Le gouvernement de la République démocratique du Congo devrait veiller à ce que les auteurs d’une tentative de coup d’État soient poursuivis dans le cadre de procès équitables, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Les autorités devraient également enquêter de manière approfondie et impartiale et engager des poursuites judiciaires appropriées sur les exécutions extrajudiciaires présumées de putschistes par les forces de sécurité.
Des détails continuent d’émerger sur la tentative de coup d’État perpétrée par un groupe d’environ 50 Congolais et étrangers à Kinshasa, la capitale du pays, le 19 mai 2024. Les médias indiquent que la tentative de coup d’État a entraîné la mort d’au moins deux gardes de sécurité et d’un civil et que les forces de sécurité ont tué plusieurs putschistes. Au moins deux d’entre eux pourraient avoir été tués alors qu’ils tentaient de s’échapper.
« Le gouvernement a à la fois la responsabilité d’assurer la sécurité du pays et de demander des comptes aux responsables de la tentative de coup d’État, sur la base des normes internationales en matière de procès équitable », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale chez Human Rights Watch. « La réponse du gouvernement doit être respectueuse des droits, ce qui signifie enquêter de manière impartiale sur une éventuelle implication des forces de sécurité dans des exécutions sommaires présumées. »
Christian Malanga, un opposant congolais basé aux États-Unis, autoproclamé « Président du Nouveau Zaïre » et chef d’un gouvernement en exil, aurait dirigé le coup d’État. Malanga, son fils et d’autres complices ont pénétré dans le Palais de la Nation à Kinshasa, qui sert de siège de la présidence. Les putschistes auraient attaqué les résidences du Premier ministre, du ministre de la Défense et d’un autre haut responsable politique.
Les forces de sécurité congolaises ont tué Malanga dans des circonstances qui restent à élucider quelques heures après qu’il a pris le contrôle du Palais de la Nation.
Le président Félix Tshisekedi a prêté serment le 20 janvier pour un second mandat, après les élections de décembre 2023, qui ont été entachées de problèmes logistiques, d’irrégularités et de violences. Depuis, Tshisekedi n’a pas réussi à former un gouvernement malgré sa majorité parlementaire.
Selon les médias, au moins trois ressortissants américains, dont le fils de Malanga, Marcel, ont participé au coup d’État manqué. L’ambassadrice américaine Lucy Tamlyn a déclaré sur X (ex-Twitter) que les États-Unis « coopérerons avec les autorités de la RDC dans toute la mesure du possible alors qu’elles enquêtent sur ces actes criminels et tiennent pour responsables tout citoyen américain impliqué dans des actes criminels. » Les autorités américaines devraient également enquêter et poursuivre de manière appropriée tout participant au coup d’État susceptible d’avoir violé la loi américaine, a déclaré Human Rights Watch.
Malanga a retransmis en direct l’attaque au Palais de la Nation sur son compte Facebook. Le livestream original n’est plus disponible. Cependant, Human Rights Watch a vérifié une copie partagée ailleurs en ligne et l’a géolocalisée au Palais. Elle montre Malanga et un petit groupe d’hommes armés se promenant sur le terrain en se livrant à des proclamations.
Human Rights Watch a également géolocalisé deux vidéos enregistrées par des soldats congolais et largement partagées sur les réseaux sociaux le 21 mai. Human Rights Watch a déterminé que l’une d’elles montre une zone située sur les rives du fleuve Congo, à environ 185 mètres du quai menant au Palais de la Nation. Dans cette vidéo, sept individus en tenue civile ou sans vêtements, dont un homme blanc dénudé qui serait un étranger ayant participé au coup d’État, se trouvent dans et autour d’un bateau, aux côtés de six hommes en tenue militaire congolaise. Un soldat tire à deux reprises sur l’un des putschistes présumés, qui reste alors immobile. L’un des hommes saute dans la rivière pour tenter de s’enfuir. Les soldats lui tirent dessus plusieurs dizaines de fois jusqu’à ce qu’une mare de sang apparaisse dans l’eau et qu’il ne remonte plus pour prendre sa respiration. Un soldat crie : « Il est mort ! » et les tirs s’arrêtent.
Dans la deuxième vidéo, filmée sur un quai devant le Palais de la Nation, sept militaires, dont six portent des bérets rouges associés à la Garde républicaine, chargée de la sécurité présidentielle, escortent un étranger en sang et le fils de Malanga vers le Palais. L’homme blanc, qui est vêtu, dit à plusieurs reprises « pas d’arme » pendant que les soldats le fouillent.
Les autorités congolaises devraient garantir l’interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements à l’encontre de tout détenu et enquêter sur d’éventuelles exécutions extrajudiciaires perpétrées par les forces de sécurité, a déclaré Human Rights Watch. La tentative de coup d’État est intervenue après une période prolongée au cours de laquelle le gouvernement congolais a considérablement réprimé les droits à la liberté d’expression, à la liberté des médias et de réunion pacifique. Depuis 2020, les autorités s’en sont de plus en plus pris aux journalistes, aux défenseurs des droits humains et de la démocratie, aux critiques du gouvernement ainsi qu’aux membres et responsables des partis d’opposition. Les forces de sécurité ont eu recours à plusieurs reprises à une force inutile ou excessive, voire meurtrière, pour bloquer ou disperser des manifestations pacifiques.
La tentative de coup d’État a été perpétrée à un moment où le conflit armé dans l’est de la RD Congo s’est intensifié avec les rebelles du M23 qui continuent de s’emparer de territoires autour de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu.
L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale ont connu une série de coups d’État au cours des dernières années, ce qui a suscité des inquiétudes au sujet des institutions démocratiques et troublé profondément les transferts pacifiques de pouvoir. L’Union africaine et plusieurs gouvernements africains ont condamné la tentative de coup d’État en RD Congo. L’Acte constitutif de l’UA et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance soutiennent l’application de sanctions contre les changements de gouvernement anticonstitutionnels.
« La RD Congo et la région ont un historique de coups d’État et de tentatives de coups d’État », a déclaré Lewis Mudge. « Le gouvernement congolais devrait considérer cette crise comme une opportunité de démontrer son engagement en faveur des droits humains et de l’État de droit. »