By Dr BIZIMANA Jean Damascène*
Début juin avec l’extermination des Tutsi qui touchait presqu’a sa fin dans plusieurs localités sous contrôle gouvernemental, le Gouvernement a commencé à faire disparaitre les preuves du génocide, notamment par la destruction de maisons et de traces de Tutsi qui venaient d’être massacrés. Le ministre Nzabonimana Callixte a joué un rôle de premier plan dans la mise en pratique non seulement de la politique génocidaire sur le plan national, mais aussi dans sa parfaite exécution dans sa préfecture natale de Gitarama en assurant tant la logistique que le soutien politique. En 1994 il était ministre de la jeunesse dans le gouvernement génocidaire et président du MRND dans Gitarama.
I. 10 Juin 1994 : Les derniers Tutsi ont été exterminés dans les locaux de la paroisse catholique Saint Charles Lwanga à Nyamirambo
Des miliciens gouvernementaux ont assassiné plus de 400 personnes, principalement des enfants, qui avaient cherché refuge dans la paroisse catholique Saint Charles Lwanga de Nyamirambo. Vendredi 10 juin 1194, les miliciens font irruption dans la paroisse en affirmant qu’ils allaient «évacuer» les orphelins. Les milices Interahamwe étaient commandés par le nommé Kigingi qui était l’un de leurs chefs.
Le père Henri Blanchard, un Français, et le père Otto Mayer, un Allemand, refusent d’ouvrir la porte du bâtiment. Les miliciens attaquent celle-ci à la hache et lancent des grenades. Puis ils embarquent les otages dans un camion. Le véhicule fera plusieurs allers et retours. Jusqu’à épuisement des Tutsi cachés dans cette paroisse.
Le père Otto Mayer a cherché du secours au collège Saint-André proche de la paroisse, où des soldats de l’armée gouvernementale étaient casernés. Il fut arrêté à un barrage où les miliciens lui ordonnent de rebrousser chemin.
Lors d’une seconde tentative, un fonctionnaire du gouvernement lui a donné l’autorisation de franchir le barrage. Un peu plus loin, il aperçoit le camion dans lequel on avait mis les otages tutsi. Il y avait des cadavres sur le sol et dans le camion.
Le prêtre en a reconnu quelques-uns qui étaient ses paroissiens. Parmi les victimes, il y avait une majorité d’enfants. Le journaliste Jean Chatain du Quotidien francais L’Humanité a relaté cet horrible massacre dans le journal L’Humanité du 13 juin 1994 en citant le chiffre de 170 personnes donnee par des pretres de la paroisse. Les rescapés de ce massacre parlent de plus de 400 personnes tutsi enlevés de la paroisse Saint Charles Lwanga le vendredi 10 juin 1994 et tués ensuite par des miliciens interahamwe et des soldats du Gouvernement génocidaire.
II. LE MINISTRE Callixte NZABONIMANA DANS LA MISE EN OEUVRE DE LA POLITIQUE D’EXTERMINATION DES TUTSI DANS SA PREFECTURE D’ORIGINE: GITARAMA
1. Callixte Nzabonimana a recruté et aidé à la formation des milices Interahamwe.
Callixte Nzabonimana, en sa qualité de Ministre de la jeunesse et de président du MRND dans la préfecture de Gitarama a, dans cette préfecture ainsi que dans l’ensemble du pays, activement participé au recrutement, à la formation, à l’armement et à l’endoctrinement anti-tutsi des milices Interahamwe. Il a dans la suite ordonné aux milices Interahamwe de massacrer des Tutsi au cours de la période allant d’avril à juillet 1994.
Au mois de mai 1994, Nzabonimana et Jean Kambanda ont lancé un bataillon de tueurs appelé Ndiza comprenant des militaires et des miliciens dans le secteur de Kibangu, commune de Nyakabanda, où ils ont distribué des armes et dit à la foule que ces armes étaient destinées à tuer les Tutsi. Ce « bataillon » a immédiatement massacré des Tutsi qui avaient survécu aux massacres en cours. Nzabonimana leur a fourni des uniformes, des chapeaux, des drapeaux du MRND et des armes.
Le 15 mai 1994, Callixte Nzabonimana, en compagnie du major Jean-Damascene Ukurikiyeyezu, membre de la défense civile à Gitarama, a présidé une réunion dans la cellule de Ruhango, secteur de Nyamagana, commune de Tambwe, préfecture de Gitarama, au cours de laquelle le comité de crise de cette commune a été mis en place. Plusieurs Tutsi arrêtés aux barrages routiers ont été tués sur ordre de ce comité, notamment Nyabugaju, Ruhezamibigo et Languida. Lorsque le comité a commencé à fonctionner, les Tutsi étaient arrêtés et conduits au bureau communal de Tambwe, où ils étaient tués et jetés dans une fosse.
2. Callixte Nzabonimana a transformé sa maison en un lieu de rassemblement de tueurs
Entre le 8 et le 12 avril 1994, Nzabonimana a réuni des tueurs des secteurs de Kavumu et de Mahembe, commune de Nyabikenke à son domicile situé dans le secteur de Kavumu. Il leur a dit de tuer les Tutsi, précisant que les Inkotanyi étaient des Tutsi qui attaquaient le Rwanda et que pour faire échec aux Inkotanyi, il fallait tuer les Tutsi. Il a dit que l’on ne devait pas permettre aux cancrelats « Inyenzi » de l’intérieur du pays de se joindre à ceux de l’extérieur, d’où la nécessité de les tuer. Il voulait signifier tuer les Tutsi.
Le 8 ou le 9 avril 1994, entre 15 heures et 17 heures, Nzabonimana a pris la parole devant les milices Interahamwe dans la cellule de Gasenyi, secteur de Kigina, commune de Nyabikenke, dans la préfecture de Gitarama, et les a encouragés à massacrer leurs voisins Tutsi. De même, le 9 avril 1994, entre 17 heures et 18 heures, Nzabonimana a tenu une autre réunion dans la cellule de Kigali, secteur de Kavumu, dans la commune de Nyabikenke.
Le 10 avril 1994, Nzabonimana était dans le centre de Kivumu, secteur de Gitovu, dans la commune de Nyabikenke, entre 9 heures et 10 heures, et dans le centre de Gasenyi, dans le secteur de Kigina, dans la commune de Nyabikenke, de 17 heures à environ 18 heures.
3. Nzabonimana Callixte a distribué des armes et ordonné les massacres de Tutsi
Le 8 avril 1994, Nzabonimana a tenu une réunion à son domicile, réunion durant laquelle il a dit aux personnes présentes de venger la mort du Président Habyarimana, a distribué des armes et remis trois fusils aux milices Interahamwe. Nzabonimana a dit à la population civile hutu qu’elle devait se servir des armes à feu et des armes traditionnelles pour tuer les Tutsi avant de manger leurs vaches. Il a dit qu’il fournirait davantage d’armes et a demandé à ceux qui ont besoin d’armes traditionnelles de se rendre à son domicile. Il a dit qu’il retirerait les armes si les gens ne s’en servaient pas.
Le 11 avril 1994, les réfugiés ont été extraits de la paroisse de Ntarabana par les milices Interahamwe à la rivière Nyabarongo pour y être tués, en exécution d’ordres donnés par Callixte Nzabonimana. Pendant qu’on amenait les Tutsi à la rivière Nyabarongo, Nzabonimana a continué la distribution des armes. Certains de ces réfugiés tutsi ont réussi à s’échapper et ont pu se rendre à Kabgayi.
Le 12 avril 1994, dans la commune de Nyabikenke, Callixte Nzabonimana a planifié l’organisation d’une formation militaire et ordonné aux Interahamwe de la suivre. La formation militaire était assurée par un gendarme originaire de Musasa. Callixte Nzabonimana, a déclaré sur place aux recrues miliciens que les Tutsi étaient les ennemis du Rwanda, et qu’il fallait s’en débarrasser. Le soir même, de nombreux Tutsi ont été tués à Gitovu et à Kavumu par des milices Interahamwe. Plusieurs tutsi dont Jacqueline Akizanye et ses deux enfants, Epimaque Sehinda et sa famille ainsi que Sehirahiga et sa famille ont été aussitôt assassinés.
Le 15 avril 1994, au centre de négoce de Butare, secteur de Rutongo, commune de Rutobwe, préfecture de Gitarama, Nzabonimana a pris la parole devant une foule et a dit à la population hutu de tuer tous les cancrelats (=Tutsi) et leurs complices et de prendre leur travail et leurs biens. Il a dit que même dans la foule il y avait des Tutsi qui ne devaient pas être épargnés. Nzabonimana a alors ordonné aux militaires et à la population de les rattraper. Plusieurs Tutsi ont été tués après cette réunion par des groupes de personnes comprenant des Interahamwe, des civils hutu et des militaires. Pour les inciter aux tueries, il a acheté de la bière de banane pour les personnes présentes et a demandé à celles-ci d’attraper et de tuer tout Tutsi qui se trouverait parmi elles.
Nzabonimana était accompagné par les gendarmes et le sous-préfet de Ruhango. De nombreux Tutsis ont été tués ce jour-là, notamment Spéciose Karuhongo, Jeanne Ujeneza et Gabriel Kanimba. Parmi les tueurs, il y avait Vincent Karegeya, Ruhunga, Cyprien, Jérôme Mushimungunga, Munyurabatware, Sebagande, Émile Munyemana, Prosper Hategekimana.
4. Nzabonimana a poursuivi à Kabgayi les Tutsi qui avaient échappé aux massacres de Nyabikenke
Le 16 avril 1994, Nzabonimana s’est rendu à Kabgayi pour rechercher les Tutsi de Nyabikenke qui y avaient trouvé refuge. Nzabonimana leur a dit de retourner chez eux, sous prétexte que la paix était revenue, afin qu’on puisse les tuer. Et pourtant, le même jour, Nzabonimana avait fait une annonce au mégaphone dans la commune de Nyabikenke en appelant à l’extermination des derniers Tutsi.
Nzabonimana s’en est pris au bourgmestre Jean-Marie Vianney Mporanzi, qui n’était pas très actif aux tueries. Nzabonimana s’est rendu par la suite dans la commune de Rutobwe et a fait libérer de force des personnes accusées d’avoir tué des Tutsis. Ces personnes ont par la suite attaqué des Tutsi et se sont vantés que Nzabonimana leur avait donné le pouvoir de tuer.
5. Au cours de la réunion de Murambi, Nzabonimana a ordonné de tuer les bourgmestres et autres responsables locaux qui s’opposaient aux massacres de Tutsi
Le 18 avril 1994, Nzabonimana, en compagnie de Jean Kambanda, et d’autres membres du gouvernement génocidaire, notamment Prosper Mugiraneza, ont organisé une réunion avec les bourgmestres des communes de la préfecture de Gitarama, au cours de laquelle Nzabonimana a ordonné de tuer les bourgmestres et autres responsables locaux qui s’opposaient aux massacres des Tutsi.
Peu après la réunion, le bourgmestre de la commune de Mugina, Callixte Ndagijimana, et deux conseillers de la commune de Nyamabuye, Bernard Twagiramukiza, du secteur de Ruli, et Martin Gasigwa, du secteur de Musiba, ont été tués par des civils hutu et des Interahamwe. Nzabonimana a reproché à certains bourgmestres de ne pas soutenir les massacres des Tutsi et les avait avertis qu’ils pourraient être remplacés par des Interahamwe.
Lors d’une autre réunion à Ruhango, secteur de Nyamagana, commune de Tambwe, préfecture de Gitarama, Callixte Nzabonimana et Jérôme Bicamumpaka ont dit que les Tutsi devaient être tués, et les Hutus ne devaient pas manifester de la sympathie pour ceux-ci. Peu après la réunion, les « comités de sécurité » composés de miliciens Interahamwe, de la cellule de Ruhango ont sillonné cette région en massacrant les Tutsi. Nzabonimana disait que l’ennemi tutsi avait déclenché la guerre et lancé des attaques à partir de l’Ouganda. Il a expliqué que tous les Hutu devaient, quelle que soit leur appartenance politique, s’unir pour combattre l’ennemi. Après la réunion, des barrages routiers ont été intensifiés et les Tutsis ont été attaqués et tués dans leurs maisons.
6. Nzabonimana a ordonné aux Interahamwe de détruire les maisons de Tutsi massacrés pour effacer les traces du génocide
Entre mai et juin 1994, Nzabonimana s’est rendu dans la commune de Masango, et a ordonné à des Interahamwe de détruire complètement les maisons abandonnées par les Tutsi et de les remplacer par des cultures pour effacer ainsi toute trace du massacre des Tutsi. Le bourgmestre qui avait extermine les Tutsi de Masango, Esdras Mpamo a dit qu’une commission internationale avait été créée pour enquêter sur les crimes commis au Rwanda et qu’il fallait donc effacer toute trace de crime. Nzabonimana a ordonné de le faire.
Callixte Nzabonimana a fait la même chose dans la commune de Nyamabuye. Il s’est rendu au bureau communal de Nyamabuye et a dit aux civils hutu qui s’y trouvaient de détruire la maison d’un Tutsi décédé et d’en effacer toute trace pour que, en cas d’enquête, on ne sache pas ce qui était arrivé aux Tutsi.
La somme de ces faits montre que sans l’engagement de ce puissant ministre du régime génocidaire, l’extermination des Tutsi de Nyabikenke n’aurait probablement pas atteint le niveau total d’extermination.
Nzabonimana Callixte a été reconnu coupable de génocide par le TPIR et condamné à la peine d’emprisonnement à vie.
CONCLUSION
Les massacres de Tutsi ont continué dans la partie tenue par le gouvernement génocidaire, qui a intensifié sa politique d’extermination en mettant en place les « comités de crise », c’est-à-dire des comités d’extermination, et la politique de la défense civile qui visaient à ne laisser aucun Tutsi vivant au Rwanda. C’est à cette époque que ce gouvernement a commencé à faire disparaitre les preuves du génocide, notamment par la destruction de maisons et de traces de Tutsi massacrés. (Fin).
* Dr Bizimana Jean Damascène, Secrétaire Exécutif Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG)