
Sultani Makenga, le chef militaire du M23
Entretien avec Alain Destexhe*
Sultani Makenga, le chef militaire du M23 contrôle un territoire plus grand que deux fois la Belgique. Condamné à mort par Kinshasa, sa tête mise à prix, il est pourtant un des hommes clés de la réconciliation et de l’avenir du Congo. Hier, (voir partie 1), il a accepté la participation du M23/Alliance Fleuve Congo aux négociations de Luanda. Seconde partie de notre interview inédite avec le général qui n’en donne jamais.
La Monusco(Mission des Nations Unies pour la Stabilisation du Congo) a dévié de sa mission
Alain DESTEXHE (AD) – Vous demandez le départ de la Monusco qui a participé aux combats contre vous ?
Sultani Makenga (SM) – Non, mais la MONUSCO a dévié de sa mission de maintien de la paix et devrait être neutre. Même si la Monusco a tiré sur nous, nous ne sommes pas animés d’un esprit de vengeance. Quand le combat est fini, il n’y a chez nous aucune haine des anciens adversaires.
L’aéroport n’est pas fonctionnel
AD – L’Union européenne demande la réouverture de l’aéroport de Goma pour acheminer de l’aide humanitaire ?
SM – J’y suis favorable, mais les FARDC (Forces Armées de la RDC) ont détruit et pillé la tour de contrôle et ils ont laissé des postes de fortification et de nombreux véhicules sur les pistes dont nous craignons qu’ils soient minés. Le terrain (herbeux) autour de l’aéroport est peut-être aussi miné. Allez voir par vous-même ! (AD. J’y suis allé, cela fera l’objet d’un post X ultérieurement).
Avec le Rwanda, Tshisekedi cherche un bouc émissaire pour les problèmes qu’il a créés
“Ce sont nos frères”
AD – On vous accuse d’être les marionnettes du Rwanda ?
SM – Le régime de Kinshasa cherche un bouc émissaire pour les problèmes qu’il a créés ou qu’il n’a pas résolus. Les Rwandais nous comprennent et ils essaient d’expliquer notre situation au monde. Ce sont nos voisins et nos frères et ils font face, comme nous, depuis longtemps à la menace des FDLR. Nous avons encore aussi une centaine de milliers de réfugiés dans des camps au Rwanda qui souhaitent rentrer chez eux.
“Il voulait attaquer le Rwanda”
AD – Pensez-vous que Tshisekedi avait l’intention d’attaquer le Rwanda ?
SM – Il l’a déclaré lui-même. De plus, avec les forces et les armes qu’il avait concentrées à Goma et les alliances dans la région, notamment avec le Burundi et les FDLR, cela me semble évident.
Les FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda) sont partout dans l’armée congolaise
AD – Les FDLR constituent-elles encore une menace ?
SM – Les FDLR sont partout dans les FARDC, y compris dans la garde présidentielle. Ils ont été rééquipés et réarmés. Ils ne peuvent pas gagner la guerre contre nous, mais ils peuvent encore s’en prendre à des populations civiles dans notre zone qui est très vaste et où les villages sont espacés. Il y a trois jours, ils ont tué 40 personnes dans le village de Kirumbu. Par ailleurs, avec les FARDC, les FDLR ils détruisent le Parc national de Virunga que nous voulons protéger.
Pas dans le business des minerais
AD. Certains disent aussi que les minerais constituent votre principal objectif ?
SM. – Écoutez ! D’abord, on a passé des années dans des zones où il n’y avait aucune mine. Quand il nous arrive de prendre une localité où il y a une mine comme à Rubaya, nous ne nous mêlons ni de près ni de loin à l’exploitation qui est faite de façon artisanale par les populations locales à travers des coopératives. Puis les minerais sont achetés par des intermédiaires qui les vendent à des sociétés qui les exportent.
AD – Vous n’intervenez pas dans la commercialisation ?
SM – Pas du tout ! (Ton ferme). Mais depuis que nous contrôlons la frontière à Goma et à Bukavu, nous percevons des droits de douane sur les marchandises, avec des tarifs plus réduits et sans l’arbitraire et la corruption qui caractérisent le régime de Kinshasa.
Des sanctions injustes
AD – Et les sanctions qui vous visent ainsi que le Rwanda ?
SM – C’est injuste. La vérité finira par émerger. Quand on tue les nôtres, personne ne s’émeut et il n’y a pas de sanctions. Quand nous réagissons, nous sommes sanctionnés.
AD. Quelles sont les relations entre le M23 politique et militaire ?
SM – Bertrand Bisimwa est le président du M23, j’en suis le vice-président et je m’occupe de la branche militaire. Nous faisons partie d’une plateforme plus large, l’AFC, l’Alliance Fleuve Congo dont Corneille Nangaa est le coordinateur.
L’argent des banques n’appartient pas à Tshisekedi !
AD – À Goma, la vie semble normale, mais les banques sont fermées, pourquoi ?
SM – C’est Kinshasa qui a fermé les banques. L’argent déposé dans les banques n’appartient pas à Tshisekedi, mais aux clients ! Il punit la population et continue la spoliation à distance.
AD – Le M23 est-il multiethnique ?
SM – Notre président est un Shi, notre porte-parole est Luba comme Tshisekedi, le porte-parole adjoint est Mukongo du Bas-Congo (il me cite une série de noms avec leur appartenance ethnique), mais nous voulons construire une nation et un Etat qui dépassent ces questions ethniques qui handicapent notre grand pays.
Qu’est-ce que Tshisekedi a fait pour les Congolais ?
AD – Quel message souhaitez-vous adresser à la communauté internationale ?
SM – Notre combat est existentiel. Nous luttons pour notre survie. Nous sommes pour un Congo uni, décentralisé et fédéral qui s’attaque avec urgence aux questions de développement et de gouvernance. Vous avez vu comment vivent les Congolais sous Tshisekedi ? Qu’est-ce qu’il a fait pour eux ?
AD. Vous êtes un combattant, vous avez passé cinq années dans des conditions très difficiles sur les hauteurs du volcan Sabinyo aux limites des trois pays, Congo, Rwanda et Ouganda. Comment viviez-vous ? Dans une maison ?
Sultani Makenga : (Éclats de rire). Je vais vous inviter à aller voir sur place vous-mêmes ! (Fin).
* Propos recueilli le 12 mars 2025 à Goma par Alain DESTEXHE, Sénateur honoraire belge, Ancien secrétaire général de Médecins sans frontières (MSF) international, Initiateur en 1997 de la Commission d’enquête du Sénat belge sur le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994.