Par Alain Gauthier*
Avant les délibérations qui se prolongeront toute la journée du 17 décembre 2024 à huis clos, monsieur le président de la cour d’assises de Paris donne la parole à l’accusé : « Monsieur MANIER souhaitez vous dire quelque chose à la Cour? »
« Oui merci M. le président. J’ai quelque chose à dire à la Cour.
Monsieur le président, la situation au Rwanda était un cauchemar sans fin. Toutes les familles rwandaises ont été touchées, toutes les familles ont souffert, croyez moi, j’ai pleuré en entendant les victimes qui sont venues ici. Le génocide à l’encontre des Tutsi a été une réalité atroce. Nous ne pouvons que nous incliner devant la souffrance et travailler à la réconciliation. C’est ce que j’ai essayé de faire à ma mesure, à initier les rwandais autour de leur patrimoine culturel et en essayant de les rendre fiers de ce patrimoine qui nous appartient à tous, quelle que soit notre origine.
Aujourd’hui en ce qui me concerne, le cauchemar continue. On m’accuse de tout mais je n’étais que adjudant. J’avais une hiérarchie au dessus de moi […]. Jamais je n’aurais pu faire ce dont on m’accuse.
En avril, je suis parti à KACYIRU à KIGALI et j’ai sauvé des gens. Vous savez, quand on passait aux barrières avec les personnes que nous devions sauver, c’était effrayant. Nous pouvions être tués à tout moment si nous étions découverts, j’avais peur, très peur, mais je l’ai fait.
Mes sentiments à l’égard des Tutsi? tout ce qu’on a dit est faux. Ma femme est d’une famille Tutsi, je les ai aidés pendant le génocide. J’ai aussi une fille Tutsi.
Aujourd’hui je suis un homme brisé car je suis innocent de ce dont on m’accuse. Ma famille est détruite, ma vie est ruinée. J’ai confiance en votre jugement, je sais que vous écouterez votre raison et votre cœur, merci. »
Monsieur le président rappelle aux jurés l’article 353 du Code de procédure pénale: « Sous réserve de l’exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : « Avez-vous une intime conviction ? ».
VERDICT rendu à 22h50 : Philippe HATEGEKIMANA, MANIER depuis sa naturalisation est condamné à la peine de réclusion criminelle à perpétuité pour génocide et crime contre l’humanité.
Le détail des motivations de cette décision sera publié ultérieurement. Monsieur le président en a donné un aperçu en précisant notamment :
« Vous avez été le bras zélé du génocide […] certes pas le seul, mais sans vous, monsieur, les faits n’auraient pas pris une telle ampleur. » (End).
* Alain Gauthier est président du CPCR(Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda) qui prépare des plaintes contre les auteurs du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 qui sont exilés en France.