A l’annonce du projet de baptiser « une voie ou une place parisienne » du nom de Bernard Debré dans le 17ème arrondissement de Paris, Ibuka France et ses partenaires ont récemment adressé une lettre à Monsieur Geoffroy Boulard (le Maire de cet arrondissement) afin de protester contre ce projet eu égard aux écrits publiés dans le passé par Monsieur Debré, visant notamment à minorer ou banaliser de façon outrancière l’histoire du génocide commis contre les Tutsi au Rwanda en 1994. Les signataires de cette lettre, que nous publions ci-dessous, exigent l’abandon pur et simple d’un tel projet:
Plaque inaugurée au Jardin de la Mémoire (Parc de Choisy Paris 13ème) le 7 avril 2016 par la Mairie de Paris
Monsieur le Maire,
Lors de la séance du conseil municipal du XVIIème arrondissement, tenue le 2 novembre 2020, les élu-es ont voté à l’unanimité le projet de baptiser « une voie ou une place parisienne » du nom de Bernard Debré. Vous avez, à cette occasion, salué son engagement politique parisien et national ainsi que sa carrière dans le domaine médical en France et dans le monde. Toutefois, comment oublier dans cet éloge que les écrits signés par Bernard Debré au sujet du génocide commis contre les Tutsi au Rwanda en 1994 seraient aujourd’hui passibles d’être poursuivis en justice pour négationnisme ? Et qu’ils vont contre la volonté manifestée par le Président Macron en 2019 de transmettre la mémoire du génocide contre les Tutsi ?
En 1998, Bernard Debré faisait paraître Le Retour du Mwami : la véritable histoire des génocides rwandais, apportant crédit aux thèses défendues par les falsificateurs de l’Histoire, dès l’époque du génocide. Il sacrifiait dans ces pages à l’idée d’un projet hégémonique « tutsi » qui expliquerait à la fois le génocide commis en 1994 ainsi que la déstabilisation de l’Afrique centrale dans les années suivantes. A cette lecture ethniste caricaturale, s’ajoutait la minoration du génocide commis contre les Tutsi par la défense de la thèse fallacieuse du « double génocide », suggérée par le sous-titre de l’ouvrage ou affirmée par la phrase suivante : « le nettoyage ethnique organisé par les Tutsi se révèle aussi brutal et organisé que le génocide perpétré par les Hutu ». Il qualifiait par ailleurs les Tutsi de « nazis avant l’heure ».
Engagés pour la défense de la mémoire et de l’histoire des victimes et des rescapé-es du génocide contre les Tutsi au Rwanda, nous ne saurions fermer les yeux sur l’apport de Bernard Debré au dévoiement d’une histoire aussi douloureuse.
Non, il n’y a pas eu « des génocides rwandais » mais bien un seul, dont les victimes désignées étaient les Tutsi.
Non, ce génocide n’est pas le fruit d’un complot ourdi par des Tutsi pour s’emparer du pouvoir au prix des vies de leurs proches. C’est bien le résultat d’un processus politique engagé depuis 1959 par un pouvoir Hutu extrémiste, revendiquant une suprématie au nom du « peuple majoritaire » hutu, responsable de l’instauration d’un régime de discrimination systématique des Tutsi.
Non, dénaturer un génocide, fût-il commis en terre africaine, n’est pas un acte anodin, fût-il assumé par un médecin de renom et un ancien ministre de la République française.
Plus de vingt-six ans après les faits, en dépit des travaux historiques accumulés qui permettent une compréhension claire de l’enchaînement des évènements, ainsi que des enjeux politiques et éthiques liés à ce crime contre l’humanité, nous constatons avec regret que les manipulations opérées au sujet de l’histoire du génocide commis contre les Tutsi au Rwanda en 1994 n’empêchent pas un hommage public à leur auteur.
La seule mesure appropriée pour réparer cette offense à la mémoire des victimes et stopper ce qui ressemble très fort à une désinformation du public est qu’aucune rue de Paris ne soit ainsi dénommée.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Maire, l’assurance de notre considération distinguée.
Les signataires,
• Pour Ibuka France : Etienne Nsanzimana, Président
• Pour la Communauté rwandaise de France : Angélique Ingabire, Présidente
• Pour le Collectif des parties civiles pour le Rwanda : Alain Gauthier, Président
• Pour le Collectif VAN : Séta Papazian, Présidente
• Pour SOS Racisme : Dominique Sopo, Président
• Pour la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme : Mario Stasi, Président
• Pour Survie : Fabrice Tarrit, Président
• Pour l’Union des Étudiants Juifs de France : Noémie Madar, Présidente
Copie à : Madame Anne Hidalgo, Maire de Paris.(Fin)