« Je n’ai pas peur » Témoignage d’une sidéenne

Devant ses élèves Séraphine Dusabemariya est épanouie. Elle prend la vie du bon côté

Mme Dusabemariya, 46 ans, est institutrice d’école primaire depuis l’âge de 20 ans. Ses consoeurs de la même école la reconnaissent toutes sur deux caractéristiques : Elle est quelqu’un de très disciplinée et elle est toujours tirée à quatre épingles. A la voir, on a une stature respectueuse ainsi donne-t-elle l’impression d’être une femme forte et elle a l’air très sympathique. Cependant derrière ce physique imposant, se cache un virus du Sida depuis déjà 19 ans. Au bout de pires expériences d’une vie pleine de désespoirs et de peur, aujourd’hui cette femme se tient debout afin de lutter pour vivre et pour donner espoir, elle qui en a toujours eu le moins.  

Le calvaire commence pour elle en 1989. A ce temps Dusabemariya est récemment mariée et elle est mère d’un petit bébé. Soudain, elle est attrapée d’une toux pas ordinaire. « J’ai toussé pendant de semaines et j’ai commencé à avoir des amaigrissements non justifiées et à la fin des comptes je me suis décidée à aller consulter un médecin à l’Hôpital Universitaire de Butare, » nous dit elle « A l’époque, le Sida me paraissait bien  comme une mythe. Le Sida était vraiment loin de tout ce qui pouvait me préoccuper », elle ajoute.  

Si pour cette femme le sida n’était qu’une bête terrifiant mais inexistant, il n’était pas tout à fait le cas pour les médecins de l’Hôpital Universitaire de Butare qui se sont occupé d’elle. « Ils ont pris des prélèvements de sang sans que j’en sache la raison et ils les ont envoyé quelque part à l’extérieur du Rwanda pour subir des examens approfondis, » nous confie-t-elle.  

Ce n’est qu’après ces examens, deux mois plus tard, que Mme Séraphine Dusabemariya s’aperçoit qu’elle avait totalement tort de prendre le Sida pour mythe. Elle était infectée du VIH. « Je ne l’ai dit à personne. Mon mari ne l’a jamais su ni ma mère, les deux êtres qui comptaient très fort dans ma vie. J’ai gardé le silence. C’était, pour moi, le pire secret dont seuls les médecins qui m’ont diagnostiqué et moi en étions porteurs, » nous dit-elle.

Le tunnel du désespoir   

Depuis le jour où le médecin lui a mis au courant qu’elle était séropositive, Dusabemariya a « vécu l’enfer ». Elle affirme qu’elle avait perdu tout ce qui lui restait d’humain en elle. La vie lui devint tellement insignifiante qu’à plusieurs reprises elle essaya d’y mettre un point final. « Pour plus d’une fois j’ai tenté, en vain, de me jeter sous le pneu doublé des camions remorques de transport international des marchandises. J’ai aussi acheté plusieurs paquets de poison pour rats avec intension de les avaler mais j’y ai toujours échoué, » révèle cette femme tout en souriant au souvenir de sa « bêtise ».  

Avec le génocide qui survient en 1994, après cinq ans de vaines tentatives variées de suicide, Dusabemariya pense enfin qu’elle pourrait être tuée. Elle se cache pourtant ! Le génocide lui enlève le mari et presque toute sa famille mais elle reste intacte pour continuer à souffrir de la maladie et du désespoir. « Je me condamnais souvent à la mort et je ne pouvais trouver aucun issu par lequel je pouvais y échapper, les médicaments antirétroviraux n’étant pas encore inventés et mis au grand jour, » dit-elle.

Mme Dusabemariya a continué de garder son intime secret jusqu’au jour où elle ne le pouvait plus. « Mon corps, longtemps victime des maladies opportunistes, commençait à en être fatigué, et mon âme incapable de continuer à contenir ce secret allait en exploser, » explique-t-elle. Lorsque finalement elle décide de révéler à une autre personne son statut sérologique, c’était en 1999, dix ans après qu’elle l’eut appris et ce ne fut pas à une seule personne.

« Le stade de Huye était rempli de plusieurs dizaines de centaines d’habitants de la ville de Butare venu participer à une réunion de sensibilisation organisé par le Conseil Préfectoral de Lutte contre le Sida (CPLS) témoigne-t-elle. Nous avons tous reçu plusieurs intervenants au sujet du VIH et j’en fus touchée que je me lève et demande le micro pour me défaire d’un fardeau, » dit elle.

Pour la première fois, Dusabemariya sort son secret d’elle-même pour ne le dévoiler qu’à une foule de gens dont sa maladie sonne encore extrêmement étrange. « La plupart d’eux ne m’ont pas cru ce jour là. Certains disaient que j’avais reçu des rançons pour donner un faux témoignage au public. D’autres encore, curieux, s’approchaient de moi et me touchaient peut-être pour sentir, par le toucher, l’ensemble d’aspects qui composent l’état d’une sidéenne, » blague-t-elle et elle ajoute qu’après la réunion, une grande foule s’immobilisait  autour d’elle avec trente six milles questions et elle ne savait pas trop que faire. « Il a fallu au CPLS de rendre disponible une de leur véhicule pour me faire parcourir moins d’un kilomètre qu’il me fallait avaler pour atteindre mon demeure à Ngoma, » dit-elle en rajustant ses lunettes.

Le traitement à l’aide des ARV    

Au long d’un récit presque inachevable, son témoignage était donné et, enfin, elle pouvait encore respirer. Mais, à part cette sensation de vivacité qu’elle avait au niveau de son âme, Mme Dusabemariya n’a jamais su combien la vie s’apprêtait à nouveau de lui figer un sourire : « Mon témoignage a fait le tour du monde. J’ai commencé à avoir plusieurs messages, postaux ou électroniques de part le monde entier, certains m’invitant à participer à des conférences thématiques internationales sur le Sida, d’autres me faisant de dons variés, » raconte Dusabemariya.

Mais le plus important pour elle, parmi tous ceux qui lui faisaient les dons étaient ceux qui lui ont proposé de lui payer les médicaments antirétroviraux au temps où le traitement avec ce genre de médicaments coûtait, pour certains, les yeux de la tête. « J’ai ouïe dire que d’autres malades devaient payer deux cents milles francs rwandais par mois pour subir ce traitement. Je n’ai sorti aucun sou de ma poche pour le payer, » nous dit-elle.

Mais, le fait d’avoir reçu gratuitement ces médicaments n’a jamais signifié pour Dusabemariya qu’elle devait prendre sa chance pour acquis. « S’il n’y avait pas eu d’anti-rétroviraux, je ne serais plus de ce monde. Mon nom aurait été vite oublié, » reconnaît elle de façon très sûre.  

Ayant commencé le traitement en l’an 2000, Mme Dusabemariya a du prendre toute sorte de produit antirétroviral lui étant tombé entre les mains. Elle a même oublié certains noms des médicaments qu’elle a pris. « Je me souvient de trivilo 30 et 40 que j’ai laissé suite aux effets secondaires pour prendre l’avocomb et j’ai fini par prendre la combinaison des 3 produits à savoir le tenofovir, lamivudine et le nevirapine, » énumère-t-elle.

Selon le Docteur John Muganda ancien formateur en matière du VIH au sein de la TRAC plus, la combinaison des trois (connu sous le terme de trithérapie) est à mesure d’éliminer tous les virus circulant dans le sang et stopper le développement des virus ayant attaqué le système immunitaire du corps et le virus présent à ces deux endroits représente 99% des virus présent dans tous le corps. « Le seul problème auquel le monde fait face aujourd’hui est que cette combinaison n’est toujours pas capable de déroger le virus présent dans des cellules qu’on appelle des macrophages qui, lui, représente 1% de tous les virus présent, » se lamente le Docteur en ajoutant que le jour ou le progrès scientifique mettra à jour un produit pouvant chasser le virus dans les macrophages, « plus jamais le Sida ne sera une maladie incurable ! »

En expliquant encore le pourquoi de combiner trois médicaments pour un seul objectif, le Docteur Muganda révèle qu’une des raisons est de lutter contre des résistances médicales qui pourraient se développer et permettre au virus d’affaiblir le médicament. « Le trithérapie sert à anéantir, anéantir et anéantir le virus, » insiste-t-il. Il ajoute aussi qu’il n’existe pas plusieurs trithérapie en matière d’ARV et que la discipline absolue est exigée pendant la prise des médicament pour éviter dans tous les cas toutes les possibilités par lesquelles pourrait surgir une résistance quelconque.  

Revenant sur le cas de Madame Dusabemariya, la discipline, chez lui, est de rigueur. « J’ai enregistré des rappels sur mon portable pour ne pas manquer un temps parmi ceux dont je suis supposée prendre les médicaments, » nous explique-t-elle. Elle tient aussi à nous faire part de son agenda journalier qui est moins chargé au profit du repos. « Je me lève le matin pour aller à l’école, je rentre à midi pour le déjeuner, je retourne à l’école, et en revenant dans la petite crépuscule je dors en attendant le souper pour enfin dormir encore, » nous détaille-t-elle.

A part cet agenda, Mme Dusabemariya fait aussi beaucoup attention à son régime alimentaire. « Je ne mange pas du piment et toutes sortes d’excitants. Je dois me méfier de l’alcool aussi, » dit-elle.      

Un soleil d’espoir au zénith 
 

Depuis qu’elle est sous traitement, Mme Dusabemariya n’est plus la même personne. Depuis le jour où elle a donné son témoignage au stade de Huye dans une journée de 1999, l’institutrice très peu touché à terre. « Je suis allé à Cape town en Afrique du Sud, et à Ouagadougou au Burkina Faso pour participer à des conférences internationales sur le Sida. Je suis aussi allé à Abidjan en Côte d’Ivoire, à Goma et à Kinshasa en RDC et à Nairobi au Kenya pour différents colloques, » s’enchante l’institutrice d’une école primaire.

Mme Dusabemariya a confiance. « J’ai confiance en mon fils qui va bientôt entrer à l’université, j’ai confiance en mon traitement à l’aide des ARV, j’ai confiance en mon travail, je suis une femme à l’aise, » se déclare-t-elle. Elle ajoute surtout : « Je n’ai pas peur. Si je meurs ce sera comme si quelqu’un d’autre mourrait. Je n’ai surtout pas peur de la mort. »  

Au bruit de centaines d’élèves qui inondaient la cour de l’Ecole Primaire de Ngoma, Mme Dusabemariya regarde sa montre et espère un imminent coup de cloche qui lui ramènera ses élèves dans la classe au bout d’une récréation de 15 minutes, pour continuer le cours sur le rôle des bétails. Elle est une institutrice et une éducatrice et elle nous déclare : « Il y a 26 ans que j’exerce cette profession et rien ne semble me combler que de me trouver devant un tel tas de gamins qui sont pleins de rêves et d’espoir pour l’avenir. »