Audition de Mathieu NDAHIMANA.
Audition d’Appolonia CYIMUSHARA, partie civile.
Audition de Charlotte UWAMARIYA, partie civile.
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Le compte rendu du lundi 25 novembre a été complété avec l’audition de madame Foibe MUHIGAYANA, partie civile.
Audition de monsieur Mathieu NDAHIMANA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin, détenu et condamné à 30 ans de prison par une gacaca pour avoir participé aux massacres de NYAMURE, KARAMA et RWEZAMENYO. Il était le responsable du Centre de Santé de NYAMURE. Assistant médical, on l’appelait aussi « Muganga » (docteur). Il avait été nommé bourgmestre en remplacement de Narcisse NYAGASAZA, le 22 mai 1994. Il n’occupera ce poste que pendant trois jours, chassé par l’arrivée du FPR. Il a fui alors vers le Zaïre puis le Congo Brazzaville. Dès son retour en 1997 (il dit être rentré volontairement), il sera incarcéré.
Le témoin dit avoir connu l’accusé avant le génocide. Ils s’étaient rencontrés lors de l’élection d’un nouveau bourgmestre de NTYAZO, en février/mars 1993. C’est Narcisse NYAGASAZA (PL) qui avait été élu. Mathieu NDAHIMANA appartenait au parti PSD. BIGUMA était superviseur de ces élections dont il devait assurer la sécurité. Ses relations avec BIGUMA n’étaient que professionnelles.
Une anecdote. Philippe HATEGEKIMANA l’avait aidé à arrêter quelqu’un qui l’avait escroqué et ils avaient partagé un repas en guise de reconnaissance.
Monsieur le président fait remarquer au témoin qu’il avait hésité entre la photo 1 et 4 lorsqu’on lui avait présenté une planche photographique. Il est vrai que 22 ans s’étaient écoulés. En 2019, en confrontation, il avait dit que celui qui lui faisait face « ressemblait » à BIGUMA. Il reconnaît aujourd’hui BIGUMA dans son box: par contre l’accusé dit ne pas le connaître!
Rôle de Mathieu NDAHIMANA en prison. Monsieur le président interroge le témoin sur le rôle qu’il aurait joué en prison en incitant les prisonniers à plaider coupable, comme lui l’avait fait. C’est ce qu’avait déjà dit Israël DUSINGIZIMANA. Des magistrats étaient venus en prison pour organiser ces rencontres. Un « comité gacaca/vérité » avait été mis en place et le témoin avait été élu président de ce comité, parce qu’il avait été un des premiers à avoir plaidé coupable dès son retour et qu’il était un intellectuel qui pouvait écrire la déposition des prisonniers illettrés. Pour avoir exercé cette responsabilité, il n’aperçut aucun avantage, aucune réduction de peine. Ce fut pour lui un soulagement d’avoir avoué ses crimes.
À la question de savoir si les témoins qui viennent à Paris ou qui sont entendus en visioconférence, le témoin est formel: « Je n’ai jamais vu un détenu être forcé de dire ce qu’il avait envie de dire. » Il ne peut donner aucun exemple de témoins qui auraient inventé ce qu’ils ont déclaré! (NDR. Ce que la défense ne cesse de claironner depuis le début du procès, sans jamais pouvoir le prouver, si ce n’est en produisant des articles d’associations qui ont toujours dénoncé le régime en place au Rwanda.)
L’avocate générale demande à l’accusé s’il n’a pas reconnu le témoin. Ce dernier répond: « Peut-être que je le connais mais je ne me souviens pas. » Mathieu NDAHIMANA intervient pour dire que, lors de l’élection de Narcisse NYAGASAZA, BIGUMA « avait applaudi méchamment » (sic). Il n’approuvait pas l’élection d’un Tutsi.
La parole est donnée à la défense et c’est maître GUEDJ qui s’y « colle ». Une petite question sur « le poulet » partagé après l’arrestation de la personne qui l’avait escroqué: il y eu des témoins? « Il y avait d’autres gendarmes! D’ailleurs, tout le monde y a assisté. »
Puis une autre question sur le physique de l’accusé: « Taille moyenne, peu de cheveux, béret rouge… »
L’avocat revient sur le rôle joué par l’accusé en prison. La question a déjà été posée mais il arrive assez souvent au maître GUEDJ de ne pas être très attentif.
Allusion ensuite au fait que l’accusé avait mis BIGUMA hors de cause concernant le Centre de Santé de NYAMURE. L’avocat s’étonne que l’accusé soit allé chercher des renforts à la gendarmerie pour lutter contre les Hutu qui tuaient des Tutsi (on lui avait donné trois gendarmes) et qu’ensuite il avait participé à l’attaque contre les Tutsi. Comment expliquer cette bascule? Le témoin se contente de dire qu’il n’a fait qu’obéir aux ordres de BIRIKUNZIRA et de BIGUMA.
Le meurtre du bourgmestre NYAGASAZA.
Monsieur le président rapporte les propos du témoin lors de ses auditions. Alors qu’il prenait un verre dans un bar du centre commercial de GATI, en compagnie de Martin IYAMUREMYE et François NTAKIRUTIMANA, il a vu une voiture blanche double cabine arriver. C’était le samedi 23 avril 1994. BIGUMA est sorti de la voiture et, s’adressant aux consommateurs, il aurait dit : « Voilà ce grand ennemi du pays. On l’emmène à NYANZA pour l’exécuter. Nous devons agir ainsi compte tenu de la situation actuelle du pays. » Le bourgmestre était assis dans la cabine entre deux gendarmes. Derrière, il y avait des Tutsi parmi lesquels Mathieu NDAHIMANA a reconnu MUSONERA et NYAKARASHI. Pour le témoin, cette arrestation est bien l’élément déclencheur des massacres dans la commune de NTYAZO.
Maître PHILIPPART demande comment le témoin avait reconnu les deux Tutsi dans l’arrière de la voiture. NDAHIMANA répond qu’il savait qu’ils étaient Tutsi et que MUSONERA, il le connaissait comme motard. L’avocate fait remarquer au témoin qu’il avait une femme Tutsi: « Et vous participez au massacre des Tutsi » s’étonne-t-elle. « Ma conscience me l’a reproché », avoue-t-il. Mais ils sont partis ensemble au Zaïre. Et puis, « toutes les autorités avaient des femmes Tutsi, et ils ont participé au génocide! »
Madame l’avocate générale rappelle les propos de Martin IYAMUREMYE qui disait avoir été malade ce jour-là. Le témoin précise qu’il avait bien été malade mais que c’est lui qui l’avait soigné. Ce jour-là, il était bien là.
Maître GUEDJ. Il cite un document dans lequel il est dit: « Après avoir tué le bourgmestre, NDAHIMANA… » laissant entendre que c’est bien le témoin qui aurait tué le bourgmestre. (NDR. Voilà une faute de français qu’on retrouve dans toutes les copies d’élèves et ailleurs. Ce n’est pas ainsi qu’il fallait écrire mais: « Après la mort du bourgmestre, NDAHIMANA…, tout simplement. La défense joue sur cette mauvaise interprétation pour tenter de disculper son client. Tous les témoins disent bien que BIGUMA est allé chercher NYAGASAZA à NTYAZO!)
Maître GUEDJ, une nouvelle fois, revient sur ce fameux télégramme du sous-préfet Gaëtan KAYITANA au ministre de la défense. Ce dernier affirme que NYAGASAZA a été tué par la population alors qu’il cherchait à traverser l’Akanyaru. Le témoin: « C’est FAUX! »
Attaque de NYAMURE. Le témoin dit ce qu’il sait de ces massacres. Alors qu’il était en route, il a été doublé par une voiture dans laquelle se trouvent des gendarmes et beaucoup d’armes. Alors qu’il était à CYEGERA, il a vu les gendarmes monter accompagnés d’une centaine de Hutu portant des armes traditionnelles. Les gendarmes ont tiré des coups de feu et les assaillants ont achevé les survivants.
Il est question ensuite de la lettre que Mathieu NDAHIMANA a écrite au député Adalbert MUHUTU, en date du 27 avril 1994. L’auteur signalait qu’il y avait beaucoup de Tutsi à KARAMA et qu’il avait besoin qu’on envoie des gendarmes.
Une partie civile, Valens BAYINGANA, accuse le témoin d’avoir participé à l’attaque de NYAMURE. Ce dernier s’en défend: « Je ne suis jamais allé à NYAMURE. J’ai plaidé coupable pour les meurtres de MUSENYI où est situé le Centre de Santé ».
Maître Sarah SCIALOM fait préciser au témoin que KARAMA et NYAMURE sont bien sur la commune de NTYAZO. La distance entre les deux collines? « Environ 5 kilomètres« , répond le témoin.
Sur question de monsieur l’avocat général, le témoin affirme qu’aucun hélicoptère n’a survolé les lieux, contrairement à ce qu’ont dit plusieurs témoins.
Maître GUEDJ. Il demande la lecture de l’audition de monsieur Dieudonné NGIRUWONSANGA qui déclare que l’attaque était conduite par NDAHIMANA et MUHUTU. Le témoin conteste.
Maître GUEDJ. Le témoin conduisait. Si l’avocat avait été attentif, il aurait su que monsieur NDAHIMANA n’était pas encore bourgmestre à cette date-là! Même remarque concernant les déclarations d’une partie civile, Colette MUKARUGEMA. Le témoin reconnaît qu’il était armé, d’abord d’une épée, puis une Kalachnikov AK 47 lorsqu’il a été élu bourgmestre. Mais il n’a jamais utilisé cette arme qu’il a remise au colonel MUVUNYI de l’ESO avant de fuir.
Monsieur l’avocat général revient sur la lettre manuscrite que le témoin a adressée a Adalbert MUHUTU le 27 avril 1994. Monsieur NDAHIMANA s’explique: « Adalbert MUHUTU, ex-bourgmestre et député MRND[9], était une autorité politique qui, le 23 avril, avait envoyé un message pour inciter les Hutu à se séparer des Tutsi. C’est lui qui coordonnait les activités liées au génocide. Les renforts sont arrivés le 30 seulement. J’ai participé à l’attaque. Par contre, il nie que BIGUMA ait participé à l’attaque de KARAMA. Ce sont les gendarmes de NTYAZO qui ont attaqué KARAMA. « KARAMA et NYAMURE n’ont aucun rapport« , déclare le témoin en réponse à une question de maître Sarah MARIE.
La réunion au stade de NYANZA le 22 mai 1994. La parole est donnée au témoin. « Cette réunion s’est tenue le jour de mon investiture. J’étais à la recherche de Nicodème, le bourgmestre intérimaire. Je me suis rendu au stade où j’ai reconnu le colonel NDINDILIYIMANA et BIRIKUNZIRA. Il y avait là beaucoup de jeunes qui cherchaient à se faire enrôler dans l’armée. BIGUMA supervisait une distribution d’armes. Ces armes étaient dans des caisses, sur la pelouse. Mais il n’y en avait pas suffisamment: on allait en ramener d’autres. BIRIKUNZIRA encourageait les recrues à aller combattre au front et à s’attaquer aux complices de l’intérieur ».
Madame l’avocate générale évoque une mutation au camp KACYIRU à KIGALI que l’accusé prétend avoir reçue. C’est aussi ce que Mister BLACK, avocat au TPIR[10], avait affirmé: BIGUMA avait été muté le 10 mai. Le témoin est affirmatif. « C’est faux, je n’ai jamais eu connaissance d’une mutation de BIGUMA! »
Maître GUEDJ veut savoir si le témoin a vu son client fin mai à NYANZA. « Affirmatif, comme a l’habitude de répondre l’accusé, BIGUMA n’a jamais quitté NYANZA. »
Monsieur le président lit quelques phrases extraites de l’attestation que le témoin a fait remettre aux responsables du CPCR. L’avocate en profite pour demander au témoin qui lui avait demandé cette attestation. « C’est Alain GAUTHIER« . Et d’expliquer dans le menu détail dans quelles conditions cela s’est passé. Ce qu’il dit correspond tout à fait à la réalité.
Le témoin a bien témoigné dans les gacaca, mais il n’a pas suivi les procès. Personne n’est venu le voir en prison, personne n’a fait pression sur lui, pas de tortures…
Comme s’il n’avait pas écouté les réponses du témoin, maître GUEDJ revient à la charge: « Vous connaissez le couple GAUTHIER? »
Avant de poser sa dernière question, l’avocat revient sur l’article du site RWANDAN en date de 2017 ( NDR. Dont nous avons dit voici quelques jours ce que nous pensions de ce site.) Article dont le titre était, de mémoire: « Le régime KAGAME s’enfonce » . (NDR. N’ayant pas eu accès au document, il m’est difficile d’en dire plus. Mais si cette prédiction s’était révélée vraie, il est étonnant que, depuis 2017, le bateau n’ait toujours pas coulé! ») Dans cet article, il aurait été dit que le témoin avait subi des pressions pour mettre en cause la France dans l’attentat! Le témoin ne connaît pas du tout ce site internet et il n’a jamais subi la moindre pression.
Concernant le témoin qui devait être entendu en fin de matinée, monsieur Jean Damascène MUNYESHYAKA, la cour décide de « passer outre », c’est-à-dire qu’elle renonce à son audition.
Audition de madame Appolonia CYIMUSHARA, partie civile.
Avant le début de l’audition de madame CYIMUSHARA, un débat s’engage concernant les témoignages qui portent sur les attaques sur la colline de KARAMA, ses faits ne faisant pas partie de ceux qui sont reprochés à l’accusé. Il est clair que monsieur le président ne prendra pas le risque de les inclure: il le dit sans ambiguïté. Maître DUQUE, pour la défense, demande tout simplement d’exclure ce témoignage, contestant en particulier les distances que le témoin précise entre les collines de NYAMURE et celle de KARAMA. Madame CYIMUSHARA indique quand même qu’elle a perdu sa mère, Suzana NYIRABUKARA et une sœur sur la colline de NYAMURE. Le témoin sera entendu.
Après avoir remercié la Cour, le témoin commence à raconter son chemin de croix sur la colline de KARAMA. « Le génocide a commencé bien avant 1994. À l’école déjà, on séparait les Hutu des Tutsi. Plus tard, j’ai exercé le métier d’enseignante, mais comme je n’avais pas de diplôme, je suis partie à Kigali où j’ai fait du commerce. On nous a attaqués, on a pillé nos maisons, tué ceux avec qui j’étais, et cela avant même l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA).
J’ai quitté KIGALI le 5 avril, j’ai pu traverser la Nyabarongo ( NDR. Rivière que l’on rencontre à la sortie de la capitale en direction de BUTARE.) En passant à KIRUHURA où j’avais enseigné, je rencontre Augustin SEKAMONYO, une personne que j’avais connue quand j’enseignais: ce dernier m’a giflé en disant: « Nous la retrouverons dans son clan des ABAJIJI. »
En arrivant chez moi, j’ai demandé aux miens de fuir mais ils ont tous refusé. Les ABAJIJI avaient la réputation d’être de grands combattants. Ils ont beaucoup résisté à KARAMA, se sont organisés en se répartissant les rôles. Il y avait là, sur la colline, beaucoup de réfugiés venus d’ailleurs dès le 9 avril. Nous avons subi plusieurs attaques de la part des Interahamwe. Des réfugiés burundais étaient venus aussi en provenance de NTYAZO. (NDR. Beaucoup de ces réfugiés ont participé au génocide dans la région). Une femme nous a signalé que le bourgmestre NYAGASAZA avait été arrêté par BIGUMA. Les ABAJIJI étaient bien décidés à se battre.
Est alors arrivé le véhicule d’un commerçant, monsieur MUSHUMBA: sa femme et ses enfants l’accompagnaient. Une bagarre s’est déclenchée, nous avons arraché le fusil d’un assaillant mais comme personne ne savait s’en servir, nous l’avons enterré. Le véhicule a été incendié. Nos combattants ont arrêté la femme du commerçant, l’ont interrogée. Elle a révélé que des gendarmes de BIGUMA avaient l’intention de venir éliminer les Tutsi de KARAMA. Le fils de l’ex-bourgmestre de NTYAZO, monsieur NZARAMBA, faisait partie des assaillants et il a été tué. Après chaque attaque, chaque camp enterrait ses morts.
Pendant que NZARAMBA était allé chercher du renfort à BUTARE, nous avons connu deux jours de calme. C’est un dimanche vers 10 heures que nous avons connu l’apocalypse. C’était le 1er mai. Nous avons vu arriver trois bus avec des militaires et des réfugiés burundais. La population avait encerclé la colline. Les gendarmes ont tiré beaucoup de balles sur nous, causant beaucoup de morts, même les vaches tombaient sous les tirs. Un véhicule empli de caisses de bières est arrivé pour remercier les tueurs. On décomptera entre 27.000 et 30.000 morts. Les massacres ont cessé avec l’arrivée de la pluie et de la nuit. Les assaillants ont dépouillé les cadavres, même des femmes mortes ont été violées.
BIGUMA, accompagné d’un groupe d’intellectuels, a fait éventrer une femme enceinte. Je suis alors tombée et BIGUMA, me croyant morte, m’a piétiné l’épaule. J’en garde une grosse cicatrice. Je remercie BIGUMA d’avoir dit que j’étais morte, car s’il ne l’avait pas dit, je ne serais pas là aujourd’hui. »
Le témoin va évoquer ensuite ce qu’elle appelle son « calvaire ».
« Mes parents avaient déjà été tués. On a été confrontés à des problèmes indescriptibles. Enfermée dans une maison où je suis restée deux semaines, j’ai été violée, « violée du sexe au cerveau » (sic). C’était comme si j’étais morte. (NDR. A ce moment-là, on sent l’émotion s’emparer de certains jurés et des rares personnes du public). Je vous sais gré de m’avoir écoutée. Il avait été convenu entre nous, au sein des ABAJIJI, que celui qui survivrait devait témoigner.
Monsieur le président demande alors au témoin de citer les noms de ses proches qui ont été tués à NYAMURE. Maître PHILIPPART, avocate du CPCR, remercie madame CYIMUSHARA pour son courage et lui fait préciser quelques éléments de son témoignage. Madame l’avocate générale, à son tour, remercie le témoin.
Les quelques questions de maître DUQUE, pour la défense, porteront sur le bourgmestre NYAGASAZA dont elle a appris la mort par la femme de monsieur MUSHUMBA. L’avocate de l’accusé conteste les indications géographiques données par le témoin. La distance entre les collines de NYAMURE et celle de KARAMA ne correspond pas à ce que les cartes peuvent indiquer.
Audition de madame Charlotte UWAMARIYA, partie civile.
Le témoin commence son témoignage en précisant qu’une grande partie de sa famille a été exterminée pendant le génocide des Tutsi, dont plusieurs à l’ISAR SONGA.
« J’habitais la région du MAYAGA où le génocide a commencé le 20 avril 1994. Autrefois, cette région était habitée par beaucoup de Tutsi, il n’y avait jamais eu de troubles si bien que beaucoup de ces Tutsi étaient installés là sans avoir fui. D’autres réfugiés étaient arrivés d’un peu partout.
Les 21 et 22 avril, beaucoup d’entre nous ont voulu traverser l’Akanyaru pour se réfugier au Burundi. Notre groupe a été arrêté en route, alors que ceux qui nous précédaient avaient pu passer. Nous avons rebroussé chemin. Nous nous sommes rassemblés sur la colline de RWEZAMENYO et le 23 avril au matin, des Interahamwe ont encerclé la colline et ont lancé des attaques. On a entendu des clameurs et des balles qui sifflaient au-dessus de nous.
Ceux qui pouvaient courir ont été sauvés, les autres ont été tués. Ma grande sœur, Mathilde UWIMPUHWE, capturée par les Interahamwe a été torturée. Au procès en première instance, j’ai appris que c’est Mathieu NDAHIMANA, auprès de qui se tenait BIGUMA, qui lui a arraché les yeux et la peau du visage.
Nous avons quitté RWEZAMENYO pour nous rendre à KARAMA. En route, nous avons rencontré beaucoup d’autres personnes, environ 30 000 réfugiés. Nous sommes restés là quatre ou cinq jours, le visage de ma sœur MATHILDE était mangé par des asticots.
Une rumeur a circulé que les femmes et les jeunes filles pouvaient rentrer chez elles. Nous nous sommes regroupés dans deux maisons différentes que des Interahamwe sont venus attaquer. Mais comme il n’y avait pas d’hommes, ils sont repartis. Le 28 avril, ils ont de nouveau encerclé la maison: c’est ce que nous avons constaté alors que j’étais sortie avec ma cousine chercher de l’eau. Ma mère, ma tante, ma petite soeur Dative, une voisine de ma tante avaient été tuées. Les Interahamwe sont revenus et ont violé les femmes et les grandes filles. Ils portaient les vêtements des nôtres, souillés de sang, machettes et gourdins en main. Mon père est revenu avec d’autres personnes et les Interahamwe ont fui.
J’ai voulu aller voir où ma mère avait été tuée. La maison était remplie de sang. J’ai accouru vers ma petite sœur: comme elle avait les yeux ouverts, j’ai cru qu’elle était encore vivante. Je l’ai soulevée et une partie de son cerveau est tombée dans mes mains. C’est la première fois que je voyais des morts: j’ai hurlé pour que quelqu’un vienne. Une personne est arrivée et nous sommes repartis à KARAMA. Nous sommes restés là plusieurs jours. Nos hommes étaient armés d’arcs et de flèches, ils lançaient des pierres sur les assaillants.
Des Interahamwe sont venus en compagnie du fils de NZARAMBA à bord d’un véhicule qui sera incendié. Le fils de l’ex-bourgmestre sera tué, ce qui a mis les assaillants en colère. C’est le lendemain que la grande attaque a eu lieu, avec la présence de gendarmes et de militaires. Vers 9 heures, nous avons essuyé une pluie de balles. Nous nous sommes dispersés en courant. Les gens tombaient autour de nous. C’est là que ma sœur Mathilde, mon père et mes oncles sont morts. Seules une trentaine de personnes survivront.
Nous nous sommes cachés dans les buissons, pourchassés par des chiens. Je suis repartie à la maison pour voir si les miens avaient été enterrés. Des chiens et des rapaces se repaissaient des corps. J’ai continué à me cacher jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi, que je remercie. Nous étions seuls, il n’y avait plus personne pour s’occuper de nous, il n’y avait plus rien dans la maison, tout avait été pillé. Les Inkotanyi nous ont aidés à survivre sans vengeance. Ils nous ont aidés à nous reconstruire ».
Madame Charlotte UWAMARIYA termine son témoignage en remerciant la Cour pour son œuvre de justice.
Sur question de monsieur le président concernant la cohabitation entre bourreaux et victimes, le témoin précise: « Nous habitons ensemble. Tous les Hutu n’ont pas tué. Ceux qui ont tué ont parfois demandé pardon. Nous avons besoin les uns des autres pour reconstruire notre pays. Aujourd’hui, nous sommes tous des Rwandais, loin des « ethnies » qui sont à l’origine de tous nos maux ».
Toujours sur questions du président, le témoin dit que beaucoup de membres de sa famille sont morts à NYAMURE, à l’ISAR SONGA. BIGUMA était présent avec Mathieu NDAHIMANA.
Maître PHILIPPART remercie madame Uwamariya et lui fait nommer les proches de sa famille qui sont morts: sa grand-mère Adèle MUKANDUGUJE, Innocent NYOMBAYIRE et Jean NYAMIRA. Le témoin est resté 5 jours à KARAMA, sa maman et autres membres de sa famille ont bien été tués le 28 avril. Les gendarmes portaient des tenues kaki, les Interahamwe avaient mis des feuilles de bananier autour de la tête. Par contre, elle n’a pas vu les tueurs, ils n’entendaient que le bruit des balles.
À son tour, madame l’avocate générale remercie madame UWAMARIYA pour son témoignage.
Monsieur le président demande à l’accusé s’il veut réagir à ce que les témoins du jour ont pu dire.
Mathieu NDAHIMANA? « Aucune vérité dans ce qu’il dit. »
Apollonia CYAMUSHARA? « C’est douloureux pour eux, ça fait mal, moi qui suis père et grand-père. Mais je n’y suis pour rien. »
Charlotte UWAMARIYA? Même réaction: « Elle était jeune, elle a perdu ses proches, ce n’est pas facile pour elle. Mais je n’y suis pour rien. »(Fin).
Alain GAUTHIER, président du CPCR ; Coline BERTRAND, stagiaire ; et Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page