Procès pour génocide de Rwamucyo à Paris, vendredi 4 octobre 2024. J4

Par Alain Gauthier,

           Audition de Damien VANDERMEERSCH, magistrat belge, ancien juge d’instruction dans le procès des « Quatre de Butare »

           Audition de Régine WAINTRATER, psychologue clinicienne.

           Audition de Stephen SMITH, journaliste et professeur d’Études Africaines à l’Université de DUKE (USA).

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La fin de l’audition de madame Mamérique MUKAMUNANA a été ajoutée au compte-rendu du jeudi matin 3 octobre. L’accusation et la défense n’avaient pas eu le temps de prendre la parole.

Avant que ne commence l’audition de monsieur Damien VANDERMEERSCH, monsieur le président confirme que le témoin Vincent NTEZIMANA, condamné à Bruxelles en 2001 et cité à la demande du ministère public ne viendra pas. Monsieur l’avocat général regrette amèrement ce désistement: « S’il avait habité en France, je vous aurais demandé de délivrer un mandat d’amener. » ( NDR. Le président de la cour d’assises n’a pas les moyens d’obliger un témoin qui habite hors de la France de venir témoigner.) Monsieur Jean-Marie Vianney NDAGIJIMANA, qui devait être entendu le vendredi 11 octobre, refuse également de venir. Il était cité par la défense. Idem pour monsieur Noël NDANYUZWE, auteur du livre « La guerre mondiale africaine », cité par la défense et qui aurait dû être entendu ce jour.

Audition de monsieur Damien VANDERMEERSCH, magistrat belge, ancien juge d’instruction dans le procès des « Quatre de Butare ».

Monsieur VANDERMEERSCH est entendu par la cour d’assises en sa qualité de premier magistrat occidental à enquêter sur le génocide des Tutsi au Rwanda. Juge d’instruction, il est chargé de mener les enquêtes au Rwanda en février 1995 par le ministre de la Justice belge.

Les premiers dossiers enregistrés concernent la préfecture de BUTARE, mais aussi Kigali, ses environs – relativement notamment à l’assassinant des dix Casques bleus belges – ainsi que des massacres commis à GISENYI. Cette cinquantaine de dossiers donne lieu à des jonctions. D’autres n’aboutissent pas ou ont été transférés au TPIR (c’est le cas de Théoneste BAGOSORA, arrêté au Cameroun sur mandat d’arrêt belge). À la fin des années 1990, une trentaine de dossiers sont encore ouverts.

Monsieur VANDERMEERSCH et ses équipes se rendent directement sur place. Ces enquêtes sur le terrain sont appelées commissions rogatoires. En 1995, le juge d’instruction belge en mène trois, respectivement au début de mai, en juin et septembre. Il rappelle l’appréhension qui est la sienne à porter de tels dossiers car il faut s’adresser aux citoyens (jurés) et au juge belges. Au mois de juin 1995, il arrive au moment où la population exhume les corps des fosses septiques. Il revient sur cette « ambiance très lourde » qui le bouleverse personnellement. Pour amortir le voyage et supporter le poids psychologique de cette période, de cette réalité extrêmement dure, lui et ses équipes travaillent « quasiment jour et nuit », « non-stop ». Pour monsieur VANDERMEERSCH, il est donc primordial de « faire admettre que tout ça a eu lieu, même si c’est insupportable » en cour d’assises. Sur le volet juridique, n’ayant aucune charge de jugement, il reste prudent en ne parlant pas de génocide dans ses dossiers. Pour cela, il attend la qualification par le TPIR dans l’affaire AKAYESU en 1998.

L’ancien juge d’instruction revient sur ses conditions d’enquête au Rwanda. Il affirme avoir eu « carte blanche », de sorte qu’il dirigeait de facto les opérations. Si une coopération judiciaire avec le Rwanda en bonne et due forme est établie, les autorités rwandaises étaient mises au courant des enquêtes seulement a posteriori. Deux à trois officiers de police judiciaire rwandais, formés par une ONG, sont mis à disposition de son enquête. Ces remarques coupent l’herbe sous le pied de la défense, qui interrogera le témoin sur l’indépendance de la justice rwandaise. Si monsieur VANDERMEERSCH reconnaît une « pression » sur son travail, elle vient plutôt de la justice belge. Dans l’affaire des « Quatre de BUTARE », le premier dossier d’instruction est bouclé en mars 1996, mais est bloqué pendant quatre ans du fait de pressions internes à la justice belge.

Lorsqu’il commence à enquêter, il ne savait rien du Rwanda. Il essaie donc de se départir de ses préjugés. Avant qu’il ne parte, le juge d’instruction avait été prévenu qu’une forte manipulation des témoins avait lieu au Rwanda. Contrairement à ce que la défense a essayé de lui faire dire à plusieurs reprises, monsieur VANDERMEERSCH n’a pas vu de traces de telles manipulations. Pour lui, les rescapés sont très loin des considérations politiques, la perte de proches écrasant toute autre considération. Il a largement insisté sur la rigueur de ses enquêtes, qui reposent sur la concordance des plusieurs témoignages, de sorte que la supposée « culture du mensonge » n’est absolument pas un prisme d’analyse.

Il souligne également la grande disponibilité des témoins et rescapés au Rwanda. À chaque fois qu’un nom est cité dans un témoignage, il cherche la personne directement pour l’interroger, de sorte que les témoins sont souvent surpris et non préparés. Monsieur VANDERMEERSCH explique avoir pris grand soin à distinguer ce que les témoins ont vu directement, des rumeurs et faits rapportés. En cela, il s’est beaucoup appuyé sur les récits établis par les personnes qui ne se sentaient pas menacées, et qui pouvaient se déplacer normalement. D’autant plus que pour monsieur VANDERMEERSCH, les personnes qui n’étaient pas menacées ne peuvent pas dire qu’elles n’ont rien vu. L’ancien juge d’instruction se confie sur le sentiment de malaise qui l’a habité lorsque certains accusés, plutôt que de minimiser l’horreur, sont passés aux aveux en expliquant tout et en rentrant dans les détails.

Monsieur le président et le ministère public, maître PERON, interrogent le témoin sur l’affaire dite des Quatre de BUTARE. Elle donne lieu en 2001 au premier procès mené en Belgique au titre de la compétence universelle concernant le Rwanda. Après avoir rappelé que lors de ses enquêtes, il a retrouvé des piles de documents administratifs – notamment utilisés par l’historienne Alison DES FORGES pour son livre Aucun témoin ne doit survivre – monsieur VANDERMEERSCH est revenu sur les profils d’Alphonse HIGANIRO et Vincent NTEZIMANA.

Le premier, originaire de Gisenyi, est quasiment voisin de la famille du président HABYARIMANA. Il est directeur de l’usine d’allumettes Sorwal et ancien ministre. Dans un document de sa main, il exhorte à « achever le travail » et parle de « sécurité ». Monsieur HIGANIRO a alors expliqué à monsieur VANDERMEERSCH que ces termes ont été utilisés pour parler d’un camion transportant du bois pour son usine d’allumettes, qui connaissait des problèmes d’embrayage et des éboulements sur la route. Le juge d’instruction s’est rendu sur place en 1995 et a montré que ce qui était allégué ne pouvait tout simplement pas être possible, au regard de l’ancienneté du camion et de la typologie des lieux.

Climatologue à l’Université Nationale du Rwanda (UNR), Vincent NTEZIMANA a communiqué une liste de Tutsi de l’UNR au vice-recteur, un extrémiste notoire. Ces listes ont été établies après que les personnes se sentant menacées se soient inscrites pour être exfiltrées vers le Burundi. C’est une méthode terriblement cynique d’auto-désignation, qui a complété l’identification permise par les cartes d’identité des Tutsi. À cela il faut notamment ajouter la demande formulée par monsieur NTEZIMANA d’armes et de formation pour les manier, destinées aux membres de l’APARU (Association du Personnel Académique de l’UNR). Pour monsieur VANDERMEERSCH, ceci démontre à quel point le radicalisme a pu déteindre chez certains intellectuels de l’UNR.

Le juge d’instruction revient sur les glissements idéologiques et sémantiques qui conduisent à l’assimilation entre le FPR et les Tutsi, considérés comme des « ennemis infiltrés ». Ceci est notamment permis par des notions comme l’auto-défense civile et la pacification. Or, à BUTARE, il n’y a pas de combats avec le FPR avant le 15 juin 1994, ce n’est donc pas une réalité avant cette date. À BUTARE, le génocide se déroule en trois phases ; une grosse vague immédiatement après le 19 avril puis une nouvelle pendant la seconde moitié du mois de mai. Des opérations de « ratissage » (les génocidaires parlent également de « débroussaillage », de « sarclage ») ont lieu en juin 1994.

Monsieur VANDERMEERSCH sera interrogé par un membre de la cour sur la récurrence des mêmes modalités de massacres à travers le pays, comme l’attaque des églises à l’aide d’explosifs. Il viendra également à évoquer des éléments aussi divers que les conséquences désastreuses du retrait du contingent belge de la MINUAR, la coopération militaire franco-rwandaise ou encore les changements d’attitude de certains acteurs locaux. C’est notamment le cas du bourgmestre de MUGANZA, décrit avant le génocide comme un excellent bourgmestre mais qui encouragera à « chercher les cafards derrière le poêle » en avril 1994. Le témoin aura également l’occasion d’évoquer les médias extrémistes – il ouvre un dossier concernant le journaliste belge de la RTLM Georgio RUGGIU – la continuation du fonctionnement des rouages administratifs pendant le génocide ou encore les rapports entre le MRND.

Audition de madame Régine WAINTRATER, psychologue clinicienne, anciennement maître de conférences en psychopathologie clinique à l’UFR de Sciences humaines cliniques de l’université Paris-Cité et auteur de l’ouvrage « Sortir du génocide. Témoignage et survivance », cité par le ministère public à la demande de l’association IBUKA France.

À 14h12 débute le témoignage de madame WAINTRATER, psychologue clinicienne spécialisée dans les traumatismes de violences extrêmes et l’importance du témoignage pour l’effort de reconstruction des rescapés. Sa déposition vise principalement à informer la cour sur les attentes et craintes rencontrées par les rescapés lorsqu’ils viennent témoigner pour la justice.

Le témoignage est d’abord porteur d’espoir pour les rescapés. Madame WAINTRATER explique que le travail de justice permet au rescapé de réintégrer symboliquement la communauté humaine, après l’exclusion – elle aussi symbolique – qu’a constitué le génocide. Pour elle, un génocide a lieu lorsqu’un groupe décide qu’un autre n’a plus le droit de vivre et ne bénéficie plus des garanties de l’humanité, de la société. Obtenir justice a une portée symbolique forte, et son attente maintient la vie des rescapés en suspens. Cette réhabilitation est psychique et humaine.

Les procès constituent également des motifs de crainte pour les témoins survivants, puisqu’ils représentent de véritables épreuves. Cela revient, pour ces rescapés, à parler de nouveau d’événements traumatiques qu’ils ont dû mettre de côté pour se réintégrer dans la société post-génocidaire. Cette mémoire traumatique se distingue de la mémoire classique par un mécanisme de cloisonnement des souvenirs des atrocités, enfermés comme une « huître ». « Maintenir l’outre des souvenirs fermés n’empêche malheureusement pas les cauchemars et les flashs traumatiques. Ceci induit un rapport au temps différent. Citant un survivant d’Auschwitz, madame WAINTRATER dépeint les « souvenirs comme des tapisseries dont les couleurs n’ont pas pâli ». Le calendrier social habituel, dans lequel les proches jouent le rôle de repères sociaux, est violemment remplacé par le temps du génocide. Ce temps est dicté par les génocidaires, et se caractérise par une perte de tout repère.

Dans ce cadre, il est extrêmement difficile pour un survivant de « bien se souvenir » en fournissant un récit cohérent. Ce souci de crédibilité dont ont parfaitement conscience les rescapés est rendu difficile à atteindre par la nature même du génocide, qui se concrétise dans la vie des victimes par « l’incohérence même, la désorganisation ». La violence extrême entraîne également des phénomènes de « dissociation », comme l’explique le psychanalyste hongrois Sándor FERENCZI, une manière pour les victimes de ne pas imploser en s’absentant mentalement. Le témoignage devant la justice nécessite donc pour les rescapés d’aller contre cette dissociation, en réunissant des « parties qui ont jusqu’alors eu intérêt à rester séparées ».

Les questions de monsieur le président sont l’occasion pour madame WAINTRATER de souligner les efforts consentis par les rescapés pour délivrer un récit cohérent. Cet effort peut se voir physiquement, puisque le traumatisme est avant tout inscrit, ancré dans le corps. Certains rescapés sont expressifs, d’autres non ; chacun réagit différemment. La culture joue également un rôle important selon la psychologue, qui rappelle que dans la culture rwandaise la droiture en toute circonstance est importante (et de rappeler le proverbe « ce que tu as dans le ventre, le chien ne le mange pas »). Monsieur le président Lavergne ajoute également que pour certains témoins, c’est la première fois qu’ils quittent leur commune, ce qui peut être profondément déstabilisant.

Les questions des avocats des parties civiles encouragent madame WAINTRATER à revenir sur son parcours, qui l’a amenée à connaître l’association IBUKA France. Elle s’exprime sur les perceptions traumatisantes des enfants rescapés du génocide, sur les remarques insultantes subies par certaines femmes violées devant le TPIR ou encore les liens entre mémoire individuelle et mémoire collective. Elle en viendra également, en imageant par sa propre histoire familiale ou en citant Primo LEVI, à traiter du décalage entre les survivants du génocide et ceux qui ne l’ont pas connu. Cette peur de ne pas être cru est une autre crainte des survivants lorsqu’ils témoignent, les amenant souvent à se taire.

La défense ne souhaitant pas intervenir, la déposition de madame WAINTRATER se termine par la question de l’avocate générale, qui s’interroge sur les conséquences pour les rescapés de ne pas retrouver les corps de leurs proches. Et à la témoin de souligner le rôle important des gacaca dans le processus long et douloureux de recouvrement des corps. La question la plus posée est « Où avez-vous jeté le corps ? ». C’est « une torture de plus » de ne pas avoir un lieu sur lequel se recueillir. Comme la justice, elle aussi longue et douloureuse, cette recherche des corps reste un rituel profondément humanisant et nécessaire.

Audition de monsieur Stephen SMITH, témoin de contexte, journaliste et professeur d’Études Africaines à l’Université de DUKE (USA), cité à la demande de la défense, en visioconférence depuis les USA.

Déposition spontanée. « L’histoire du génocide des Tutsi est loin de nous et compliquée. » C’est ainsi que le témoin commence sa déposition, laissant entendre une certaine humilité. « Je me considère comme un témoin expert, sans parti pris. » Journaliste au journal Libération, il s’est rendu au Rwanda dès 1990, ce qu’il considère comme « un avantage » sur les autres journalistes. S’il s’est rendu au Rwanda à cette époque, continue-t-il, c’est parce que la France avait procédé à « une intervention militaire secrète », MITTERRAND ayant envoyé des militaires au secours du président HABYARIMANA (Guerre secrète de l’Élysée en Afrique de l’Est).

Le témoin déclare avoir connu la dictature du président HABYARIMANA au temps de la guerre froide, une « dictature ordinaire dans un pays extraordinaire. » Pourquoi des soldats français au Rwanda?  À son arrivée, une « chauffeur de taxi Tutsi » le prend en charge et lui parle de choses effroyables. Les choses avaient empiré avec l’attaque de la « rébellion FPR ». Il deviendra vite un connaisseur « des deux côtés ». Mais « j’ai épousé involontairement la cause des rebelles« , poursuit-il.

En 1994, comme nombre de journalistes, il se trouve en Afrique du Sud pour l’investiture du président MANDELA. Sa direction veut alors l’envoyer au Rwanda: il refuse, ne voulant pas manquer l’événement du siècle. Finalement, « devant l’ampleur de la situation suite à l’assassinat d’HABYARIMANA » il finira par se rendre à BUJUMBURA, puis KIGALI via BUTARE. Ses confrères, eux, avancent avec les rebelles. Sur la route, des barrages, une odeur de mort, des fouilles. Il restera deux jours à BUTARE. Les Tutsi étaient cachés dans les faux plafonds, sous la menace d’Interahamwe imbibés d’alcool. Après son départ, les prêtres, Hutu comme Tutsi, auraient été tués par le FPR, comme ces derniers le redoutaient ( NDR. Le témoin n’apporte aucune précision sur ce massacre, ne donne aucun nom des prêtres. Si on lui avait posé la question, probablement aurait-il dit qu’il ne les connaissait pas. D’après mes sources personnelles, ce sont les frères Maristes de SAVE qui auraient été tués en tentant de rejoindre BUTARE. Les affirmations du témoin restent à vérifier.)

Il veut dissuader sa consœur de l’accompagner: en la faisant passer pour son épouse, tout se passera bien pour elle. Le témoin sera aussi présent au Rwanda lors de l’Opération Turquoise. « Le génocide est le mal absolu. Je ne discute pas avec les négationnistes. Mais dire qu’en face est le bien, c’est erroné. » , poursuit-il. Et d’évoquer plusieurs assassinats, dont celui de Seth SENDASHONGA.

Plus de 90% de voix en faveur du président KAGAME, cela montre bien qu’il s’agit d’une dictature.: « Le régime post-génocidaire est une dictature. Une absence de démocratie a mené au génocide, une autre dictature lui a succédé, la dictature d’une clique venue d’Ouganda autour de KAGAME. » Et concernant le procès en cours, en lien avec la « manipulation des témoins », il conseille au jury de se « mettre en légitime méfiance».

Monsieur le président intervient: « Ce que vous nous dites: « On juge des crimes qui se sont passés en 1994, mais regardez après »?

Monsieur Stephen SMITH: « En 1994, j’étais auprès du FPR dans le Nord. Les civils avaient fui. J’ai rencontré KAGAME. Je ne pouvais parler à personne sans avoir un soldat dans mon dos. Il y a eu une épuration hutu. Le programme du FPR par rapport à la population civile en 92/94, poursuit-il, ça fait froid dans le dos. Le Rwanda est un pays où on n’est pas libre, on ne peut pas s’exprimer librement. L’agenda du FPR? 100 000 personnes tuées en une année. En 1992, le FPR avait déjà trahi ses idéaux. Pour KAGAME, les Tutsi de l’intérieur qui ont composé avec les Hutu sont des traîtres. »

Le président: « Vous voulez dire que KAGAME n’est pas solidaire des Tutsi de l’intérieur. Pour lui, un million de morts, ce serait une excuse? »

Le témoin: « Non, rien ne peut justifier le génocide des Tutsi. Qui le nie ne peut être un interlocuteur. Mais attention, le contexte français dans lequel vous intervenez mérite que je vous mette en garde. Les témoins qui viennent du Rwanda ne viennent pas d’un pays comme la France. Si l’accusé n’est pas condamné, il aura de la chance! » ( NDR. C’est quand même plus qu’une mise en garde!)

Le président ne peut laisser passer de tels propos: « La cour d’assises n’est pas là pour rendre service à qui que ce soit. Nous aurons des preuves documentaires, des enregistrements… Mais qu’avez-vous à dire de pertinent sur BUTARE? Que savez-vous du génocide à BUTARE? »

Le témoin n’a pas grand chose à en dire. Le président reprend la main: « Vous, vous passiez aux barrières sans problème? » Le témoin s’explique: « Du moment que vous parliez français, on vous considérait comme un ami. Mais le génocide concernait bien les Tutsi » … Quant aux accords d’Arusha sur lesquels l’interroge le président, « c’était un diktat de la communauté internationale, une manifestation du paternalisme des Occidentaux. J’ai été naïf de les encourager à partager le pouvoir. »

Et le témoin de rendre hommage à la fondation HIRONDELLE qui a rendu compte des travaux du TPIR. Les médias français n’ont assuré aucune couverture. « Vu l’implication de la France, les journalistes français auraient pu suivre les procès d’Arusha! » ajoute monsieur SMITH. Concernant le procès de RWAMUCYO,  sa méfiance est à l’égard des manipulations qui peuvent avoir lieu.

Suit un échange sur la RTLM, radio de la haine, « à partir du 6 avril » prétend le témoin. Il s’est donc bien rendu à Kigali, a réalisé une interview de Pasteur BIZIMUNGU et a rencontré des membres du gouvernement intérimaire à GITARAMA.  Il a quitté le journalisme (et le Rwanda) en 2005.

Une série de questions seront ensuite posées au témoin par les différentes parties. Que faut-il en retenir?  dans ce génocide, il n’y a pas de responsabilité collective. Il y avait des gens ivres de rage, d’autres qui se rendaient sur les barrières pour ne pas être mal vus et qui se sentaient obligés de se faire voir avec les autres. A côté de la RTLM, il y avait la radio MUHABURA du FPR. Quand le président lui dit que la RTLM utilisait parfois la longueur d’onde de Radio Rwanda, le témoin dit que c’est la première fois qu’il entend dire cela. Des cadavres, à BUTARE et ailleurs, il n’a vu que ça ( NDR. Contrairement à l’épouse de l’accusé!)

« Le génocide a été planifié puisque exécuté sur les ordres. On aurait toutefois aimé que le TPIR étudie le mécanisme du génocide. Ce travail n’a pas été fait. Douter de la planification est un début de négationnisme ». Se sentait-il libre à Kigali? ( NDR. Référence aux propos du juge VANDERMEERSCH qui dit avoir enquêté en toute liberté, comme l’ont déjà dit les enquêteurs français dans les procès précédents).

Réaction du témoin: « Vous me donnerez quitus d’avoir répondu à toutes vos questions avec sincérité. Ne comptez pas sur moi pour dire si un travail est bon ou mauvais. Je ne peux pas me prononcer sur toutes ces instances (judiciaires). Le TPIR n’a pas été à la hauteur de sa tâche. Je ne peux pas juger le travail des juges belges. Aujourd’hui, la France est le dernier pays occidental à ne pas considérer le Rwanda comme une dictature. Il y a une « exception française. » En France, on est trop favorable à KAGAME comme autrefois on était trop favorable à HABYARIMANA. »

Douterait-il de la capacité de la justice française de juger de façon impartiale? (Question de l’avocat général)

« Vous avez bien résumé ma position. Mais je ne connais pas l’accusé, je ne peux donc pas porter un jugement sur un accusé que je ne connais pas. Mais on est toujours dans un contexte français. Je voulais simplement  vous inviter à une prudence. j’essaie d’être utile mais ne doute pas de votre professionnalisme et de votre indépendance ».

Maître MATHE ne manquera pas de remercier le témoin  qu’elle a écouté « avec grand intérêt« . Elle le remercie pour sa « hauteur de vue » et se demande quel intérêt a le Rwanda à instrumentaliser les témoins (NDR. Pour maître MATHE, c’est une certitude).

Et le témoin de se répéter; « Vous allez à l’essentiel… Une minorité s’est accaparé le pouvoir. Le génocide est une rente de situation: « J’ai mis fin au génocide et suis le garant moral des victimes ». Le pouvoir de KIGALI utilise le génocide pour se mettre à l’abri des critiques. Je ne vois pas mes confrères écrire en France avec honnêteté, comme moi j’étais: j’étais trop FPR. Ils sont sous l’influence d’un contexte français. La même chose s’applique à la justice… Poursuivre des gens, oui, s’ils ont participé au génocide, si on prouve leur responsabilité. »

Pourrait-il retourner au Rwanda aujourd’hui? Il y est retourné en 1996 avec Hubert VEDRINE et le premier ministre britannique de l’époque. On ne l’a pas expulsé. C’était au moment où le président BIZIMUNGU, qui voulait créer son propre parti, a été arrêté.

Janvier AFRICA? « Nous avons tous pris son témoignage au sérieux.  C’est lui qui a accrédité la thèse de l’Akazu (avec Christophe MFIZI), proche famille de madame HABYARIMANA qui a été présentée comme une sorcière. Alors qu’elle est très religieuse, elle aurait instillé la mort de son mari? C’est inconcevable! Janvier AFRICA a fui au Cameroun. Sa thèse se révèle vide. Son témoignage ne tiendrait pas la route aujourd’hui. Je l’ai rencontré au Cameroun: je me suis rendu compte que son témoignage était sans valeur. Il a été sous influence, il n’y avait aucune substance dans son témoignage. Il est mort précocement en exil. »

Maître Meilhac rend hommage à son tour au témoin, revient sur l’attentat dont on ne connaîtra peut-être jamais les commanditaires, ce qu’il regrette.  Regrets partagés par Stephen SMITH. Accuser les extrémistes hutu alors qu’on n’a aucune preuve, ce n’est pas normal. Il laisse entendre que le juge Bruguière avait de vrais éléments pour accuser le FPR. Normal que le Rwanda n’ait pas enquêté? Rires du témoin qui dit ne pas être ici pour pour décréter ce qui est normal ou pas. Pour KAGAME, le génocide commence en 1959 (NDR. Il n’est pas le seul!) C’est plutôt normal que le Rwanda n’ait pas enquêté.

Et de conclure son intervention: « Je veux être bien compris. Vous appeler à la vigilence, c’est une sorte d’intrusion, mais moi-même je suis passé par là. Je ne veux pas être un donneur de leçon. Si chacun de vous est de bonne volonté, j’en prends acte. Merci de votre prudence. » (Fin).

Par Alain Gauthier, président du CPCR; Jules COSQUERIC, bénévole et Jacques Bigot pour les notes et la mise en page.

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