Kwibuka29 : L’Ambassade de France à Kigali a commémoré le souvenir des 17 Tutsi de son personnel qui ont été tués en 1994

L’Ambassade de France à Kigali a commémoré le souvenir des 17 Tutsi de son personnel qui ont été tués en 1994, et l’actuel Ambassadeur de France à Kigali, Antoine Anfré (A.A.), indique que l’éducation est l’outil à exploiter pour éradiquer partout l’idéologie de la haine et du génocide qui persiste dans les pays de la région et dans la diaspora. Lire son interview accordée à André Gakwaya de Rwanda News Agency (RNA) :

RNA – La signification de ce jour ?

A.A – L’Ambassade de France comme beaucoup d’institutions de l’époque a malheureusement perdu une grande partie de son personnel rwandais lors du génocide des 1994 contre les Tutsi, et donc cette plaque a été apposée par mes prédécesseurs en 2010 pour rendre hommage à ses 17 personnes qui sont mortes dans des conditions horribles. Il y a peut-être d’autres d’ailleurs. C’est pour cela qu’il faut qu’on fasse des recherches. Chaque année depuis 2010, nous faisons une cérémonie de souvenir avec à la fois le personnel de la l’Ambassade qui travaille maintenant, Français et Rwanda, mais aussi avec les proches des victimes dont nous avons pu retrouver la trace. Ce qu’il faut que beaucoup de gens comprennent, c’est que c’est une Ambassade qui a été fermée en 1994 dans les circonstances qu’on connaît, et de nouveau en 2006, et donc qui a peu perdu sa mémoire. C’est pour qu’on connaît les gros évènements, les histoires des personnes, on ne les connaît pas forcément. C’est pour cela que je lance un appel aux Rwandais qui connaissent ces évènements pour nous donner des informations fiables qui nous permettront de mieux connaître les histoires individuelles de ces personnes. On sait qu’elles ont été assassinées dans des conditions horribles, on sait qu’elles ont été laissées derrière nous quand l’Ambassade a été évacuée malheureusement… 

RNA – Quel est l’appui que la France a consenti pour soutenir les survivants de ce personnel tué pendant le génocide ?  

A.A – Il y a un appui qui est global et qui est à mon avis essentiel. Le fait que la France ait reconnu ses responsabilités lourdes et accablantes dans le génocide. La deuxième action qui est essentielle, c’est l’action menée par la justice française. Il y a des présumés génocidaires qui résident en France et qui sont traduits devant la justice. Il y a déjà eu 4 procès, il y en a deux à venir, très bientôt. Cela est absolument essentiel.

Il y a aussi un travail qui est sur la mémoire, les archives. Le service de coopération de cette ambassade mène un travail avec le MINUBUMWE, Ibuka avec le mémorial de la Shoah à Paris pour retrouver les archives, les conserver, et les mémoriser, organiser des colloques. Tout ce travail de recherche sur le génocide est un moyen de renforcer la vérité et de rendre hommage aux victimes.

S’agissant particulièrement des agents de l’Ambassade morts à l’époque, je l’ai dit, cette plaque est là. Certains de leurs proches sont là, le mieux est que vous les interrogiez. Votre question renvoie à quelque chose de plus global, comment réparer le préjudice subi par tous les proches des victimes ? Ce préjudice est incommensurable, c’est la première des choses. Et je crois que dans cette affaire, les responsabilités ont été partagées. La France a une responsabilité parce qu’elle n’a pas su être lucide, arrêter son soutien à un régime qui abritait en son sein des criminels. Mais il y a aussi une responsabilité qui revient aux Rwandais. Ceux qui tenaient les armes à feu, les machettes, c’était des Rwandais. C’est un travail qui doit être mené par tous. Par le Rwanda, ses voisins, la communauté internationale, c’est un crime contre l’humanité qui concerne l’humanité toute entière.  

RNA – Que faire face à l’idéologie de la haine et du génocide encore persistante chez certains Rwandais de la Diaspora, et dans les pays de la région, comme en RDC, ou l’on pourchasse le Congolais rwandophone ou le Tutsi ?

A.A. – Je crois qu’il y plusieurs aspects dans votre question. Il y a un aspect régional. C’est la politique menée par les différents pays dans le cadre de la coopération régionale. C’est l’éducation des gens, c’est le témoignage qui peut faire que cette idéologie de la haine ne continue pas à se diffuser.

 Je sais qu’il y a des révisionnistes qui diffusent leur idéologie, depuis la France, la Belgique ou ailleurs en Europe. Je sais que ça se fait en kinyarwanda, c’est une des difficultés qu’on peut avoir. Les services français ne maîtrisent pas cette langue-là. Internet permet beaucoup de choses, c’est très positif, mais il y a aussi du négatif. Ça permet aux gens qui n’ont aucune compétence en histoire de s’opposer à l’histoire, des gens qui veulent tordre l’histoire d’essayer d’imposer leur vision faussée.

On a un office de lutte contre les crimes contre l’humanité qui s’occupe également des crimes de haine, tous les appels à la haine diffusés sur internet. C’est un outil qui existe en France, mais qui n’est pas facile à manier, qui a sans doute besoin de moyens supplémentaires. La question que vous posez se pose à tous les pays.

Moi qui suis les réseaux sociaux ici essentiellement tweeter d’ailleurs, je peux être à Kigali et tomber sur la propagande révisionniste qui ne vient pas de la France, mais de la région ou des gens installés ici. C’est toujours compliqué avec les histoires d’internet. C’est vrai que la question que vous posez est légitime. Elle pose la question de la régulation des réseaux sociaux avec deux principes qui s’oppose : la liberté totale d’information, même quand il s’agit de fausses informations, et à côté de cela pour réguler sans pour autant sombrer dans la censure. C’est ça le problème. Donc, il faut interdire ce qui mérite d’être interdit et laisser diffuser ce qui mérite de l’être.  C’est quelque chose d’assez compliqué. Je le constate. Mais on se doute des outils, on n’essaye pas de les mettre en œuvre. Ça passe aussi par la justice mais là aussi ça passe par du temps des moyens. Mais il faut l’éducation sur l’histoire, le respect de l’autre, l’antiracisme. Le génocide des Tutsi montre qu’on peut être africain et être drastique. Le racisme n’est pas seulement l’apanage des Bazungu, c’est un poison qui peut s’infiltrer partout et contre lequel il faut lutter partout et pour toujours.

RNA – Votre message à l’occasion de cette Commémoration… 

A.A – La France pendant longtemps a été dans le déni de ses responsabilités. Elle ne l’a plus depuis la visite de Macron, la sortie du rapport Duclerc. Il y a des Français qui ne l’étaient plus depuis longtemps. Maintenant c’est la France qui n’est plus dans ce déni, c’est important. On ne peut pas ressusciter les morts, les blessures ne disparaissent pas mais on peut essayer de réparer les choses.  C’est un message de réparations. Ou on admet nos responsabilités, nos erreurs, on reconnaît ce qui a été mal fait et on essaye de réparer ce qui peut l’être. C’est ça le message. (Fin)