Mère de 7 enfants, M.L. de Busanza, en périphérie de Kigali, a été rejetée par son mari, il y a deux ans. Fatiguée de ses grossesses rapprochées, elle s'était fait ligaturer les trompes – une méthode irréversible pour ne plus faire d'enfant -, sans le consentement de son conjoint. Celui-ci a pris une autre femme qui pouvait lui en donner d'autres. Pour lui, c'est "une punition à sa femme qui s'est rendue stérile à son insu".
Comme elle, nombre de Rwandaises, épuisées par leurs familles nombreuses, adoptent des méthodes contraceptives, sans le dire à leurs époux qui sont souvent réticents. Certains pensent que, quand la femme ne craint plus de tomber enceinte, elle risque d'aller avec d'autres hommes. De même que certaines femmes estiment que, si elles n'ont que deux ou trois enfants, leur mari ira en faire d'autres ailleurs. Ce qui contribue souvent à les diviser.
Pourtant, selon Lyliose Umumararungu, agent de l’Association rwandaise du bien être familial, (ARBEF), "l'un des objectifs de la planification familiale est d’augmenter la joie et le bonheur entre les époux, et d'assurer la sécurité des enfants". Mais les femmes qui prennent des mesures pour ne plus être enceintes sont souvent injuriées, frappées, voire répudiées par leurs conjoints. A Rwaniro, sud du Rwanda, Louise a subi régulièrement les coups de fouet de son mari qui avait découvert qu’elle prenait des pilules en cachette.
Le malentendu sur la limitation des naissances peut aussi venir de la femme. V.M, habitant de Kigali dit avoir été trompé par son épouse qui voulait un autre enfant. "On avait planifié pour deux enfants, mais ce bébé est le quatrième et ma femme ne cessait de m'assurer qu’elle prenait des contraceptifs", affirme-t-il, refusant les félicitations de ses collègues pour la naissance de son fils. "Depuis la conception du quatrième enfant, on ne s’entend pas bien en famille", ajoute-t-il.
Rumeurs sur les contraceptifs
Ce sont aussi souvent les préjugés et les rumeurs sur les méthodes contraceptives qui sont à l'origine de ces problèmes. Kabera, 39 ans et père de 8 enfants ne veut pas que sa femme prenne des contraceptifs. Lui-même hésite à pratiquer la vasectomie, cette opération qui, selon les médecins, rend les hommes stériles, mais ne change en rien la qualité des rapports sexuels. "Je ne veux pas me faire castrer, je ne veux pas devenir impuissant", dit-il. "Pour certains, les contraceptifs diminuent le plaisir au cours des relations sexuelles ou peuvent être à l’origine du cancer, des saignements ou de douleurs abdominales", explique cet infirmier de Nyaruguru, sud du Rwanda.
Ces rumeurs qui circulent alimentent la peur des couples à limiter les naissances, malgré leur souhait de ne pas mettre au monde de nombreux enfants. "En cas de saignements ou de douleurs, mon mari va me rejeter et me dire que c’est moi qui ai causé ces maux", témoigne Anitha. "On m’a dit que si je prends des pilules, je ne pourrais pas mettre au monde un enfant de 9 mois, je n’aurais que des prématurés", confie Rachel, justifiant son refus de les prendre. Mais d’autres femmes, comme Murereyimana de Nyaruguru, qui prennent des pilules depuis des années, témoignent qu’elles n’ont rencontré aucun problème. "Ça m’a beaucoup aidé car je mettais au monde presque chaque année", affirme-t-elle.
Le ministère de la Santé vient de clôturer une campagne pour contrer ces rumeurs sur les méthodes de planification familiale, mais les résultats ne sont pas très visibles. "C’est vraiment déplorable, ces gens ne considèrent même pas le fait qu’ils reçoivent ces traitements de la part des agents de santé qui savent ce qu’ils font", réagit madame Nyankesha Elvanie du ministère de la Santé.
Trois enfants par famille
Des facteurs socio culturels restent aussi un handicap à la réussite de la politique de régulation des naissances. Certaines femmes n’ont d'autre choix que d’obéir à leurs époux : "Je ne peux pas penser à cette histoire de planification des naissances. Au lieu de divorcer, je ferai tout ce qu’il veut", affirme cette maman de 28 ans venue au centre de santé de Rusatira faire vacciner son cinquième enfant. "Comme elles sont les premières à subir des conséquences des grossesses non planifiées, elles ont droit aux contraceptifs même si les époux ne le souhaitent pas", estime, lui,le Dr Ngabo Fidèle du ministère de la Santé.
Au Rwanda, les femmes qui utilisent les méthodes contraceptives modernes a cependant augmenté de 4% en 2000 à 27% en 2008, un net progrès mais encore insuffisant dans ce petit pays, de plus en plus surpeuplé. La densité, calculée sur la surface habitable, atteint aujourd'hui 433 habitants au km2 et même 1000 dans certains districts très peuplés du Sud. Selon l’Institut national des statistiques, le nombre moyen d'enfants par femme est passé de 6,2 en 2005 à 5,5 en 2008. Les autorités continuent à faire campagne pour que la population limite à trois le nombre d'enfants par famille.