Patrice Bigombe Logo
Patrice Bigombe Logo (PBL), Camerounais d’origine, a fait partie des divers panels lors du récent Congrès Africains sur les Aires Protégées (APAC) de Kigali. Il présentera bientôt sa thèse : « Etats africains et chasseurs cueilleurs pygmées d’Afrique Centrale ». Lire l’interview sur la conservation dans les pays d’Afrique Centrale qu’il accordée à André Gakwaya de l’Agence Rwandaise d’Information (ARI-RNA).
PBL – Je m’appelle Patrice Bigombe Logo. Je suis politologue de formation et je suis enseignant chercheur à l’Université Catholique d’Afrique Centrale et je dirige le Centre de Recherche et d’Action pour le Développement Durable en Afrique Centrale. Je suis basé à Yaoundé au Cameroun.
ARI – Vous êtes basé au Cameroun, mais vous travaillez sur l’Afrique Centrale …
PBL – Je travaille sur les principaux pays d’Afrique Centrale par rapport aux politiques de conservation de la biodiversité, sur le Cameroun, la RCA, le Gabon, le Congo Brazza, et sur la RDC.
ARI – Comment se présente la conservation dans ces pays d’Afrique Centrale ?
PBL – C’est une grande question. Je dois dire que la conservation de la biodiversité évolue à géométrie variable. C’est-à-dire que le processus n’est pas identique d’un pays à un autre. Mais de manière globale, ce qu’on peut reconnaître, c’est que dans tous ces pays-là, on a beaucoup avancé au cours de ces dernières années avec la politique d’aménagement des aires protégées. Vous savez qu’à l’époque avant Rio, 1992, les aires protégées n’avaient pas de plan d’aménagement, mais après Rio 92 et les différentes lois qui sont suivies, avec une évolution assez importante dans un pays comme le Congo Brazza, qui vient aussi de réviser sa loi, qui a une nouvelle loi sur les aires protégées, tous ces pays-là ont adopté l’exigence d’aménagement. C’est-à-dire que chaque aire protégée a un document. On appelle ça le plan d’aménagement qui dit exactement comment est-ce-que l’aire protégée est gérée. Ça c’est une constante générale.
Avec les autres panélistes
Deuxième élément important qui concerne ces pays-là, il y a l’évolution dans le modèle de gestion, c’est-à-dire que l’Etat n’est plus le seul acteur de la gestion des aires protégées, dans certains pays comme le Cameroun et le Gabon, l’Etat travaille avec l’appui des organisations internationales de conservation de la biodiversité. Et dans un pays comme le Congo Brazza et la RCA, les Etats sont allés dans ce qu’on appelle aujourd’hui un modèle de délégation des responsabilités, c’est-à-dire que l’Etat délègue une certaine responsabilité à une ONG internationale de la conservation de la biodiversité. Par exemple, ça peut être Africain Park ou d’autres organisations qui ont une responsabilité de gérer les aires protégées, mais en rendant compte à l’Etat sur la base d’une convention, d’un partenariat public-privé établi entre le gouvernement et l’organisation internationale de conservation de la biodiversité.
Troisième tendance majeure d’évolution dans la sous-région, et qui est une tendance positive, c’est qu’il y a des pays qui ont pris la décision de mettre en place des agences de gestion des aires protégées, c’est-à-dire on enlève la gestion des aires protégées au Ministère des Forêts ou de l’Environnement pour la confier à une structure publique, mais qui a une autonomie administrative et financière. Par exemple, on a l’Agence Nationale de Gestion des Parcs Nationaux du Gabon qui est responsable de la gestion quotidienne des aires protégées au Gabon. Vous avez le Congo Brazzaville qui a également suivi dans cette dynamique la création d’une agence. La RDC a été la première à le faire parce qu’elle avait mis en place l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN). C’est une structure, qui est certes sous la tutelle du Ministère de l’Environnement, mais qui est une structure qui a une autonomie financière et administrative, et qui a la responsabilité de la gestion des aires protégées au quotidien. Voilà globalement les différentes tendances d‘évolution.
Maintenant les problèmes majeurs, c’est que dans ces différents pays en Afrique Centrale, les politiques de législation qui organisent la gestion des aires protégées en dehors de quelques évolutions qu’on a connues au Congo Brazzaville sont restées encore sur le modèle colonial. C’est-à-dire que les aires protégées sont véritablement des espaces dédiés à la conservation de la biodiversité. Alors la problématique de la connaissance des droits des populations, certaines populations sont installées dans les aires protégées et d’autres sont autour des aires protégées. Ceci est une problématique majeure en ce moment. Comment faire en sorte que dans ces espaces qui sont des aires protégées, on reconnaisse des droits aux populations. Droit à l’accès à la terre, aux produits forestiers non ligneux, droit d’usage coutumier, même les plans d’aménagement qui ont adopté cette évolution, on a aujourd’hui affaire à de mise en œuvre effective. Je vous donne un cas. Moi je suis nanti, je fais partie d’une communauté des chasseurs et cueilleurs pygmées installés dans une région, dans une aire protégée. Nous avions à l’époque une culture, la culture du dengi, c’est-à-dire que c’est un rite d’initiation lorsque vous devez passer de l’adolescent à la société masculine, vous passez ce rite d’initiation- là. La circoncision etc., pour que vous puissiez le faire, il faut que vous ayez accès à une viande, à la faune, par exemple la viande d’éléphant, etc…, Mais aujourd’hui, ce n’est plus possible. Donc la question de la chasse rituelle. Comment permettre aux populations qui avaient dans leur culture la chasse pour avoir accès à une certaine viande, à la viande d’éléphant, à la faune, à partir de certains rites, puissent continuer à le faire. Ce n’est pas autorisé, ce n’est pas accepté. Donc, il y a ce débat-là. Dans un pays comme le Cameroun, des négociations ont commencé entre le Ministère des Forêts et de la Faune et les populations pour que ces droits-là soient reconnus aux populations. Donc, on est allé vers la signature de ce qu’on appelle les memoranda d’entente, entre le gouvernement, les organisations de conservation de la biodiversité et les populations riveraines pour que certains de ces droits-là puissent être exercés dans les aires protégées. Mais il reste la mise en œuvre de ces memoranda et que ces droits d’usage qui sont reconnus aux populations dans les aires protégées soient effectifs. Problème majeur, c’est aussi la question du financement. Pour l’instant, les principaux financements qui vont à la conservation et à la gestion de la biodiversité ce sont les financement extérieurs, c’est-à-dire que sans la coopération internationale, sans la mobilisation des organisations internationales de conservation de la biodiversité, il est très difficile que dans ces pays on puisse véritablement avoir la gestion, et d’ailleurs la délégation de la gestion de certaines de ces aires protégées à des organisations internationales de conservation de la biodiversité, c’est parce que les Etats n’arrivent pas à dégager suffisamment des budgets pour pouvoir gérer ces ressources.
ARI- Que signifie le titre de ce panel dont vous avez fait partie : « Comment intégrer les connaissances traditionnelles dans la conservation de la biodiversité et dans la lutte contre le changement climatique?”
PBL-Les connaissances traditionnelles, c’est-à-dire que nous avons dit dans ce panel que les communautés locales et les peuples autochtones ne sont pas seulement les victimes du climat, du réchauffement climatique, mais sont aussi des acteurs et une solution, parce que les populations autochtones sont détenteurs des connaissances et des savoirs que si elles sont reconnues, valorisées et intégrées dans les politiques climatiques de nos Etat en Afrique. Cela pourrait améliorer, contribuer, densifier la lutte contre le changement climatique que nous avons aujourd’hui.
Donc, il faut reconnaître ces connaissances, il y a des connaissances en termes d’écosystèmes, mais il y a aussi des connaissances métrologiques. Je suis sûr qu’ici au Rwanda vous avez des communautés qui vous font des prédictions. Qui vous disent qu’en fonction de tels éléments qu’on observe dans la nature, il va pleuvoir demain ou après-demain. On appelle ça la connaissance météorologique. Donc, il faudrait documenter ces connaissances, créer une espèce de dialogue, entre les scientifiques traditionnels et les scientifiques modernes, pour que les connaissances développées par les scientifiques traditionnels soient intégrées dans les systèmes modernes de prévention, de lutte contre le changement climatique. On a insisté aussi sur le fait que les détenteurs, les scientifiques traditionnels étant les acteurs, ceux qui ont un âge avancé, il faudrait qu’on s’assure de la transmission de ces connaissances-là de l’ancienne génération à la jeune génération pour que demain nos jeunes aujourd’hui ou de demain puissent également avoir ces connaissances. Donc, c’est la transmission intergénérationnelle des connaissances traditionnelles. (Fin)