L’ONG Human Rights Watch(HRW) demande aux autorités burundaises de libérer et d’abandonner les accusations infondées contre huit anciens réfugiés burundais reconduits de force de Tanzanie en août 2020.
Le 26 février 2021, le Tribunal de grande instance de Muha à Bujumbura s’est prononcé contre la libération provisoire de ces personnes, malgré le fait que l’accusation n’ait pas fourni de preuves justifiant de leur maintien en détention et que leur droit à une procédure régulière ait été violé à plusieurs reprises.
« L’État burundais retourne le couteau dans la plaie en poursuivant un groupe de réfugiés rapatriés de force qui ont déjà été victimes de crimes odieux en Tanzanie », a déclaré Lewis Mudge, Directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch, ONG internationale de défense des droits de l’homme basée à New York.
« Ce simulacre de procès met en lumière la politisation du retour des réfugiés mais aussi l’influence que l’exécutif exerce encore sur les tribunaux burundais », poursuit Lewis Mudge
Les huit hommes – Anaclet Nkunzimana, Felix Cimpaye, Radjabu Ndizeye, Revocatus Ndayishimiye, Saidi Rwasa, Emmanuel Nizigama, Didier Bizimana et Ezéchiel Stéphane Niyoyandemye – ont été arrêtés dans les camps de réfugiés de Mtendeli et Nduta en Tanzanie entre fin juillet et début août 2020. Les autorités tanzaniennes les ont détenus au secret pendant plusieurs semaines au poste de police de Kibondo, où ils ont été torturés.
Les réfugiés ont déclaré que pendant leur séjour au poste de police de Kibondo, les services nationaux de renseignement et la police tanzanienne les avaient maltraités et avaient demandé un million de shillings tanzaniens (430 dollars US) pour les libérer. Ne pouvant pas payer, les réfugiés ont été emmenés par les forces de sécurité à la frontière burundaise, mains liées et visage couvert. Quatre d’entre eux se trouvent actuellement dans la prison de Bubanza et quatre dans celle de Muramvya.
Le transfert au Burundi, par la Tanzanie, de réfugiés ou de demandeurs d’asile burundais détenus au mépris des règles élémentaires du droit à une procédure régulière viole les dispositions légales internationales relatives à l’interdiction du refoulement, c’est-à-dire le renvoi forcé de toute personne vers un lieu où elle court un risque réel de persécution, de torture ou d’autres mauvais traitements, ou de menace pour sa vie.
Une première audience préliminaire dans cette affaire s’est tenue le 24 février 2021, six mois après que leurs dossiers aient été transférés au Tribunal de grande instance, le 7 septembre. Le code de procédure pénale burundais donne au tribunal deux semaines pour organiser une audience après réception du dossier. Le 23 février, les autorités pénitentiaires n’ont informé les détenus que tardivement que leur affaire serait entendue le lendemain matin.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que le Burundi a ratifié en 1990, stipule que « la détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle ». Le Comité des droits de l’homme, l’organe international d’experts qui interprète le PIDCP, a déclaré dans une observation générale que « la détention avant jugement doit reposer sur une évaluation au cas par cas déterminant qu’elle est raisonnable et nécessaire au regard de toutes les circonstances, par exemple pour éviter que l’intéressé ne prenne la fuite, ne modifie des preuves ou ne commette une nouvelle infraction ».
Au cours de l’audience, l’un des trois juges a déclaré que l’affaire était de nature « politique », et l’accusation n’a fourni aucune preuve pour étayer ses accusations de « participation à des bandes armées » et de « menace à l’intégrité du territoire national ». Une source présente à l’audience a raconté que le substitut du procureur n’avait fait aucune mention du premier chef d’accusation lors de l’audience. L’accusation a reproché aux anciens réfugiés d’avoir découragé leurs compatriotes en Tanzanie de retourner au Burundi pour justifier l’accusation d’atteinte à « l’intégrité du territoire national », alors même que les décisions de retour des réfugiés au Burundi n’ont aucune incidence sur cette question.
Le parquet devrait abandonner ces poursuites sans fondement, a déclaré Human Right Watch. Au lieu de quoi, le parquet devrait ouvrir une enquête sur le rôle des agents de l’État, et notamment sur le Service national de renseignement (SNR), dans le retour forcé des réfugiés et sur la collaboration présumée du SNR avec la police et les agents de renseignement tanzaniens.
En décembre, un rapport de TRIAL International a constaté que les faiblesses structurelles bien ancrées du système judiciaire burundais avaient été exacerbées depuis le début de la crise politique du pays, en 2015.
Le gouvernement devrait mettre en place de vastes réformes pour honorer l’engagement du président Évariste Ndayishimiye de mettre fin à l’impunité après les élections de mai 2020, et s’attaquer à la politisation sous-jacente du système judiciaire qui a conduit à d’autres poursuites abusives similaires, a déclaré Human Rights Watch.
Entre octobre 2019 et novembre 2020, Human Rights Watch a documenté que des agents de la police et des services de renseignement tanzaniens, collaborant dans certains cas avec les autorités burundaises, ont arbitrairement arrêté, fait disparaître par la force et torturé des réfugiés et des demandeurs d’asile burundais et leur ont extorqué de l’argent. Depuis novembre, Human Rights Watch continue de recevoir des informations crédibles faisant état de menaces, harcèlement et arrestations de réfugiés en Tanzanie.
Le 15 décembre, la Rapporteuse spéciale sur les réfugiés, les demandeurs d’asile, les personnes déplacées et les migrants de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples s’est dite préoccupée par la situation des réfugiés burundais en Tanzanie et les informations faisant état de violations de droits aussi fondamentaux que l’accès à l’asile ou le principe de non-refoulement. La Commission et le Bureau du commissaire aux affaires sociales de l’Union africaine devraient réclamer de toute urgence la libération des anciens réfugiés injustement détenus.
Le 28 février, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le HCR, a fait part de son inquiétude face aux messages de détresse « d’un groupe de 10 demandeurs d’asile actuellement dans un centre de détention à Mutukula, au nord-ouest de la Tanzanie … exprimant des craintes pour leur sécurité en cas d’expulsion de la Tanzanie ».
Les autorités burundaises ont à plusieurs reprises parlé de la nécessité pour les réfugiés de revenir d’exil. Dans un discours prononcé lors de sa cérémonie d’investiture, Évariste Ndayishimiye a déclaré : « Nous lançons un appel à tous les burundais qui désirent revenir dans leur patrie, qu’ils reviennent ». Pourtant, dans ce même discours, il a également menacé les pays qui soutiennent « des ressortissants burundais qui s’adonnent à des actions de sabotage », une possible référence aux réfugiés qui ont fui le pays en raison de leur activisme politique ou de leur défense des droits humains.
En décembre 2019, un rapport de Human Rights Watch a révélé que la crainte de la violence, des arrestations arbitraires et des expulsions poussait de nombreux réfugiés et demandeurs d’asile burundais en Tanzanie à quitter ce pays.
Au Burundi, les partisans réels ou supposés de l’opposition, notamment les réfugiés qui rentrent chez eux, risquent d’être victimes de graves abus, a déclaré Human Rights Watch. Une commission d’enquête mandatée par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a signalé en septembre 2020 que de graves violations des droits humains persistent au Burundi. La commission a constaté que certains rapatriés continuaient à faire face à l’hostilité de responsables locaux et de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, et que « des rapatriés ont parfois été victimes de violations graves qui les ont poussés à repartir en exil ».
« Le véritable crime dans cette affaire est le retour forcé de réfugiés de Tanzanie au Burundi et l’absence de procédure régulière ou de recours efficace », a déclaré Lewis Mudge. « Si le parquet ne peut pas fournir de preuves à l’appui de ses allégations, il devrait immédiatement abandonner l’affaire et libérer les anciens réfugiés ». (Fin).