucoup d’étudiants maliens commencent à venir ici, au Rwanda pour poursuivre leurs études. De même, nous avons offert le cadre approprié pour que des étudiants rwandais puissent venir étudier dans des écoles maliennes. Il est tout aussi important de partager nos expériences dans le secteur de l’assainissement, le domaine de la gestion de la mémoire commémorative. Aujourd’hui, sur beaucoup de ces questions, le Mali s’intéresse à l’expérience du Rwanda. Pourquoi devons-nous toujours aller à Washington, Paris ou ailleurs hors du continent africain pour apprendre des choses ? Nous pouvons aussi nous renforcer, nous pouvons apprendre les uns des autres, nous développer et grandir ensemble dans un esprit de solidarité africaine.