Mzee Itangishaka Abdou.
C’est la sixième fois qu’Itangisahaka Abdou du Village Amahoro, Cellule Nyakabanda, Secteur, Niboye, District de Kicukiro se présente devant le Tribunal de base de Kicukiro (ex-Kagarama) avec quatre témoins à décharge. Il veut être lavé du délit, pendant le Génocide, de pillage des biens appartenant à Béata Musabiimana, sa voisine. Le verdict a été rendu par la cour Gacaca de Kanombe, dépêchée pour réviser le procès au 3ème niveau.
Itangishaka est âgé de 59 ans. Il est marié, père de huit enfants, de la catégorie 1 d’Ubudehe des Vulnérables.
Rappelons qu’au premier degré du tribunal au niveau de la cellule Nyakabanda, Itangishaka a perdu le procès. Il a fait appel en fournissant des témoins. Il a eu gain de cause. Mais Béata a demandé que l’affaire soit rejugée. C’était le moment où l’on s’approchait de la clôture des Gacaca au niveau national. La cour Gacaca de Kanombe a été désignée pour procéder au jugement, malheureusement expéditif. Car, elle n’a pas pris soin de confronter les témoins interrogés au niveau du secteur Niboye. Après avoir écouté les deux parties dans l’affaire, la cour a conclu qu’Itangishaka été coupable de pillage des biens de Béata. Ces biens sont : Frigo, radio, tv, chaises et fauteuils avec table, le tout en libuyu, armoires, trois tapis, etc.
Le tout a été estimé à 2,7 millions Frw qu’Itangishaka devait rembourser. Itangishaka n’avait pas d’autres voies de recours, car les Gacaca ont bouclé immédiatement leurs activités au niveau national.
Jacques Gashugi.
Six ans ont passé. Il pensait que Béata avait abandonné l’affaire. Un jour, il voit un huissier se présenter à sa porte pour vendre sa maison afin de rembourser les biens pillés. Itangishaka commence alors sa tentative pour annuler cette vente aux enchères injuste, illégale, inhumaine, inacceptable.
En 2006, le Tribunal de base de Kagarama ordonne qu’Itangishaka aille cherche à la CNLG (Commission Nationale de Lutte contre le Génocide) son dossier Gacaca afin de rejuger l’affaire, après avoir écouté les quatre témoins brandis par Itangishaaka pour le décharger. L’obtention du dossier prendra cinq ans. Il l’a obtenu grâce aux interventions du Parquet Général, d’Ibuka et d’autres intervenants. L’on avançait que les dossiers n’étaient pas bien classés, que ceci et cela et d’autres entraves diverses.
Mais le juge de Kagarama a fait traîner les choses aussi. Il a même été récusé par l’avocat d’Itangishaka, en la personne de Me Ntaganda Kabare Festo, parce qu’il n’autorisait pas à la défense de présenter clairement les faits en faveur du client. Dans la suite, ce juge a été muté.
C’est ce 10 Mars enfin qu’Itangishaka, son avocat Kabare, et les quatre témoins à décharge de l’accusé, se sont présentés à l’audience.
La séance a été consacrée au débat pour décider si l’affaire était recevable ou non. Il a été relevé que les preuves d’innocence étaient sur place, et qu’il n’y a aucune limite prévue par la loi pour juger l’affaire. Le ministère public était d’accord qu’on aille à l’établissement de la vérité.
Mais subitement, le ministère public a fait une volte-face étrange. Il a avancé que trop de temps s’est passé, et que l’on doit se contenter des jugements qui ont été rendus. Et qui sont malheureusement en défaveur du rescapé du Génocide Itangisha.
« Comment pouvais-je piller des biens alors que je n’avais pas où les mettre. Surtout que moi-même j’étais pourchassé par les tueurs impénitents, sans avoir où me cacher ? La personne qui m’accuse n’était pas comme moi. Elle était de la catégorie des personnes non menacées pendant le Génocide des Tutsi», se défend Itangishaka.
Quatre témoins se présentent devant le juge une sixième fois pour aider à établir la vérité. Mais le juge n’a pas encore décidé de les écouter
Dans un pays de droit, il est inconcevable de vendre la maison d’un vulnérable qui brandit devant un juge des preuves d’innocence. Itangisha a présenté quatre témoins six fois devant une cour qui devrait lui rendre justice. Surtout que les témoins eux-mêmes sont fatigués de ne pas être entendus. La frustration et la déception ne se cachent pas dans leurs propos.
Jacques Gashugi est un des militaires de l’APR (Armée Patriotique Rwandaise) qui a stoppé le Génocide en 1994. Vers le 05 et 06 Juillet 1994, alors qu’il cherchait une maison à occuper au village Amahoro, cellule Nyakabanda, il rencontre Itangishaka Abdou qui rentrait du camp pour Survivants de Ndera.
« L’on m’a montré une maison dont la clef était détenue par la femme du veilleur de cette maison. Cette dame m’a donné la clé. J’étais avec Itangishaka. J’ai ouvert la maison. Nous n’avons pas trouvé de biens à l’intérieur. Je suis allé à Kanombe et je suis revenu avec une camionnette chargée de mes propres biens pour occuper cette maison. Quand j’ai ouvert, une dame se trouvait à l’intérieur de la maison. Itangishaka m’a dit que c’était la propriétaire qui était revenue de Kibuye la veille. C’est là qu’elle s’était enfuie. J’ai a remis la clé à la propriétaire qui, avec son mari, avait emporté tous ses biens peu avant le Génocide. J’ai trouvé une autre maison dans ce village où j’ai habité jusqu’en 2000 », informe le combattant démobilisé Gashugi.
Il poursuit : « Dans le souci de ramener l’ordre et la sécurité au village, nous avons remis des biens pillés aux propriétaires. Mais cette dame Béata n’a rien réclamé. Elle a parlé de ses biens pillés alors que j’étais parti dans mes nouvelles affectations. A mon retour, j’ai dit à Itangishaka que j’étais prêt à témoigner devant les juges afin qu’il soit innocenté, puisque nous sommes dans un pays de justice. Nous nous sommes battus pour cela. Je ne comprends pas pourquoi cette dame implique ce rescapé à tort. Ils ont été voisins. Peut-être qu’ils ont eu l’un ou l’autre point de discorde auparavant ».
Mme Espérance Mukantabana.
Le deuxième témoin est Espérance Mukantabana. Elle habitait la Cellule Nyakabanda, Secteur Niboye, avant le Génocide, et même après, jusqu’en 2009, date à laquelle elle a déménagé pour Kiramuruzi, dans le District de Gatsibo, où elle vit maintenant.
« Avant le Génocide, j’étais voisine à Béata et son mari Charles. Les portes de nos maisons se faisaient face. Alors que je revenais du marché où j’avais acheté des produits vivriers à revendre, j’ai vu devant la maison de Béata un véhicule garé en train de charger ses biens rangés. On les sortait de la maison et on les mettait dans le camion. Il était 11 h en pleine journée. J’ai compris que le ménage de Béata déménageait vers un autre lieu. La situation sécuritaire était tendue. Surtout que nous habitions le quartier des fameuses milices Zoulou qui ont terrassé la zone. C’était peu avant le Génocide. En 2009, j’ai déménagé pour Kiramuruzi. Dans la suite, l’on m’a appelée pour témoigner. Maintenant, c’est la 6ème fois que je quitte Kiramuruzi pour le Tribunal de Kagarama. Je n’ai pas encore été entendue. Bref, Beata n’a pas laissé ses biens dans sa maison. Elle les a emportés dans sa nouvelle demeure », affirme Mukantabana.
Le deuxième témoin est Annonciata Mukasharangabo. Elle est la sœur de Charles, défunt mari de Béata.
Mukasharangabo est partie avec Béata dans le même véhicule transportant les biens de Béata et les siens propres vers Kibuye. Le véhicule était escorté par deux gendarmes ex-FAR armés de fusils. C’était peu avant le Génocide. Dans la suite, les deux dames ont rejoint leurs maris à Kivughiza/ Nyamirambo avec leurs biens. Mukasharangabo affirme que Béata n’a pas laissé ses biens dans sa maison à Nyakabanda et qu’elle a tout emporté.
Le quatrième témoin Félix Niyigira, voisin de Béata à Nyakabanda, rapporte qu’il a ramené les biens de Béata de Kivugiza à Nyakabanda. C’était après le Génocide.
« Le véhicule Daihatsu qui a ramené ces biens était bien plein », se rappelle Nyigira.
En définitive, tous ces quatre témoins confirment de façon unanime que Béata a déménagé avec ses biens et qu’elle ne les a pas laissés dans sa maison. Ils innocentent l’accusé Itangishaka Abdoul.
Par définition, la juste se fonde sur la vérité des faits pour prendre une décision équitable. Sur quoi donc se fondent les juges pour dépouiller une famille vulnérable, et rescapée du Génocide de surcroît, de sa maison ? Le Rwanda d’aujourd’hui est un Etat de droit, soucieux de la vie de ses citoyens. Les responsables à tous les niveaux devraient avoir le regard rivé sur un cas flagrant d’injustice comme celui d’Itangishaka Abdou. Il est plus que temps que ce rescapé martyrisé soit secouru, réhabilité et rétabli dans ses droits.
Le prochain procès aura lieu le 30 Mars 3023 et il tranchera si le cas d’Itangishaka peut être jugé ou non par le Tribunal de base base de Kicukirode Kicukiro, ce même Tribunal qui a demandé à Itangishaka de chercher son dossier Gacaca à la CNLG, ainsi que les témoins (heureusement ils sont encore en vie), pour que la cour puisse statuer en toute légalité sur son cas. (Fin)