Le Président de la Commission, Wouter De Vriendt
Kigali: Après deux jours de travail de mémoire au Rwanda, la Commission Parlementaire Spéciale sur le passé colonial belge est retournée à Bruxelles, juste après un périple de neuf jours qui l’aura menée en RDC, au Burundi, et au Rwanda. Le Président de cette Commission, Wouter De Vriendt, s’est entretenu avec André Gakwaya de l’Agence Rwandaise d’Information (ARI-RNA) et il a parlé de leur mission, des enjeux, et du rapport à dresser, toujours pour bâtir un meilleur futur entre la Belgique et les trois pays. Lire son interview :
Agence Rwandaise d’Information (ARI) – Vous commencez par vous présenter ?
Wouter De Vriendt (WDV) – Je m’appelle Wouter De Vriendt. Je suis le Président de la Commission Spéciale sur le Passé Colonial. C’est une Commission de la Chambre des Représentants de la Belgique pour les trois pays concernés : le Congo, le Burundi et le Rwanda.
ARI – Vous êtes maintenant à Kigali. Est-ce que vous avez été en RDC et au Burundi. Est-ce votre dernier périple ?
WDV – C’est la dernière étape ici à Kigali. Dans quelques heures, la délégation rentre en Belgique. Mais pourquoi est-on venu ici au Rwanda, au Burundi et au Congo ? On était ici à Kigali en fait pour vous écouter, pour écouter les Rwandais. On est venu ici avec vraiment une attitude d’écoute, en tenant compte du passé colonial, les choses quand même douloureuses, de cette époque-là. Voilà, on est ici avec une attitude assez modeste. Une attitude d’écoute.
On est 60 ans après l’indépendance du Rwanda. En fait, c’est la première fois que le Parlement belge entame un tel exercice de travail de mémoire. On peut poser la question de savoir pourquoi cela a duré aussi longtemps ? C’est une très bonne question. Il y a sans doute différentes raisons. Mais le plus important est que le Parlement a quand même montré cette conviction de se lancer dans ce travail de mémoire, c’est la raison pour laquelle on est ici.
Peut-être vous raconter quelque chose sur le mandat de notre Commission, qu’est-ce qu’on fait exactement dans cette Commission. Il y a trois grands volets dans notre mandat. Le premier volet est un travail historique. Qu’est-ce qui s’est passé, quel était le rôle, la responsabilité des différents acteurs étatiques et non étatiques pendant le passé colonial ici au Rwanda, au Burundi et Congo ?
Deuxième volet, la réconciliation. Des éventuelles réparations. Comment pouvoir ou comment essayer de réparer les injustices du système colonial ?
Et troisième volet : Quel est le lien entre le passé colonial et la discrimination et le racisme qui existent malheureusement toujours dans la société belge actuellement ?
Alors où en est-on dans nos travaux? Jusqu’à maintenant, on a entendu dans les auditions au Parlement, on a auditionné plus de 120 personnes dont beaucoup de Rwandais, de Burundais et Congolais et des représentants de la diaspora. On va rédiger nos conclusions vers la fin de l’année.
D’autres membres de la Commission sur le passé colonial belge dans les trois pays des Grands Lacs
Et on est accompagné par un groupe d’experts de trois scientifiques dont Mme Valérie Rosoux de l’Université Catholique de Louvain (UCL) qui fait partie de la délégation belge, donc lors de notre visite ici, depuis le début de la Commission. La Commission a commencé ses travaux en Juillet 2020, cela veut dire que dans sa globalité, on mène ce travail pendant deux ans et demi.
Mais depuis le début, on a immédiatement décidé de se faire accompagner par un premier groupe d’experts, de dix experts, parce que voilà il n’y a pas un manuel pour notre travail. C’est parce que c’est la première fois qu’une ancienne puissance coloniale s’engage dans un travail de mémoire. Et vers la fin de l’année, on doit rédiger nos conclusions. Ce sont des recommandations politiques d’un Parlement vis-à-vis du Gouvernement. Parce qu’on est une délégation parlementaire, on est une commission parlementaire. Je ne parle pas au nom du gouvernement belge, mais au nom de notre Commission parlementaire.
Le début de juillet 2022, on a eu cette lettre du Roi Philippe qui a exprimé ses profonds regrets. On a aussi eu une certaine pression sociale pour vraiment commencer avec ce travail de mémoire liée partiellement avec le mouvement Black Lives Matter qui aussi suscité beaucoup de débats en Belgique autour du racisme, la discrimination, et on a eu aussi quelques initiatives des groupes politiques dans le Parlement belge qui ont insisté sur l’urgence de ce travail de mémoire et de reconnaissance. Tous ces éléments-là ont déclenché le début de notre Commission.
Donc on doit rédiger nos conclusions vers la fin de l’année, mais je vais vraiment souligner que pour nous le processus et la méthodologie sont également importants. Il y a trois principes clés :
Premier principe: le respect mutuel, d’égal à égal. On veut entendre les victimes de la colonisation et on vient ici avec une attitude d’écoute au lieu de ce qui pourrait être une attitude paternaliste.
Deuxième principe clé : l’inclusion et la participation. On a donc essayé d’impliquer des experts, des orateurs, des Congolais, des Rwandais, des Burundais, et les membres de la diaspora avec une méthodologie assez ouverte, et innovatrice aussi pour un Parlement, parce que normalement quand un Parlement veut choisir quels experts, quels orateurs va-t-on inviter dans des auditions dans une Commission par exemple, ce sont les groupes politiques qui font le choix. Mais on a essayé de renverser cette logique, et on a publié sur le site web de la Chambre un appel public, un appel ouvert à tous ceux qui se sentent intéressés, qui se sentent concernés par ce travail de mémoire.
Et le troisième principe clé en ce qui concerne notre méthodologie, c’est la transparence. Il y a une émission de chaque audition, une émission sur le site de la chambre et tous nos documents y sont publiés, et heureusement aussi les médias belges suivent nos travaux.
Est-ce que c’est un travail facile ? Pas du tout. C’est en fait extrêmement difficile. Une des raisons, je l’ai déjà évoquée, est que c’est la première fois qu’une ancienne puissance coloniale s’engage dans un travail d’une telle ampleur. Il y a des exemples à l’étranger, par exemple l’Allemagne, la Namibie, etc., mais avec une ambition beaucoup plus restreinte, limitée que l’ambition de notre Parlement.
Deuxième raison qui peut expliquer la difficulté, c’est évidemment aussi l’enjeu politique belgo-belge, je dirais. Voilà, c’est un enjeu politisé. Pas tous les groupes politiques qui sont représentés dans le Parlement belge montrent le même niveau d’enthousiasme. Mais quand-même il y a un fort soutien, il y a un appui du Parlement, sinon on ne serait pas là avec la Commission, avec les experts, avec la faisabilité du travail. Et donc on reste convaincu.
Et peut-être que je vais terminer par là. Pointer quelques sujets importants. De quoi parle-t-on dans cette commission ? Donc, le rôle de l’Etat belge dans le passé colonial, le rôle de la monarchie, le rôle de l’Eglise, le rôle des entreprises belges aussi, la restitution des biens culturels, la problématique extrêmement douloureuse des métis abandonnés, ou des métis enlevés vers la Belgique, les archives et l’accessibilité aux archives qui se trouvent en Belgique, comment les rendre plus accessibles pour les scientifiques du Rwanda ? Des éventuelles excuses, que faire de notre espace public, avec la visibilité du passé colonial dans nos rues et dans nos villes, voir les monuments de Léopold II par exemple qui ont suscité un grand débat, l’éducation, la collaboration scientifique, la formation. Quel engagement que la Belgique peut développer autour de cette formation de la jeunesse rwandaise aussi ? Donc, c’est une Commission qui ne regarde pas seulement vers le passé, mais aussi vers le futur, vers l’avenir en tenant compte de ce passé colonial. Quelles sont les actions à prendre par la Belgique pour renforcer son engagement vis-à-vis du Rwanda ? Là-dessus, on devra rédiger quelques recommandations, et évidement il y a ici spécifiquement au Rwanda un lien entre le passé colonial et les événement dramatiques de 1994 et le Génocide contre les Tutsis.
Pendant le passé colonial, les divisions ethniques ont été renforcées voire même produites, sous le pouvoir colonial. Voilà, il y a quand même une certaine responsabilité de la Belgique en tenant compte du passé colonial. Pourtant, c’est la raison pour laquelle la Belgique se montre toujours aujourd’hui assez engagée vis-à-vis du Rwanda. Sur le plan de coopération au développement, par exemple, il s’agit de dizaines de millions d’euros, donc il y a ce fort engagement vis-à-vis du Rwanda. Ce qui est une très bonne chose. Mais il y a sans doute d’autres mesures, d’autres actions à développer.
Pourquoi est-ce qu’on est venu maintenant, c’est aussi important. Je ne peux pas vous dire quelles recommandations, quelles conclusions ou quelles actions que la Commission va proposer parce qu’on est toujours dans la phase des auditions et le débat politique qui doit décider sur les actions à prendre doit encore avoir lieu en novembre – décembre. Mais ça serait évidemment illogique de venir ici au Rwanda avec déjà le rapport définitif, avec le rapport final, et voilà ça c’était notre travail, c’était un travail belgo-belge. On n’est jamais venu ici pour vous écouter, après avoir rédigé nos conclusions. Ce serait évidemment une erreur, encore une erreur, et donc on a choisi l’autre méthodologie, une approche différente, venir ici avec une attitude d’écoute, pour avoir des suggestions. On prend note, on s’engage dans un dialogue et avec ce feedback, toutes les suggestions, aussi du Rwanda et de nos interlocuteurs d’ici, nous allons mener la discussion dans la Commission parlementaire.
ARI- Mais à voir ce qu’a été l’œuvre coloniale, les trois pays ont connu des destructions massives, vastes, profondes. Je me réfère au livre d’André Gide « Voyage au Congo ». On parlait d’un génocide qui se commettait. Les gens qui n’allaient pas exécuter les corvées dans la culture du caoutchouc étaient battus à la chicotte ou avaient leurs jambes ou bras coupés. Les dégâts ont été immenses. Et quand vous parlez de réparation, est-ce une réparation symbolique ou une vraie réparation substantielle, juste et équitable, envers les trois pays ? Est-ce que la Belgique est en mesure de le faire ? Trouver des moyens pour une telle réparation s’avère impossible. Est-ce que la Belgique peut trouver des moyens suffisants pour cette réparation équitable ? C’est trop espérer. On peut lire au moins des efforts. Comment abordez-vous cette question ?
WDV – Premièrement, vous avez tout à fait raison. Il s’agissait d’une brutalité énorme, des atrocités, d’une guerre en fait, occupation avec des viols, avec une exploitation énorme des trois pays concernés. Donc, il y a une injustice indéniable quand on examine ce passé colonial. C’est pour cela que peut-être premièrement cette reconnaissance. Qu’est-ce qui s’est passé, c’est important. On ne peut pas aller vers une réconciliation sans reconnaître ce qui s’est passé. C’est vraiment aussi pointer aux rôles de différents acteurs étatiques comme l’Etat même, la monarchie, mais aussi le rôle de l’Eglise. Après viendra la discussion sur la réconciliation, la réparation. Et là, c’est beaucoup trop tôt pour vous parler vraiment desdécisions à prendre. Mais je peux vous dire quand même déjà maintenant qu’il y a différentes options, différentes possibilités, sans que je m’engage dans une des options.
J’ai déjà mentionné la coopération au développement, améliorer la coopération scientifique, investir dans la formation et l’éducation parce que ça a un lien avec le passé colonial. Comme vous le savez, la Belgique a vraiment mal formé la jeunesse rwandaise, burundaise et congolaise. Il n’y avait pas presque pas d’éducation secondaire et au-delà d’éducation universitaire vraiment pour éviter qu’une certaine élite rwandaise, burundaise, congolaise puisse émerger, qui pouvait s’opposer aux pouvoirs coloniaux. Si la Belgique prend la décision de s’engager vraiment dans le domaine de l’éducation, en fait, ça consiste en une certaine réparation d’une erreur historique du passé colonial. Donc il y a un lien entre les deux. Mais on peut aussi imaginer des bourses, des échanges entre les étudiants de la Belgique et du Rwanda plus renforcés qu’il en existe aujourd’hui.
Il y a la problématique des métis, vraiment liée au passé colonial. Les métis qui ont été enlevés en Belgique ou abandonnés dans les trois pays concernés. Ce sont des personnes qui sont toujours en désespoir et qui sont toujours en train de rechercher leurs racines. L’Etat belge peut les aider. Et déjà il y a un effort qui se fait, mais quand même important d’explorer encore d’autres possibilités. Je ne vais pas m’engager déjà trop loin dans les recommandations et dans le débat continu déjà, mais je pense que ce qu’on on a entendu au Rwanda demande de l’engagement de la Belgique vis-à-vis du Rwanda, un engagement fort, un engagement durable aussi sur le plan politique. Parce que quand le monde oublie la région des Grands Lacs, la Belgique doit toujours être là pour sonner l’alarme et pour déclencher un débat politique au niveau international autour de la Région des Grands Lacs et les conflits dans la région. Aussi en tenant compte du passé colonial, c’est vraiment le rôle que la Belgique devrait jouer. On a cette responsabilité historique, voire même morale. Donc, il y a plein de possibilités. A voir en novembre – décembre quelles seraient nos conclusions.
ARI- Etes-vous satisfait de l’accueil qui vous été réservé à Kigali ? des personnes que vous avez rencontrées ?
WDV – Oui. Oui. Absolument. C’était extrêmement intéressant. On a pu rencontrer le Président et la Vice-Présidente de la Commission des Affaires Étrangères au Parlement. Evidemment, on a aussi pu visiter le mémorial du Génocide à Kigali et la délégation a déposé une gerbe. On a parlé avec Aegis Trust, on a pu rencontrer différents académiques, différents scientifiques, des représentants de la société civile et de la jeunesse. Ce matin on a visité le mémorial des casques bleus belges. Donc voilà. Si on veut mener un travail sérieux, on doit se rendre sur place pour avoir un dialogue sincère, et j’espère qu’on pourra encore développer nos contacts aussi au niveau politique. On a vraiment cette volonté.
ARI- Le sujet peut être vaste. Brièvement, comment la visite a été au Burundi et au Congo ? Le reste vous me donnerez les détails après.
WDV – C’était vraiment fructueux comme visite de travail. On a été accueilli chaleureusement en fait. Et ce qui est vraiment clair pour la délégation belge, c’est qu’il y a encore beaucoup de liens entre la Belgique et ces trois pays concernés. Au niveau de la famille, au niveau de la vie professionnelle, il y a un lien historique très durable entre les quatre pays. Je ne vois qu’un avenir partagé. Un avenir commun entre ces quatre pays concernés. Voilà. Dans la politique, il faut être optimiste et je sens qu’on verra parfois des divergences d’opinions, mais à la base se trouve vraiment une bonne relation, et je pense qu’on doit continuer ce chemin-là.
ARI-Les gens contactés sont unanimes pour dire que votre travail est indiqué pour construire un futur partagé ensemble ?
WDV – La plupart des réactions étaient aussi par rapport à l’avenir, par rapport au futur. Et donc le passé colonial. Voilà, il y a des pays qui ont d’autres soucis, d’autres problèmes actuels. Les défis sont parfois immenses dans les pays concernés et le passé colonial n’est jamais la première problématique dans la tête des gens. Ça c’est évident. Mais je pense que le passé colonial pourrait être vraiment la porte pour se réconcilier. Pour ensemble envisager quelques actions à prendre, l’engagement et construire une nouvelle meilleure relation.
ARI-Merci beaucoup.
WDV –Avec plaisir. …Ça a été très fructueux toutes les rencontres. On a rencontré plus que 150 personnes et organisations pendant neuf jours. (Fin)