HRW appelle aussi à la justice pour les réfugiés tués par la police rwandaise il y a un an
Kigali: Après Amnesty International, Human Rights Watch(HRW) demande aussi au Rwanda de traduire en justice les responsables de la mort par balle de 12 réfugiés congolais dans l’ouest du Rwanda le 22 février 2018. Aucun des policiers n’ayant été tenu responsable à ce jour.
Les autorités rwandaises n’ont pas publié les résultats de leurs enquêtes sur la mort par balle de 12 réfugiés dans l’ouest du Rwanda le 22 février 2018, a rappelé L’organisation internationale de défense des droits humains basée à New York.
Dans une déclaration intitulée « Rwanda : Un an plus tard, aucune justice pour les meurtres de réfugiés. La police a tué au moins 12 personnes», HRW déplore qu’un an après les meurtres, les autorités rwandaises n’aient pas révélé le nombre de personnes tuées, ni identifié et traduit en justice les responsables de l’usage excessif de la force.
La police rwandaise a tiré à balles réelles sur des réfugiés originaires de la République démocratique du Congo qui manifestaient devant le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) dans le district de Karongi, Province de l’Ouest, le 22 février 2018, tuant au moins huit personnes sur le champ.
Le même jour, une autre personne réfugiée est décédée des suites de ses blessures, et deux femmes enceintes qui avaient fui la fusillade ont fait une fausse couche. À Kiziba, la police chargée de garder le camp de réfugiés a tué trois personnes alors qu’elles tentaient de partir aider les manifestants blessés, selon un témoin qui s’est confié à HRW.
« Il ne peut y avoir aucune justification pour tirer sur des manifestants non armés », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le gouvernement rwandais piétine les tombes des victimes en refusant de reconnaître le nombre de personnes réellement tuées et d’exiger que les responsables rendent des comptes. »
Au cours de l’année écoulée, Human Rights Watch a mené des entretiens individuels avec six survivants, cinq membres de familles de survivants ou de victimes, trois sources au Rwanda qui disposent d’informations sur les affaires judiciaires et un représentant du HCR.
Les manifestations ont commencé après que le HCR et le Programme alimentaire mondial (PAM) ont annoncé en janvier 2018 qu’ils réduiraient les rations alimentaires de 25 % en raison de restrictions budgétaires, notamment à Kiziba, qui accueille plus de 17 000 réfugiés congolais. L’allocation alimentaire a ensuite été ramenée de 7 600 RWF (environ 8,90 USD) à 5 700 RWF (environ 6,70 USD) par personne et par mois.
Trois à quatre mille réfugiés ont quitté Kiziba le 20 février et ont marché pendant plusieurs heures pour se rassembler devant le bureau du HCR dans le district de Karongi et manifester contre la réduction des rations alimentaires. La police a tiré à balles réelles pour disperser la foule alors que les réfugiés se dirigeaient vers Karongi, blessant l’un d’entre eux.
Le 21 février, devant le bureau du HCR, un agent de police muni d’un mégaphone s’est adressé en kinyarwanda à la foule de réfugiés, déclarant que les femmes et les enfants devraient être séparés des hommes et ne pas « prendre part au conflit ».
Le 22 février, la police a encerclé le groupe et a de nouveau demandé aux manifestants qui se trouvaient devant le bureau du HCR de séparer les femmes et les enfants des hommes.
Les réfugiés ont refusé. « Après que nous avons crié ‘Non !’ j’ai vu du gaz lacrymogène et j’ai pensé, OK, ils nous font retourner au camp », a expliqué un survivant à Human Rights Watch. « Mais ensuite, j’ai entendu des balles et je savais que c’était différent. J’ai vu des cadavres et j’ai couru dans la brousse. »
Dans une déclaration publiée sur son site web le 23 février, la police rwandaise a indiqué que 20 réfugiés avaient été blessés et que cinq d’entre eux « ont succombé à leurs blessures ».
La Commission nationale des droits de la personne (National Commission for Human Rights, NCHR) au Rwanda, qui est étroitement liée au gouvernement, a ouvert une enquête le 23 février, mais n’a toujours pas publié de rapport. Selon Human Rights Watch, la Commission a étouffé des violations commises par le gouvernement par le passé.
Theos Badege, alors porte-parole de la police, a déclaré aux médias le 23 février que les réfugiés avaient été mis en garde, avaient « provoqué » la police et leur avaient lancé des projectiles.
« Il est important de savoir que lorsque quelqu’un perturbe l’ordre public, il ne contrôle pas les conséquences de ses actes », a-t-il affirmé. La police rwandaise a signalé que sept policiers avaient été blessés.
Bien que quelques manifestants et un représentant du HCR aient dit avoir vu quelques hommes jeter des pierres le 22 février, ce même représentant du HCR a confirmé à Human Rights Watch qu’aucun des manifestants ne portait d’armes.
Le 13 mars 2018, lors d’une conférence de presse, Louise Mushikiwabo, alors ministre des Affaires étrangères et actuelle Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), a accusé les réfugiés de monter une révolte et de se montrer « extrêmement violents et d’essayer de prendre des otages ».
Si les réfugiés ont bloqué temporairement la porte du HCR entre le 21 et le 22 février, Human Rights Watch n’a pas pu confirmer l’allégation selon laquelle des réfugiés auraient tenté de retenir en « otage » des citoyens rwandais, des membres du HCR ou des membres de la police.
La Police nationale rwandaise a arrêté plus de 60 réfugiés entre février et mai 2018, et les a inculpés de participation à des manifestations ou réunions publiques illégales, de violences envers les autorités publiques, de rébellion et d’attaque à la force obligatoire des lois.
Certains ont également été inculpés de « [p]ropagation [d’] affirmations mensongères en vue de provoquer l’hostilité de l’opinion internationale vis-à-vis de l’Etat Rwandais ».
La police rwandaise est tenue de respecter les droits à la vie, à l’intégrité physique, à la liberté et à la sécurité, notamment en évitant l’emploi d’armes à feu, sauf lorsque cela est strictement nécessaire et dans la mesure exigée par la légitime défense ou à la défense d’autrui contre une menace imminente de mort ou de blessures graves, et lorsque des moyens moins extrêmes sont insuffisants. La police ne peut recourir à la force létale intentionnelle que lorsque cela est strictement nécessaire et contribue à la protection de vies humaines.
«La police rwandaise doit être formée au Code de conduite des responsables de l’application des lois et aux Principes de base relatifs au recours à la force et aux armes à feu par les responsables de l’application des lois des Nations Unies, et s’y conformer », selon Human Rights Watch.
L’organisation Human Rights Watch affirme que la Commission nationale des droits de la personne et le ministère rwandais de la justice n’ont pas répondu à une demande d’information qu’elle leur a envoyée le 1er février 2019.
« Engager des poursuites contre les réfugiés décharge de leurs responsabilités les véritables coupables de violence et d’abus », a conclu Lewis Mudge. « Les autorités rwandaises devraient plutôt veiller à ce que les enquêtes soient indépendantes et exiger des comptes aux policiers responsables des meurtres. »
Usage excessif de la force le 22 février 2018
Human Rights Watch s’est entretenu avec six personnes survivantes sur les meurtres commis à Karongi et Kiziba le 22 février 2018. Elles ont expliqué que la police avait eu rapidement recours à la force meurtrière dans des circonstances totalement injustifiées par les actions des manifestants.
Certains survivants ont déclaré que les tirs avaient commencé trois à quatre minutes après que la police eut commencé à lancer des gaz lacrymogènes, tandis que d’autres affirmaient que cela aurait pris jusqu’à 10 minutes.
Un réfugié a déclaré : «Je me suis lavé les yeux avec de l’eau après qu’ils ont tiré le gaz. Mais quand il est devenu trop épais, j’ai commencé à courir. À ce moment-là, les coups de feu ont commencé. J’ai supposé que c’était en l’air, mais un jeune homme devant moi est tombé raide mort. J’ai couru tout droit vers la forêt. J’ai vu trois cadavres alors que je courais… La police a dit que nous étions armés, mais ils mentent. La plupart d’entre nous avons levé les mains. Certains hommes ont jeté des pierres, mais une fois que les gaz lacrymogènes ont été déclenchés, nous avons commencé à nous éloigner de la zone. »
Un homme âgé, qui était resté dans le camp de Kiziba le 22 février, a décrit les meurtres des réfugiés qui tentaient de quitter le camp :
«Il était tard dans la journée et nous avons commencé à recevoir des messages indiquant que la police avait tiré sur des personnes à Karongi. La police contrôlait une barrière juste à l’extérieur du camp, mais certains réfugiés ont quand même tenté de passer. La police les a prévenus à peine une demi-minute avant qu’ils ne leur tirent dessus. J’ai vu un homme plus jeune que je connais, Bizimana, abattu. Nous avons tous été choqués par ce que nous avons vu. La police rwandaise est sans pitié. »
Événements après les fusillades
Des réfugiés ont expliqué à Human Rights Watch que depuis la fusillade, ils avaient été intimidés par les autorités locales, et la police leur avait dit de ne pas causer de problèmes ni de dire quoi que ce soit de négatif à propos du gouvernement.
Un leader des réfugiés congolais a déclaré à Human Rights Watch en mars : « Le gouvernement est en colère parce que nous avons osé protester. Nous ne pouvons même pas tenir de petites réunions sans la permission des autorités locales. Ce gouvernement ne nous laissera pas dire ce qui ne va pas dans notre communauté. »
Fin avril, la police a renforcé sa présence à Kiziba et elle a envoyé des hauts responsables gouvernementaux et de la police pour visiter le camp.
Le 1er mai, la police est entrée dans le camp pour arrêter des représentants des réfugiés. Quelques réfugiés ont jeté des pierres sur les policiers et sur la délégation. La police a de nouveau répondu par des gaz lacrymogènes et des tirs à balles réelles, tuant une personne et en blessant plusieurs autres.
« La police est venue dans le camp [le 1er mai], et cette fois ils étaient très sérieux », a déclaré une personne réfugiée. « Nous savions qu’ils voulaient arrêter notre comité exécutif car ils les ont ouvertement traités d’ennemis à la radio. La police a déclenché des gaz lacrymogènes et a commencé à tirer. Tout le monde s’est mis à courir, alors j’ai couru et j’ai vu un jeune homme qui avait été tué. »
Lors d’une conférence de presse à Genève le 4 mai, un porte-parole du HCR a indiqué qu’une personne était morte, un jeune garçon de 12 ans avait été blessé et que 23 réfugiés auraient été arrêtés « apparemment pour avoir provoqué les patrouilles de la police rwandaise. »
Le Code de conduite de l’ONU, en plus de préciser que les responsables de l’application de la loi ne peuvent utiliser la force que dans des circonstances exceptionnelles, spécifie qu’ils ne peuvent « infliger, susciter ou tolérer aucun acte de torture ou autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ».
En vertu des Principes de base, en cas de décès ou de blessure grave, les organismes appropriés doivent procéder à une vérification et un rapport détaillé doit être envoyé rapidement aux autorités administratives ou aux autorités de poursuite compétentes.
Réfugiés soumis à des procès
Les réfugiés arrêtés ont été inculpés de participation à des manifestations illégales, de violences contre les autorités publiques, de rébellion et d’attaque à la force obligatoire des lois.
Trois membres du comité exécutif du camp de réfugiés ont également été accusés de «[p]ropagation [d’] affirmations mensongères en vue de provoquer l’hostilité de l’opinion internationale vis-à-vis de l’Etat Rwandais ».
Tous les trois avaient signé une lettre adressée au siège du HCR à Genève le 5 janvier 2018, dans laquelle le comité exécutif s’inquiétait des réfugiés vivant avec « 0,20 USD par jour » après les réductions et évoquait leur crainte que des réfugiés ne meurent de faim.
Un réfugié a été accusé d’avoir partagé des informations avec Human Rights Watch. Les communications ont été utilisées comme preuve contre lui lors de son procès. Il a été reconnu coupable et condamné à 15 ans de prison le 31 octobre. D’autres procès ont été retardés ou différés, alors que la plupart des réfugiés inculpés sont toujours en détention.
Dans une déclaration du 30 avril 2018, le ministère chargé de la Gestion des catastrophes et des questions des réfugiés a accusé le comité exécutif des réfugiés de « mobiliser les réfugiés pour qu’ils se révoltent contre les représentants du gouvernement » et l’a dissous.
La Commission nationale des droits de la personne
Le 9 mars 2018, la Commission nationale des droits de la personne a déclaré qu’elle enquêtait sur les meurtres et publierait un rapport « en temps voulu». La déclaration montre un parti pris envers la police et affirme que la police a été « attaquée alors qu’elle tentait de réprimer la violence » et que la manifestation « avait causé des blessures et la mort de certains manifestants ». À ce jour, le rapport n’a toujours pas été publié. (Fin)