Au lendemain de l’annonce des résultats provisoires de l’élection présidentielle congolaise, le Conseil de sécurité des Nations Unies a entendu vendredi la cheffe de la Mission des Nations Unies dans le pays (MONUSCO), le Président de la Commission électorale (CENI) et un représentant de la Conférence épiscopale (CENCO).
«La mise en œuvre du processus électoral entre dans sa dernière ligne droite », a déclaré d’emblée la Représentante spéciale du Secrétaire général pour la RDC, Leila Zerrougui, qui s’exprimait depuis Kinshasa, entourée de Corneille Nangaa, le Président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), et de l’Abbé Otembi de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) – deux organisations congolaises dont les données sur les résultats des élections divergent.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, la CENI a annoncé que Félix Tshisekedi, candidat de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), est arrivé en tête de l’élection présidentielle, devant Martin Fayulu de la Coalition Lamuka et Emmanuel Ramazani Shadary du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) soutenu par le Président sortant Joseph Kabila. La CENCO a, pour sa part, déclaré que les résultats de la présidentielle publiés par la CENI ne correspondent pas aux données collectées par ses observateurs.
Les réactions à l’annonce de la CENI ont été rapides et variées, a indiqué Mme Zerrougui. M. Tshisekedi a salué sa propre victoire en se présentant comme le Président «de tous les Congolais».
Bien que le Front commun pour le Congo ait déclaré qu’il respecterait les résultats de la CENI, la coalition Lamuka a dénoncé ce qu’elle considère comme une fraude électorale, « avec le potentiel de provoquer le désordre dans tout le pays ».
Alors que les résultats ont été salués par des scènes de joie dans certaines places fortes de l’Union pour la nation congolaise (UNC) et de l’UDPS, de nombreux partisans de Lamuka ont reçu la nouvelle « avec un sentiment d’incrédulité», a relaté Mme Zerrougui.
«Malheureusement, de graves incidents de sécurité ont été constatés à plusieurs endroits. Le plus préoccupant s’est déroulé dans la province du Kwilu, où de violentes manifestations auraient fait au moins douze morts, dont deux aux mains de la police nationale et dix civils tués à balles réelles, ainsi que d’importants biens publics endommagés», a déploré la cheffe de la MONUSCO.
Mme Zerrougui a indiqué que la MONUSCO est en train de déployer des équipes à Kikwit, où la mission onusienne n’est pas présente, pour discuter des moyens de désamorcer les tensions. A Kisangani et dans plusieurs localités de la province du Kasaï, des affrontements et des déprédations ont été signalés, des allégations de blessures, d’arrestations et de morts sont toujours en cours de vérification.
La situation est également tendue dans plusieurs communes de Kinshasa, à la suite d’affrontements entre les partisans de Lamuka et de la Coalition pour le changement (CACH) et, dans certains cas, également avec la police, a ajouté la Représentante spéciale, qui a déploré tous ces actes de violence et appelé le peuple congolais et les forces de sécurité à faire preuve de calme et de retenue en cette période critique.
La semaine à venir pourrait être marquée par des contestations et un contrôle par la justice des résultats provisoires de l’élection, les résultats définitifs devant être annoncés par la Cour constitutionnelle dans un délai d’une semaine.
«Les prochains jours seront donc déterminants pour la conclusion de ce processus électoral historique», a annoncé Mme Zerrougui. La Représentante spéciale a assuré qu’elle continuerait d’user de ses bons offices auprès de toutes les parties prenantes congolaises pour plaider en faveur du calme et du recours aux procédures judiciaires établies.
«Des millions de femmes et d’hommes congolais ont démontré leur engagement envers le processus politique dans leur pays et leur détermination à exercer leur droit de vote démocratique », a rappelé Mme Zerrougui. « Nous devons donc manifester notre solidarité collective avec eux au fur et à mesure que le processus électoral parvient à son terme et que la République démocratique du Congo se prépare à procéder au premier transfert de pouvoir pacifique de l’histoire du pays», a-t-elle conclu.
La CENI considère avoir fait son travail
Le Président de la CENI, Corneille Nangaa, a reconnu devant le Conseil de sécurité que les élections n’ont pas pu être organisées dans « la perfection absolue », mais, à ses yeux, ce qui était important a été sauvegardé. Pour M. Nangaa, la CENI a travaillé dans des conditions difficiles mais « a fait ce qu’elle pouvait faire ».
«Trois scrutins le même jour dans un pays comme le nôtre : ça n’a pas été facile», a souligné le Président de la CENI mettant en garde contre la tendance à «vouloir réveiller les démons qui dorment». L’essentiel aujourd’hui est que les résultats sont là, a-t-il dit.
Suite à la réaction de la Conférence épiscopale, la CENI a adressé un courrier au Président de la CENCO pour réfuter les annonces précoces que celle-ci a faites concernant les tendances électorales et ses allusions au nom du gagnant de l’élection présidentielle.
«La CENCO sera responsable de ce qui adviendra», a averti M. Nangaa, avant de rappeler qu’une dizaine d’organisations, avec 4. 000 observateurs accrédités par la CENI, ont observé ces élections.
Le Président de la CENI a appelé la communauté internationale à soutenir les nouvelles autorités, plutôt que de chercher dès à présent à les affaiblir alors que les résultats définitifs ne sont pas encore annoncés.
La CENCO réclame la publication des procès-verbaux pour chaque bureau de vote
Facilitateur de l’Accord de la Saint Sylvestre du 31 décembre 2016 qui a ouvert la voie à l’organisation des élections en RDC, la CENCO a rappelé avoir pris part à l’observation des divers scrutins du 30 décembre dernier.
S’exprimant au nom de la Conférence épiscopale, l’Abbé Otembi a indiqué que ses observateurs ont été présents dans tous les bureaux de vote du pays, assurant avoir obtenu 40.850 accréditations et précisant que les 1.776 observateurs formés et dont l’accréditation a été rejetée ont tout de même pu mener des observations hors des bureaux de vote.
Le représentant de la CENCO a dit que son organisme avait pris acte des résultats provisoires des élections. Cependant, a-t-il ajouté, l’analyse des éléments en sa possession lui font croire que les résultats de la présidentielle ne correspondent pas aux chiffres de ses observateurs.
L’Abbé Otembi a appelé le Conseil de sécurité à être solidaire du peuple congolais, invitant ses membres à demander une publication des procès-verbaux pour chaque bureau de vote, afin que soient comparées les données des candidats avec celles de la CENI, et afin de lever tout doute et apaiser les esprits. En cas de contestation, la CENCO a souhaité que le Conseil de sécurité invite les parties à privilégier «la voie de la vérité et de la paix». (Fin)