Doudou Diène, le Président de la Commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi.
L’espoir suscité par l’élection d’un nouveau chef d’Etat au Burundi et l’avènement d’une « nouvelle ère sous la présidence d’Évariste Ndayishimiye » ne sont pas, pour le moment, synonymes de changements des réorientations politiques au Burundi, a affirmé jeudi la Commission d’enquête de l’ONU sur ce pays.
Selon les enquêteurs de cette Commission, les nominations et les déclarations publiques du nouveau gouvernement burundais « s’avèrent plus préoccupantes et alarmantes, que prometteuses ». Jusqu’à présent, la Commission d’enquête n’a pas relevé de signe d’amélioration tangible de la situation des droits de l’homme malgré les déclarations à cet effet du nouveau chef d’Etat burundais. « A ce jour, nous constatons peu de changements positifs depuis l’entrée en fonction du Président Évariste Ndayishimiye », a déclaré le Président de la Commission d’enquête de l’ONU, Doudou Diène, lors de la publication de son quatrième rapport à Genève.
Pour l’équipe dirigé par cet expert des droits de l’homme originaire du Sénégal, « l’impunité persiste » et « l’espace démocratique reste très restreint ». « Rien n’indique que le niveau des violations des droits de l’homme ait diminué sous le nouveau gouvernement », a fait valoir M. Diène. Au contraire, il a ajouté que « certaines personnes soumises à des sanctions internationales pour leur responsabilité présumée dans des violations en 2015 ont plutôt été nommées à des postes de responsabilité dans l’administration de Ndayishimiye ».
Face une population sous contrôle, il faut des transformations profondes et durables
« Le contexte actuel est le contexte d’une transition politique avec un nouveau Président », a ajouté M. Diène, relevant au passage, « la profondeur historique » d’une crise burundaise « accentué par une culture de violence ». Dorénavant, « la question centrale de la Commission et de la communauté internationale est de voir si les nouvelles autorités vont opérer des transformations profondes et durables sur la question des droits de l’homme au Burundi ».
En attendant, la Commission estime que « les facteurs de risques identifiés existent encore au Burundi » et que « les risques pour l’avenir ne sont pas négligeables ». Parmi « les facteurs de risque » mis en avant par les enquêteurs onusiens, le plus important reste « le rétrécissement continu de l’espace démocratique depuis 2015 ». Le rapport des forces n’a pas changé et désormais « le parti au pouvoir concentre les pouvoirs » à tous les niveaux dans « une proportion tout à fait inédite ». Dans ces conditions, l’opposition politique, la presse et la société civile n’ont plus vraiment la capacité d’agir comme contre-pouvoirs légitimes et demander des comptes au gouvernement burundais.
Les enquêteurs onusiens ne notent pas également de changements sur la « quasi-totale impunité » dont jouissent des responsables administratifs locaux et surtout les membres de la ligue des jeunes du parti CNDD-FDD, les « Imbonerakure ». Ces derniers sont encore les principaux auteurs de toutes ces violations, tout comme des agents sur Service national de renseignement (SNR) et de la police et des autorités administratives locales.
Le tabou des violences sexuelles faites aux hommes
La population reste « sous contrôle » notamment des « Imbonerakure » qui mènent des actes d’intimidation, y compris des recrutements forcés au sein du CNDD-FDD. Selon les enquêteurs indépendants onusiens, ces pratiques ont même continué lors de la dernière élection présidentielle même si elles ont plutôt visé les membres du principal parti d’opposition, le Congrès National pour la Liberté (CNL).
Le rapport de la Commission explique également comment une partie de la population a continué à être forcée, par des « Imbonerakure » et des responsables administratifs locaux, à donner des contributions en argent ou en nature. L’objectif est de continuer à soutenir le CNDD-FDD, d’organiser des rassemblements politiques ou de faire des cadeaux à son candidat désigné.
Par ailleurs, l’équipe de M. Diène s’est penchée, pour la première fois cette année, sur la question des violences sexuelles contre les hommes au Burundi. Ces derniers ont été soumis à diverses formes tortures visant leurs organes génitaux, ont aussi été violés, ou forcés d’avoir des relations des relations sexuelles avec d’autres détenus, hommes et femmes.
La Commission a constaté qu’il s’agit d’un outil couramment utilisé pour collecter des renseignements, souvent infligé pendant que les victimes sont détenues par le Service national des renseignement (SNR). « La douleur physique infligée est aggravée par les séquelles psychologiques liées à la stigmatisation, ou à la peur de celle-ci car la stigmatisation touche à des tabous culturels profondément ancrés dans la société burundaise », explique le rapport.
D’une manière générale, ces violences sexuelles visent « à intimider, à contrôler, à réprimer ou à punir des femmes et des hommes pour leur opinion politique supposée ou réelle, leur refus d’adhérer au parti au pouvoir ou leurs liens avec un mouvement armé ». Ces violences ont principalement été commises par des « Imbonerakure » ou des membres de la police, lors de visites ou d’attaques du foyer des victimes, mais également dans le cadre d’arrestations et de détentions sous la responsabilité du SNR.
Les enfants et adolescents, cibles des « Imbonerakure »
Les enquêteurs indépendants de l’ONU se sont également penchés sur les graves violations des droits de l’homme commises sur les enfants et les adolescents. Dans certains cas, ces derniers ont été particulièrement ciblés, par exemple lors de leur recrutement forcé au sein des « Imbonerakure ». Dans d’autres cas, ils ont été blessés lors d’attaques sur les membres de la famille, qui étaient les cibles réelles.
« Nous craignons fortement les conséquences de la crise de 2015 sur l’avenir du Burundi, ne serait-ce qu’en raison de son impact à long terme sur les enfants », a déclaré la Camerounaise Lucy Asuagbor, l’une des trois membres de la Commission d’enquête.
Plus largement, le rapport rappelle que les facteurs de risque communs sont toujours présents au Burundi, même après la tenue des élections de 2020. Une façon pour les enquêteurs de souligner les récents incidents de sécurité, « la toute-puissance persistante des Imbonerakure dans la sphère publique, qui dans de nombreuses zones rurales agissent de facto comme des agents des forces de sécurité ». Les facteurs de risques se matérialisent également par « la prolifération des discours de haine pendant le processus électoral, y compris les discours de haine à dimension ethnique ».
Pour les enquêteurs onusiens, ces principaux facteurs de risque ne peuvent disparaître que si les nouvelles autorités prennent des mesures tangibles. Dans ses recommandations, la Commission appelle Bujumbura à faire « cesser l’usurpation des fonctions des forces de sécurité ou de la justice par des Imbonerakure.
Des « progrès tangibles » avant toute levée des sanctions internationales
La Commission d’enquête estime important de poursuivre en justice, de manière exemplaire, les personnes impliquées dans des violations de droits de l’homme, sinon dissoudre les Imbonerakure. Aux groupes rebelles d’opposition, la Commission recommande de s’abstenir de tout acte violent.
À la communauté internationale, conformément à son devoir de vigilance, les enquêteurs onusiens souhaitent que la reprise de la coopération internationale avec le Burundi et « la levée des sanctions » soient liées à « des progrès tangibles en matière de droits de l’homme et de lutte contre l’impunité ». Et M. Diène espère « que le nouveau gouvernement prendra des mesures concrètes pour atténuer les facteurs de risque ». « Cependant, si ce rôle ne peut être joué qu’au péril de la vie ou de la liberté, la communauté internationale se doit de continuer à être fortement préoccupée », a alerté le Président de la Commission.
En attendant, M. Diène estime que « la balle est du côté des autorités burundaises ». S’il y a désormais l’espoir d’« une possibilité de changement », les enquêteurs onusiens ne voient pas pour le moment « des signes tangibles de changement ». « Donc il faut que la communauté internationale soit absolument vigilante dans les semaines et mois à venir, pour voir si les changement vont se dérouler », a indiqué le Président de la Commission.
« Ce que nous lançons comme appel à la communauté internationale, il y a une transition, il y a une possibilité qu’il y ait une transformation profonde de la situation des droits de l’homme, mais ces transformations doivent être durables et sérieuses », a conclu M. Diène.
Les autorités burundaises auront l’occasion de donner leur point de vue sur ce sombre tableau décrit par les enquêteurs onusiens, lors de la présentation du rapport le mercredi 23 septembre à Genève, devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. (Fin)