Allocution du Ministre marocain des Affaires Etrangères lors de la Réunion ministérielle du Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA

New York: Le Ministre marocain des Affaires étrangères et de la Coopération Internationale, Nasser BOURITA, a prononcé une Allocution à l’occasion de la Réunion ministérielle du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine à New York, ce 27 Septembre 2019. Voici le texte intégral :

«L’interdépendance entre paix, sécurité et développement : Vers un engagement collectif pour l’action»

Monsieur le Président de la Commission de l’Union Africaine ;
Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères de la République Arabe d’Egypte, Président en exercice de l’UA ;
Excellences, Mesdames et Messieurs les Ministres ;
Mesdames et Messieurs ;
Chers Sœurs et Frères ;

Je me sens doublement honoré aujourd’hui :
– d’abord d’assumer personnellement la présidence du Conseil de Paix et de Sécurité de notre organisation ;
– ensuite de voir se tenir ce débat de haut niveau autour du thème essentiel, de « l’interdépendance entre paix, sécurité et développement : vers un engagement collectif pour l’action ».

Nous avons tenu à optimiser l’heureuse coïncidence entre la présidence marocaine du CPS et la 74ème session de l’Assemblée Générale de l’Onu, pour placer notre Union au cœur du multilatéralisme mondial.

Notre souhait – notre ambition – est de générer un momentum pour que, l’Union Africaine intègre, de plus en plus structurellement, dans ses décisions, ses politiques et ses programmes d’action, la corrélation paix, sécurité et développement.

Je suis certain que nos échanges, aujourd’hui, nous permettront de faire un pas dans ce sens. Je tiens, donc, à remercier chacun de vous, chers frères et collègues, de votre participation.

Excellences,
Mesdames et Messieurs,

La dialectique entre fragilités économiques, sociales et politiques, et tensions sécuritaires et conflits, n’est plus à démontrer. L’insécurité, sous toutes ses formes, handicape toute perspective d’essor économique, autant que les déficiences de développement socio-économique, font le lit de l’insécurité et de l’instabilité.

C’est sur notre continent – l’Afrique – plus qu’ailleurs, que cette dialectique tragique s’exprime dans les termes les plus acerbes :
− Plus de 90 situations de conflit en Afrique ; chiffre obstinément stable depuis plus de 5 ans.
− Plus de 26 millions de personnes relevant de la compétence du HCR, dont deux tiers de déplacées (l’autre tiers étant des réfugiés).
− Plus 18 milliards de dollars absorbés, annuellement, par l’effort de guerre, au lieu d’être reversés dans l’effort de développement. C’est une perte annuelle de 2,5 points de PIB par pays concernés.
− Quelques 100 millions d’armes légères et de petit calibre sont en circulation en Afrique : ce sont 20% des armes, concentrés dans 6% de la superficie du globe !

Ces chiffres glaçants ne sont pas rappelés pour provoquer une indignation collective, mais pour provoquer une mobilisation collective. Il n’y a pas de développement sans paix et sécurité ; mais il n’y a pas, non plus, de sécurité et de stabilité sans développement.

La situation n’est pas rose, mais le tableau n’est pas noir : Nous ne partons pas du néant. La corrélation “paix, sécurité et développement” – aussi élémentaire que cardinale – est inscrite dans les textes mêmes de notre Union, ainsi que dans ses instances et ses interactions :

–Nous la retrouvons dans l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité, l’Architecture de Gouvernance Africaine, et l’Initiative Africaine de Solidarité ;
– Nous la retrouvons dans les organes en charge du développement économique de l’Afrique, telles l’Agence de Développement de l’UA et la Banque Africaine pour le Développement, pour ne citer que celles-là ;
– Nous la retrouvons, enfin, dans les interactions entre l’Union Africaine les Nations Unies, notamment le Partenariat entre l’ONU et l’UA pour le programme d’intégration et de développement de l’Afrique 2017-2027, ainsi que le Cadre Commun ONU-UA pour un partenariat renforcé en matière de paix et de sécurité.

C’est dire que les outils sont en place ; ce sont les mesures pratiques qui font encore défaut.

Des mesures pratiques qui doivent permettre l’intégration systématique de l’interdépendance entre paix, sécurité et développement, dans la gestion du cycle des conflits (prévention des conflits ; maintien de la paix ; consolidation de la paix).

Nous tenons, à cet égard, un cadre et une opportunité historique : la future réflexion sur l’avenir du projet phare de notre Union : « faire taire les armes d’ici 2020 ».

Nous avons la responsabilité d’être à la hauteur de l’Histoire !

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Si la paix reste le défi lancinant du continent, nous sommes heureux de constater que des réussites sur la voie de la stabilisation de notre Continent, font souffler une brise de paix que nous sommes appelés à faire perpétuer.

Ce n’est pas de l’autosatisfaction que de les relever. Au contraire : s’y arrêter, c’est témoigner à nous-mêmes, africains, et à la communauté internationale, que la paix en Afrique est à portée :

– L’accord de paix entre l’Ethiopie et l’Erythrée, signé en août 2018,
– l’accord de paix global entre le Gouvernement de la République Centrafricaine et les groupes armés, signé en février 2018 ;
– l’accord de transition politique au Soudan, signé en août 2019,
– l’Accord de Paix au Mozambique entre le FRELIMO et la RENAMO, signé en août 2019,

Ce sont là autant de pas dans la marche de notre Continent vers la stabilité et la paix. Nous pouvons nous en réjouir, et espérer voir ces accords se dupliquer dans d’autres zones de tensions et de conflits de notre Continent.

J’aimerais m’arrêter un instant sur l’exemple du Soudan. La mise en place d’un gouvernement de transition devant mener à un pouvoir civil fondé sur une bonne gouvernance et des institutions solides, marque le début d’une nouvelle ère pour ce pays frère.

Ce n’est que justice, que de rendre hommage, ici – un hommage bien mérité – au Président de la Commission de l’UA, Son Excellence Monsieur Moussa Faki Mahamat. Au moment où tout le monde espérait, où beaucoup hésitaient et où certains même compliquaient ; vous, vous avez eu la sagesse de respecter la volonté des protagonistes soudanais, sans les paterner ; vous avez eu la clairvoyance de mise sur le dialogue, sans jamais vous satisfaire d’autre chose que l’entente ; et vous avez eu la perspicacité des hommes qu’il faut – sages comme vous – pour mener à bien cette noble mission (avec votre Envoyé Personnel Lahcen Lebbat, et votre Envoyé Spécial Mohamed Belaich).

Il faut reconnaitre le courage et la Vision, lorsqu’ils s’expriment. Vous en avez fait la preuve éclatante, Monsieur le Président. Quoi de plus naturel, dans ces conditions, que vous emportiez l’adhésion et le soutien du Royaume du Maroc. Je me réjouis que ce soit sous la présidence marocaine du CPS que la suspension du Soudan ait été levée. Une page est tournée.

L’expérience du Soudan n’est pas un accident de l’Histoire, suivi d’une “success story”. C’est une source d’inspiration et un registre de bonnes pratiques. Je pense particulièrement à la Libye en disant cela.

La situation dans ce pays frère reste un crève-cœur pour nous. Dieu sait que nous n’avons ménagé aucun effort – et nous continuons – afin que les frères libyens retrouvent le chemin de la concorde et que la Libye renoue avec la paix.

L’Accord de Skhirat fut – et demeure – un bon accord. Mais comme tout accord, il ne vaut que par la volonté et l’engagement de le mettre en œuvre. Il ne doit pas servir d’alibi, mais de base constructive, de point de départ pour agréger les volontés, au besoin en l’adaptant à la réalité.

Cependant, parfois, la prolifération des initiatives aboutit à une situation où elles s’aliènent mutuellement. L’on ne peut que regretter que la Libye en ait fait l’amère expérience.

Or, il existe assurément une tierce voie qui ne passe ni par ni par la déstabilisation, ni par le statu quo. Celle qui porte les intérêts du peuple libyen. Celle qui passe, nécessairement, par la remobilisation franche, efficace et cohérente. L’Union Africaine a ici un rôle important à jouer.

Excellences,
Mesdames et Messieurs,

S’engager pour le nexus paix, sécurité et développement, c’est œuvrer inlassablement pour relever le défi de l’émergence de notre Continent. C’est le choix que Sa Majesté le Roi Mohammed VI a fait pour le Maroc :
« La décision du Maroc de réintégration de l’Union africaine est le couronnement de notre politique africaine et de l’action solidaire que le Maroc mène sur le terrain avec de nombreux pays du continent pour y assurer la promotion du développement économique et humain, au service du citoyen africain ».

Or, le relèvement de l’Afrique passe, tout autant, par une refonte de ses institutions continentales, par le processus d’intégration régionale et par le relèvement du défi du développement humain. Tout processus de transformation du continent ne saurait échapper à la satisfaction de ces paramètres.

La réforme de l’Union africaine est un chantier majeur, dans lequel le Maroc est engagé. Notre famille institutionnelle doit évoluer vers une plus grande efficacité et une rationalisation de l’organisation panafricaine, afin d’être en phase avec les attentes des populations africaines.

Dans cet esprit, la proposition de confier au Président de la Commission de l’Union Africaine le soin de préparer un document cadre pour une approche multidimensionnelle qui reflète les liens entre la paix, la sécurité et le développement, est pertinente à plus d’un titre :
− Il dressera l’état des lieux de la mise en œuvre de ce nexus dans les politiques de notre Union ;
− Il identifiera les mesures appropriées pour une intégration plus forte de ce nexus par les organes de notre Union ;
− Enfin, il élaborera une feuille de route qui sera le prélude d’une doctrine africaine en la matière.

Concernant plus particulièrement le Conseil de Paix et de Sécurité, le Maroc appelle à l’intégration systématique de l’articulation entre les dimensions paix et développement, dans les relations entre le CPS et le Conseil de Sécurité des Nations Unies.

C’est là, la clé d’une relation constructive, qui nous permettra d’aller ensemble vers la voie d’une action convergente entre le CPS et le Conseil de sécurité, en conformité avec les dispositions pertinentes du Chapitre VIII de la Charte de l’ONU.

Cette relation, faut-il le rappeler, devrait, en particulier, tenir compte du principe de la subsidiarité, de la responsabilité principale et de la compétence universelle du Conseil de sécurité de l’ONU, en matière de maintien de paix et de sécurité.

C’est ici l’occasion de souligner l’impératif d’un CPS renouvelé et réformé, capable de répondre aux exigences et aux défis de notre monde contemporain. Notre objectif doit être d’aboutir à un CPS efficient, homogène et cohérent, à même d’assumer son rôle dans le cadre de l’Architecture de paix et de sécurité africaine (APSA).

Monsieur le Président de la Commission de l’Union Africaine ;
Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères de la République Arabe d’Egypte, Président en exercice de l’UA ;
Excellences, Mesdames et Messieurs ;

Comme l’a rappelé Sa Majesté le Roi Mohammed VI : « Aujourd’hui, il nous incombe de réfléchir, ensemble, à des conceptions et à des méthodes nouvelles, qui soient le début d’un grand projet ambitieux, tendant à réunir de nouvelles conditions à même de contribuer à faire sortir l’Afrique de sa situation actuelle, en commençant par déclarer une guerre totale et définitive à la pauvreté ».

Fort de sa conviction des liens indissociables entre paix-sécurité-développement, le Maroc n’épargne aucun effort pour contribuer aux efforts de développement et de stabilisation de l’Afrique, dans le cadre de sa politique solidaire et agissante.

De même, le Maroc reste attaché à partager son expérience en matière de développement humain avec ses frères africains, à travers la réalisation de nombreux projets structurants et ayant un impact direct sur la vie des populations africaines, dans les secteurs de l’enseignement et de la formation professionnelle, de l’eau, de l’agriculture, de la sécurité alimentaire, de l’électrification et de la santé.

Le Royaume du Maroc croit, ainsi, fermement que la réponse aux défis sécuritaires et aux insuffisances de développement, passe par l’action concertée sur le terrain. C’est main dans la main, en mutualisant les ressources disponibles, que nous tendrons vers un avenir plus prometteur pour les générations africaines futures.

Puisse notre réunion d’aujourd’hui être le point de départ d’une nouvelle étape, décisive, pour définir une vision commune responsable concernant les liens entre paix, sécurité et développement. Je vous remercie de votre attention. (Fin)