Charles Onana à Montréal en 2023
Le dernier jour du procès du franco-camerounais Charles Onana et de Damien Serieyx a débuté ce vendredi 11 octobre à 9h30 par l’appel des trois témoins devant se présenter à la barre. Finalement, seuls deux seront présents.
Le premier témoin entendu est Jacques Hoggard, colonel à la retraite ayant servi au Rwanda de juin à août 1994 dans le cadre de l’opération Turquoise. Celui-ci a seulement déclaré au tribunal qu’il était particulièrement sensibilisé à ce qu’il se passait dans cette région de l’Afrique. Interrogé par la Présidente sur l’ouvrage en cause, il a déclaré en avoir eu une impression favorable bien que certains termes pouvaient être discutés. Toutefois, il ne l’a pas lu en entier. Sur son expérience au Rwanda durant l’opération Turquoise, il a insisté sur l’agressivité des médias anglo-saxons à l’égard de leur intervention ainsi que de l’armée américaine. Il a également affirmé avoir reçu beaucoup de témoignages des exactions du FPR. Pour lui, aucun camp de ne serait meilleur qu’un autre, mais cela peut être affirmé de manière plus ou moins adroite.
Vers 10h, Hamuli Rety est appelé à la barre. Avocat de profession, il est venu témoigner de son expérience au sein de TPIR en tant que président de l’association des avocats du TPIR. Il a ainsi expliqué qu’il était très difficile pour les avocats de la défense de trouver des experts et des témoins à faire citer. En cela, Charles Onana aurait été très important de par ses travaux mais également par les témoins qu’il a apportés. En effet, ONANA lui aurait lui-même présenté un témoin Tutsi prêt à témoigner dans l’une de ces affaires. Il a expliqué que ce témoin était un descendant de la famille royale Tutsi, et que grâce à son témoignage son client avait été acquitté. Selon lui, il est possible de reconnaître l’existence de crimes sans pour autant reconnaître leur qualification. Les politiques auraient voulu trouver des « mots chocs », tel que celui de génocide, pour manipuler l’opinion publique. S’agissant des écrits d’Onana, il n’a pas été interpelé par ce qu’il a pu lire.
Après une courte suspension d’audience, le président d’Ibuka France, Marcel Kabanda, a été auditionné. Il a ainsi expliqué au tribunal comment les Tutsi avaient été stigmatisé avant le génocide, et notamment tout le travail de mise à l’écart qui avait été fait. Il a également exposé les éléments qui prouvent que la mise à mort des Tutsi après l’attentat du 6 avril 1994 avait été décidée bien avant (mise en place dans la nuit de troupes de tueurs, de barrières pour contrôler la fuite des Tutsi). Il a notamment insisté sur le rôle des médias dans l’encouragement et la justification du génocide. Il a également rappelé que les conséquences du négationnisme pour ceux qui survivent, et que nier la vérité du génocide, c’est également nier l’existence de ceux qui sont morts et ceux qui ont survécu. Il a ainsi demandé à la justice de « confirmer la justice ».
Jean-François Dupaquier a ensuite été entendu en début d’après-midi. En tant que spécialiste de la région des Grands lacs les années 1970, il est venu expliquer que l’ouvrage de Charles ONANA niait, de manière plus ou moins insidieuse, le génocide des Tutsi. Il a ainsi rappelé que depuis une décision du TPIR du 16 juin 2006, le génocide n’était plus à prouver. La planification a été prouvée par le Tribunal dans le cadre du procès des médias mais également par de nombreuses condamnations pour entente en vue de commettre un génocide. Il a ensuite rappelé les éléments de l’ouvrage que l’auteur a mis entre guillemets autre que le génocide, puis a expliqué en quoi il s’agissait du vocabulaire classique des auteurs négationnistes. Il a fait référence par exemple à l’expression d’«histoire officielle », utilisée par eux pour se présenter comme victime d’un complot. Selon Dupaquier, ce sont les mêmes concepts, les mêmes idéologies que l’on retourne dans l’ouvrage incriminé qui ont conduit au génocide de 1994. Il a terminé par affirmer que Charles Onana était aujourd’hui le seul négationniste à épouser l’intégralité des dix commandements du Hutu publiés dans le journal Kangura. Interrogé par la Défense, il a affirmé que le travail d’Onana était loin d’être un travail scientifique, plutôt un travail partial d’une personne inspirée par le négationnisme radical depuis toujours.
Un représentant de l’association Survie a ensuite été entendu. Après avoir présenté l’association, il a rappelé les raisons pour lesquelles elle avait déposé une plainte avec constitution de partie civile. La Défense a notamment porté ses questions sur les relations de Jean Carbonare, ancien président de l’association, et Paul Kagame.
Les plaidoiries des conseils des parties civiles ont débuté vers 15 heures. Me Rachel Lindon a commencé par rappeler au tribunal l’objet du procès, qui est de juger des propos négationnistes. Le négationnisme est quelque chose d’inhérent au génocide, quelque chose qui est présent dès le projet génocidaire et qui persiste autant pendant son exécution qu’après. Elle a également rappelé que la planification n’était pas à remettre en doute, car si elle n’apparait pas dans la définition de la convention internationale de 1948 sur la prévention et la répression du terrorisme, elle est inhérente à l’extermination d’un peuple. La planification du génocide des Tutsi est également un élément qui a été prouvé par le TPIR qui a prononcé quatre condamnations pour entente en vue de commettre un génocide.
Me Sabrina Goldman, avocate de la LICRA, a ensuite pris la parole en rappelant au tribunal la réalité du génocide des Tutsi, qui ont été tués pour ce qu’ils étaient, et dans le but d’anéantir leur gène. Le coeur du procès n’est d’ailleurs pas là, il ne s’agit pas de juger la qualification du génocide. Car la défense a tenté de détourner ce procès, en faisant croire que l’histoire n’était pas établie. On peut dire ce qu’on veut du régime de Paul Kagame, sur l’opération Turquoise, sur le fait qu’on ne parle pas assez des autres crimes contre l’humanité, mais ce n’est pas l’objet du procès. Aucun historien digne de ce nom n’a jamais été condamné pour négationnisme. Le négationnisme du génocide des Tutsi au Rwanda consiste à admettre la réalité des morts mais de refuser de qualifier comme tel le génocide avec des guillemets. Maitre Goldman a terminé sa plaidoirie en citant Elie Wiesel : « Le bourreau tue toujours deux fois, la seconde fois par l’oubli ».
Me Noémie Coutrot-Cieslinski pour le CPCR a axé sa plaidoirie sur la manière dont Charles ONANA avait minoré et banalisé le génocide dans son livre, au regard de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1981. ONANA a ainsi utilisé deux procédés. Le premier est la négation de la spécificité des victimes du génocide, avec l’idée de tueries généralisées et de violences indifférenciées et une remise en cause du caractère discriminatoire des massacres. Le deuxième procédé est la mystification de la vraie cause du génocide : ONANA insiste sur cette idée d’ouvrir notre « spectre de compréhension ». Elle a rappelé que les témoins cités par la défense ont été interrogés pendant des heures sans jamais parler du génocide : elle dénonce une tentative de suppression du génocide dans les débats. Elle a également insisté dans sa plaidoirie sur les différences entre cette affaire et le procès de Natacha Polony, dont les circonstances sont à distinguer.
Me Richard Gisagara, conseil de l’association Communauté rwandaise de France a mis en exergue le travail d’un idéologue plus que d’un politologue. Il ne s’agit pas d’un travail scientifique, mais d’un travail partial, où il fait état de ses opinions personnelles. Il a dénoncé une stratégie de destruction de la vérité, que le tribunal doit condamner pour sauver des vies.
Ensuite, le conseil de l’association Survie a pris la parole pour alerter sur un livre dangereux, qui ne soit être mis dans aucune main. Selon elle, la plainte des associations a été traitée comme le génocide, c’est-à-dire par la négation de ce qu’ils disent. Or, en tant que représentants de la société civile, ils ont alerté et elle demande à ce que le ministère public s’en empare, car c’est une affaire de la société. Les victimes ne sont jamais victimes en elles-mêmes, elles sont toujours victime de quelque chose, et nier la qualification du crime revient à les nier eux. Ce crime est déjà un crime qui dépasse l’entendement, on n’arrive déjà pas à y croire. Ce livre prive de la vérité, et les dérives arrivent lorsque l’on ne parle plus des mêmes faits.
Me Patrick Baudouin a ensuite commencé sa plaidoirie par un rappel historique de ce qu’il s’est passé, notamment en citant le rapport de la FIDH de 1993 sur les violations des droits de l’Homme au Rwanda depuis 1990. Il a également mentionné l’horreur à laquelle nous sommes confrontés dans le procès actuellement d’Eugène RWAMUCYO et dans tous ces procès aux assises. Laisser se développer le négationnisme est dangereux, car pour l’instant ce ne sont que des mots, mais après les mots il y a les actes, et c’est exactement ce qu’il s’est passé en 1994. La décision du tribunal aura des conséquences, et elles pourront être dramatiques.
Vers 18 heures, la Procureure de la République a commencé ses réquisitions. Elle a rappellé l’infraction de génocide, et ce que sa négation représente. Le génocide des Tutsi est un fait historique incontestable, reconnu juridiquement par le TPIR comme par les juridictions françaises. La société doit comprendre et accepter le génocide. La planification du génocide a également été reconnue par les juridictions internationales et nationales. Les Tutsi étaient bien un groupe de personnes qui étaient considérés comme devant disparaître. La volonté de rompre la filiation par des meurtres de bébés à naitre suffit à le prouver. La Procureure a également insisté sur le fait que chacun des témoins cités par la défense avaient ajouté un « mais » après avoir affirmé qu’ils ne contestaient pas le génocide. Les passages incriminés dépassent les limites de la liberté d’expression : il y a dans ces passages tout l’arsenal du négationnisme du génocide des Tutsi au Rwanda. S’agissant de l’élément intentionnel du délit de contestation du génocide, il se prouve par la volonté de publier l’ouvrage, par le ton et le vocabulaire dénigrant utilisé, ou encore par la revendication du livre et des propos incriminés par les prévenus.
Les avocats de la défense ont ensuite été invités à plaider devant le tribunal. L’avocat de Damien SERIEYX, Me Pape Ndiogou Mbaye, a souligné le fait que le livre en question n’avait pas pour objet le génocide mais l’opération turquoise. Charles ONANA était contraint de poser le cadre de l’opération militaire. Il a d’ailleurs mis en garde dans son livre le fait qu’il ne s’agissait pas de contester le génocide. Damien SERIEYX a pris toutes ses dispositions pour vérifier la crédibilité du livre, ses sources. Les témoins appelés à témoigner ont confirmé ce qu’il était dit dans les passages en cause. C’est la première fois qu’un livre raconte tout ce qu’il s’est passé au Rwanda. L’éditeur n’avait pas l’intention de publier un livre négationniste car il n’y a pas de contestation du génocide. Il a terminé par affirmer que les autorités rwandaises voulaient circonscrire la parole.
Me Emmanuel Pire a poursuivi en affirmant la démarche positive et sincère de Charles ONANA dans son livre. Il a découvert des faits qui méritent d’être écrits et publiés. Le Rwanda est dirigé par une dictature. Il pose ainsi la question : que peut-on écrire sur le Rwanda ? Il n’est pas question dans ce livre d’affirmer un double génocide. Il ne fait que dénoncer les crimes du FPR, qu’il distingue bien des Tutsi : il ne dit pas que les Tutsi ont massacré les Hutus. Affirme l’abandon des Tutsi par le FPR, qui est un fait historique, ne change rien à la réalité du génocide. Il admet que les guillemets autour du mot génocide était « le cailloux dans la chaussure » du livre. Mais il ne fait que citer quelqu’un d’autre, ce ne sont pas des guillemets ironiques. Il rappelle que le mot génocide n’est pas le seul entre guillemets dans le livre, et que ce n’est pas le cas dans d’autres de ses ouvrages.
L’audience s’est terminée par une nouvelle audition des prévenus. Damien SERIEYX a réaffirmé qu’il ne comprenait pas ce qu’il faisait ici, car il n’y a pas de négation du génocide dans le livre incriminé. Pour lui, sa conviction est faite : ce qui pose problème, ce n’est pas la forme mais le fond, qui résulte pourtant d’un travail approfondi qui dévoile les actions du FPR.
Charles ONANA a ensuite dénoncé le fait que ses propos avaient été détournés, sortis de leur contexte. Il a affirmé qu’il était ici car « Kagame a décidé que je devais être ici ». Kagame n’aurait jamais digéré d’avoir perdu contre lui lorsqu’il a porté plainte en France au début des années 2000. Il affirme se battre pour les droits de tous les rwandais.
La Présidente a levé l’audience après avoir annoncé que la décision du tribunal serait connue le 9 décembre à 13h30. (Fin).
Par Léna Jaouen, Stagiaire Commission Justice Ibuka France