Des Burundais de retour dans leur pays sont rassemblés dans le village de Higiro, dans le nord du Burundi.
Kigali: La communauté internationale ne doit pas relâcher la pression qu’elle exerce sur le gouvernement burundais, a plaidé la Commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi, lors de la présentation à Genève de son rapport au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.
Selon les enquêteurs onusiens, « il faut plus qu’un nouveau Président pour briser le cycle de la violence au Burundi ».
Ils mettent donc en garde la communauté internationale contre « un relâchement prématuré » et une volonté « à tourner la page », «comme si… une élection et une transition politique suffisaient à garantir automatiquement l’amélioration de la situation des droits de l’homme à l’avenir ».
Si la communauté internationale est réellement soucieuse de voir la situation des droits humains évoluer positivement au cours des prochains mois et années, elle doit rester vigilante car « le système de gouvernance mis en place au profit du parti CNDD-FDD reste en place ».
Une façon d’alerter les pays qui tenteraient de « tourner la page comme si l’entière et exclusive responsabilité reposait sur le seul feu Président Nkurunziza », décédé en juin 2020.
Pour la Commission d’enquête dirigée par le Sénégalais Doudou Diène, le système de gouvernance mis en place au profit du parti CNDD-FDD est toujours présent, ainsi que de nombreux facteurs de risque. Des violations des droits de l’homme se sont poursuivies jusqu’à présent et il serait prématuré de se prononcer sur la possible évolution de la situation avec les nouvelles autorités.
Des facteurs de risque, notamment de type structurel, demeurent et ils ne vont pas disparaître du seul fait de la transition politique en cours. Dans ces conditions, « la communauté internationale doit rester vigilante et mobilisée pour encourager des actions qui s’attaquent aux causes profondes des violations des droits de l’homme », a insisté Doudou Diène.
Des « mesures concrètes » attendues pour traduire cette volonté d’ouverture
D’une manière générale, la Commission d’enquête estime que Bujumbura se trouve aujourd’hui « à la croisée des chemins ».
Bien qu’aucune violence massive n’ait été documentée, « le dernier processus électoral a été caractérisé par l’intolérance politique et de multiples violations des droits de l’homme, avant et pendant la campagne électorale officielle, le jour du scrutin et après l’annonce des résultats officiels des élections », a fait valoir M. Diène.
Et dans cette quête du renouveau, « la transition politique pourrait devenir une telle opportunité si, et uniquement si, la communauté internationale reste vigilante et mobilisée à encourager la prise des mesures qui remédient aux causes profondes des violations ».
A cet égard, les enquêteurs onusiens ont pris note de la volonté d’ouverture du nouveau pouvoir. En effet, lors de son discours d’investiture du 18 juin, le nouveau Président, Evariste Ndayishimiye, a souligné « la nécessité d’améliorer la situation des droits de l’homme et la lutte contre l’impunité dans le pays, ainsi que l’importance d’œuvrer à la réconciliation politique et au retour de tous les réfugiés burundais ».
« Cependant, ils ont également souligné que les politiques du nouveau Président seront mises en œuvre par un gouvernement composé essentiellement de caciques du régime du défunt Président Nkurunziza, dont certains sont sous le coup de sanctions en raison de leur implication dans de graves violations des droits de l’homme », tempère ensuite la Commission d’enquête, rappelant les nombreux abus commis depuis 2015, par les forces de sécurité et les membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir CNDD-FDD, connue sous le nom d’«Imbonerakure».
Volonté du Burundi de s’attaquer à la Covid-19 « après des mois de déni »
Dans ces conditions, les enquêteurs veulent juger Bujumbura sur ses actes. Et cette « volonté de changement » passe donc par une coopération avec les mécanismes internationaux des droits de l’homme, dont la Commission d’enquête de l’ONU, mais aussi un geste en faveur des activistes locaux.
« La libération immédiate des quatre journalistes d’Iwacu et des défenseurs des droits humains tels que Germain Rukuki et Nestor Nibitanga constituerait également un geste significatif », soulignent les enquêteurs onusiens.
Par ailleurs, la Commission d’enquête s’est félicitée du fait qu’à la suite de « la mort inopinée » du Président Pierre Nkurunziza le 8 juin dernier, le nouveau Président burundais a décidé de « s’attaquer sérieusement à la pandémie de Covid-19, après des mois de déni ».
« Le Burundi était en effet un des seuls pays au monde où, malgré la présence de cas avérés de la Covid-19, n’a été règlementé ni l’accès aux lieux de réunion tels que les églises, les bars et les restaurants, ni interdit les grands rassemblements sportifs et politiques », a relevé Doudou Diène devant le Conseil des droits de l’homme.
Il a donc noté avec satisfaction que depuis le décès du Président Nkurunziza, les autorités burundaises semblent avoir plus pris « conscience des risques sanitaires » posés par la pandémie « ne serait-ce que par l’abandon du message selon lequel le Burundi serait protégé par la grâce divine ».
Désormais, des messages des plus hautes autorités rappellent à la population la nécessité d’adopter les gestes barrières et de se présenter aux centres de santé pour se faire dépister en cas de symptômes.
« Nous espérons que les autorités prendront, en coopération avec l’OMS, toutes les mesures nécessaires pour enrayer la propagation du coronavirus et seront transparentes quant à la situation de la pandémie dans le pays qui fait l’objet de spéculations », a conclu M. Diène.
En réponse à ce tableau de la pandémie décrit par les enquêteurs onusiens, le Burundi a, de son côté, invité la Commission « à se garder de politiser et dramatiser la situation ». « Par ailleurs, le sadisme avec lequel cette Commission manifeste sa satisfaction de la gestion de cette Covid-19 par rapport au décès du Président Pierre Nkurunziza témoigne d’un déficit d’humanité », a déclaré l’Ambassadeur Rénovat Tabu, Représentant permanent du Burundi auprès de l’ONU à Genève.
« Les scénarios apocalyptiques ont été balayés d’une main par le peuple burundais »
Bujumbura a donc tenu à « informer que jusqu’à preuve du contraire, le Président Nkurunziza n’est pas mort de la Covid-19 ». « Tous les pays du monde entier ont été touchés par cette maladie et la situation au Burundi est aujourd’hui maîtrisée », a détaillé l’Ambassadeur burundais, ajoutant que « les structures sanitaires sont à l’œuvre et les maladies guérissent ».
Selon un bilan établi mardi par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Burundi signale 258 cas confirmés de Covid-19 dont 1 décès.
Plus largement, le Burundi a rejeté le rapport d’une Commission dont « le vrai mandat est de tout faire pour faire changer le système de gouvernance au Burundi» et d’« un mécanisme avec un agenda géopolitique minutieusement et librement accompli au profit notamment de l’opposition politique burundaise ». Le contenu des rapports de cette Commission n’offre pas l’odeur et la qualité d’une expertise onusienne neutre, affirme ce pays. C’est pour cette raison que le Burundi réaffirme son refus de coopérer avec une telle Commission.
De plus, les scénarios apocalyptiques de violations massives de droits humains, présentés par cette Commission dans ses précédents rapports et basés « sur de soi-disant facteurs de risque à l’occasion des élections de 2020, ont été balayés d’une main par le peuple burundais qui a plutôt défié cette Commission et témoigné de sa maturité à prendre en main sa propre destinée », a encore affirmé la délégation. « Par les élections de 2020, le Burundi vient de marquer l’histoire et tourner la page avec la transition pacifique au sommet de l’Etat et la mise sur pied d’un nouveau gouvernement », a poursuivi l’Ambassadeur Rénovat Tabu, tout en invitant les différents partenaires « à changer de vision et poser des gestes de bonne coopération au développement ». (Fin)