Général Sultani Makenga du M23 : “Notre combat est pour notre survie et pour le Congo”

Le général Sultani Makenga et le Sénateur honoraire belge Alain DESTEXHE

Entretien avec Alain Destexhe*

Le général Sultani Makenga, chef militaire du M23, n’accorde pas d’interview. Il a fait une exception. Il me reçoit dans une villa transformée en QG bien gardé. Devant l’entrée, plusieurs véhicules sont encore marqués du sigle des FARDC, les Forces armées de la République démocratique du Congo, “un petit échantillon” de ce que nous avons pris à l’ennemi, dit-il avec un sourire. Un appareil radio grésille en permanence et trois téléphones sont posés devant lui. Ils ne cessent de sonner. Le général regarde qui appelle mais ne s’éloignera qu’un bref instant, en s’excusant, pour prendre un des appels. En revenant, il me parle d’attaques en cours sur les lignes de front au nord et à l’ouest. L’homme a tout du militaire professionnel. Autour de lui, tout respire rigueur et organisation. Pas de doute, nous sommes devant le chef d’une armée disciplinée qui a mis en déroute, à Goma et à Bukavu, des forces coalisées cinq à dix fois supérieures en hommes et en armements.

Alain Destexhe (AD) – Après avoir pris Goma et Bukavu, comptez-vous poursuivre l’offensive militaire et aller jusqu’à Kinshasa ?

Général Sultani Makenga (SM) – Non, sauf si nous sommes menacés. Nous luttons pour notre survie. Il faut bien comprendre que nous avons pris les armes parce que nous étions menacés d’extermination. Nous n’allions pas nous laisser exterminer sans réagir ! C’est dommage que le monde extérieur refuse de voir cela. Vous avez vu hier vous-même à Nturo (dans le Masisi) comment un village a été brûlé uniquement parce qu’il était peuplé principalement de Tutsi. On doit dépasser cette idéologie ethnique de la haine et favoriser la réconciliation.

AD – Pourquoi alors avoir pris Goma et Bukavu ?

SM- Ce n’était pas dans nos objectifs mais, depuis Goma, les FARDC et les autres forces pilonnaient nos positions et les populations civiles sous notre contrôle. Nous ne pouvions plus le tolérer. Puis, les FARDC et les forces burundaises se regroupaient à partir de Bukavu et recevaient des approvisionnements à partir de l’aéroport de Kavumu. Nous avons donc dû prendre Bukavu pour éliminer cette menace. Les FARDC continuent à nous attaquer avec des drones à partir de Kisangani.

AD – Comment expliquez-vous votre victoire militaire face à des forces bien supérieures en nombre et en moyens ?

SM – (Silence grave, puis il reprend sans aucun signe de triomphalisme). Nous avons une cause à défendre et nos militaires sont déterminés. En plus, nous n’avons pas d’autre option : c’est la victoire ou la disparition. Nos adversaires ne sont pas dans cette situation. Contrairement aux FARDC, nos militaires ne touchent pas de solde. Ils se battent par conviction et patriotisme avec détermination.

Oui aux négociations 

AD – Un communiqué de la présidence angolaise, qui assure la présidence de l’Union africaine, propose un dialogue direct entre vous et Kinshasa. Allez-vous négocier ?

SM – Bien sûr, nous voulons négocier, mais à ce stade, nous avons seulement pris connaissance de la position de l’Angola, mais nous n’avons encore rien entendu de Kinshasa (AD. Le soir de cet entretien, Kinshasa a pris acte et la présidence angolaise annonce le début des négociations le 18 mars).

AD – Il reste des centaines de militaires sud-africains, malawites et tanzaniens défaits, cantonnés dans leurs bases à Goma et aux alentours. Sont-ils vos prisonniers ?

SM –  Ils peuvent circuler librement mais sans armes. Nous les laissons s’approvisionner. Nous souhaitons qu’ils rentrent chez eux et ils sont libres de partir quand ils veulent.

Mercenaires roumains

AD – Et la présence de mercenaires roumains aux côtés des FARDC ?

SM – C’est injuste de venir d’Europe chez nous pour tuer des gens qui défendent leurs droits. Le monde devrait être choqué, mais apparemment ce n’est pas le cas.

AD – Il y a aussi des centaines de FARDC réfugiés dans les bases de la Monusco (la force des Nations-Unies) ?

SM – La Monusco nous a parlé de 2 000 FARDC après leur défaite. Aujourd’hui, ils disent 1 200. Où sont passés les 800 autres ? Les FARDC, les Wazalendos (milices ethniques armées par Kinshasa) et les FDLR (issus des génocidaires de 1994 au Rwanda) qui se sont cachés parmi la population constituent une source d’insécurité pour la ville.

AD –  Que s’est-il passé à l’hôpital Heal Africa ? Vos forces ont été accusées d’avoir enlevé des blessés.

SM – Des ex-FARDC se faisaient passer pour de faux malades ou des garde-malades. On a trouvé 14 armes là-bas. Ce sont des membres du personnel de l’hôpital qui nous ont alertés sur cette situation. Nous avons arrêté ceux qui n’avaient pas à être à l’hôpital. Il y a dans tous les hôpitaux de la ville des blessés des FARDC et nous ne nous en prenons pas à eux. Vous pouvez le vérifier. (AD : en visitant l’hôpital provincial du Nord-Kivu, j’ai pu constater la présence de nombreux blessés des FARDC, ceux avec qui j’ai parlé m’ont affirmé ne pas se sentir en insécurité).

AD –  Que pensez-vous du président Félix Tshisekedi ?

SM – Il n’a pas l’amour du pays, c’est un bandit.

AD – Il l’est devenu ou il l’était dès son élection ?

SM – Je pense qu’il l’a toujours été. (Fin). 

Propos recueilli le 12 mars 2025 à Goma par Alain DESTEXHE, Sénateur honoraire belge, Ancien secrétaire général de Médecins sans frontières (MSF) international, Initiateur en 1997 de la Commission d’enquête du Sénat belge sur le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994.

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