Le président burundais Évariste Ndayishimiye lors de sa de prestation de serment le 18 juin 2020
By Mausi Segun*
En juin 2020, lorsqu’Évariste Ndayishimiye a prêté serment en tant que président du Burundi après le décès soudain de son prédécesseur violent et autocratique, Pierre Nkurunziza, il s’est engagé à « maintenir l’unité entre les Burundais » et à garantir « la paix et la justice pour tous ». Pourtant, depuis un an et demi, son gouvernement continue largement à marcher sur les pas de Pierre Nkurunziza. Il a intimidé et réprimé ses opposants, détenu et torturé ses détracteurs, et, comme l’atteste un nombre grandissant de preuves recueillies par des organisations internationales et burundaises de défense des droits, a tué et fait disparaître un grand nombre de personnes qu’il soupçonne de travailler avec l’opposition politique ou avec des groupes rebelles.
Selon les associations locales de défense des droits humains, des centaines de personnes ont été tuées depuis que Ndayishimiye a pris ses fonctions, certaines par les forces de sécurité burundaises ou des membres de la notoire ligue des jeunes du parti au pouvoir, d’autres par des personnes non-identifiées. Human Rights Watch, où je travaille, a reçu des informations crédibles sur des dizaines de meurtres et a recueilli des heures de témoignages glaçants de victimes de torture et de proches de personnes tuées ou disparues. Dans la province de Cibitoke, dans le nord-ouest du pays, limitrophe de la République démocratique du Congo, les habitants ont décrit une répression brutale à l’encontre des personnes soupçonnées d’être opposées au gouvernement burundais ou d’aider un groupe d’opposition armé qui a lancé des attaques contre les forces de sécurité burundaises. Des cadavres, pour la plupart non identifiés et mutilés, sont apparus à un rythme alarmant au cours des 18 derniers mois dans la rivière Rusizi qui sépare les deux pays, ou sur ses berges. Dans la plupart des cas, les autorités locales les enterrent sans ouvrir d’enquête.
Et pourtant, les États-Unis et l’Union européenne(UE) tendent les bras au Burundi. En novembre, le président américain Joe Biden a levé toutes les sanctions que l’administration Obama avait imposées au Burundi, en invoquant « le transfert de pouvoir à la suite des élections de 2020, la réduction considérable de la violence et la poursuite des réformes par le président Évariste Ndayishimiye dans de multiples secteurs ». En octobre, l’UE a indiqué que, même si elle renouvelait les sanctions ciblées à l’encontre de certains hauts responsables burundais, elle reprendrait également le soutien budgétaire direct au gouvernement burundais.
Ces ouvertures vis-à-vis d’un gouvernement qui continue de torturer et de tuer sa propre population risquent d’enhardir les dirigeants burundais à réprimer encore plus sévèrement leurs opposants. Au lieu d’espérer que le gouvernement burundais changera ses méthodes, les États-Unis et l’UE devraient faire pression publiquement sur les dirigeants du pays pour que des mesures concrètes et mesurables soient prises afin d’améliorer son bilan désastreux en matière de droits humains.
De fausses promesses
Le Burundi a plongé dans le chaos et la violence en avril 2015, après que Pierre Nkurunziza a annoncé son intention de briguer un troisième mandat controversé, déclenchant des mois de manifestations et une tentative de coup d’État infructueuse. Les forces de sécurité gouvernementales et les membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, connus sous le nom d’Imbonerakure—signifiant « ceux qui voient loin » en langue kirundi—ont arrêté ou abattu des manifestants et des détracteurs. À la mi-2015, des centaines de personnes avaient été tuées et presque tous les dirigeants de l’opposition, les journalistes indépendants et les activistes de la société civile du Burundi avaient fui le pays. Quelque 400 000 personnes ont cherché refuge dans les pays voisins.
En 2018, Pierre Nkurunziza a déclaré de manière inattendue qu’il ne se présenterait pas à sa réélection en 2020. Évariste Ndayishimiye, ancien général qui était secrétaire général du parti au pouvoir au plus fort de la crise, est devenu le candidat du parti à la fonction présidentielle, remportant une élection marquée par la violence et des allégations de trucage. En juin 2020, deux mois avant la date à laquelle il devait quitter ses fonctions, Pierre Nkurunziza est décédé subitement, dans des circonstances mystérieuses. Évariste Ndayishimiye a été investi plus tôt que prévu lors d’une cérémonie organisée à la hâte. Bien qu’il ait supervisé le parti alors qu’il commettait de graves abus, Évariste Ndayishimiye a promis de promouvoir la tolérance politique, de rendre le système judiciaire plus impartial et équitable, et de demander des comptes aux responsables des crimes commis dans le passé.
Évariste Ndayishimiye a effectivement libéré certains défenseurs des droits humains et journalistes et levé certaines restrictions sur les médias et la société civile, mais son gouvernement continue d’utiliser des tactiques répressives contre ses opposants. Tony Germain Nkina, avocat et ancien défenseur des droits humains, a été condamné pour des accusations sans fondement de « collaboration avec les rebelles », qui ont été confirmées en appel en septembre 2021. Le gouvernement a également utilisé des mandats d’arrêt, des condamnations par contumace et des condamnations à perpétuité contre des défenseurs des droits en exil pour faire taire le mouvement des droits humains, autrefois florissant dans le pays.
« Notre province est devenue un cimetière »
Ensuite, il y a les meurtres. Perpétrés par les forces de sécurité, des membres des Imbonerakure, et d’autres personnes non-identifiées, ils ont semé la terreur parmi la population.
«Notre province est devenue un cimetière», a expliqué un habitant de Cibitoke en août dernier. Un autre homme a raconté avoir vu quatre hommes en tenue militaire battre à mort Emmanuel Baransegeta, un pêcheur de 53 ans, alors qu’il revenait du travail sur la rivière Rusizi le soir du 8 juillet 2021. Deux jours plus tard, les habitants ont trouvé le corps d’un homme qui semblait avoir été battu sur les berges de la Rusizi. Ils ont indiqué qu’ils pensaient que c’était Baransegeta, mais les autorités locales l’ont enterré sans qu’une enquête soit menée sur les circonstances de sa mort ni même qu’une tentative soit faite pour confirmer son identité.
Pour beaucoup, ces meurtres réveillent des souvenirs du passé violent du Burundi. Les berges de la Rusizi ont depuis longtemps été un lieu de décharge des cadavres de personnes tuées dans des conflits politiques ou ethniques. Pendant la guerre civile violente du Burundi, qui a fait rage de 1993 à 2009, on estime que 300 000 personnes ont été tuées dans des combats en grande partie à caractère ethniques. Tant l’armée burundaise dominée par les Tutsis que les forces d’opposition armées hutues ont commis de graves crimes de guerre, y compris des meurtres et des viols de civils.
Le premier mandat de Pierre Nkurunziza, de 2005 à 2010, semblait offrir l’espoir d’une rupture avec ce passé. Chef rebelle hutu pendant la guerre, il a pris ses fonctions dans le cadre d’une nouvelle constitution qui garantissait le partage du pouvoir entre Hutus et Tutsis et entre les partis politiques. Malgré des épisodes de violence, le pays a atteint un certain degré de stabilité, avec quelques progrès en faveur de la paix, de la réconciliation et du développement économique. Il a également développé une société civile en plein essor et un paysage médiatique indépendant. Mais ces progrès fragiles vers la démocratie et la stabilité ont subi de sérieux revers pendant et après les élections de 2010, alors que les tensions politiques ont augmenté et que les forces de sécurité et les groupes d’opposition armés ont commis de nombreux meurtres. Les habitants de Cibitoke ont de nouveau vu des corps mutilés de partisans de l’opposition près de la rivière. Maintenant, ils en trouvent à une fréquence effroyable.
Un pari dangereux
La Commission d’enquête sur le Burundi, qui a documenté de graves atteintes aux droits humains dans le pays tous les ans depuis sa création en 2016, a présenté son dernier rapport au Conseil des droits de l’homme de l’ONU en septembre 2021. La commission a conclu que sous le nouveau gouvernement du Burundi, « aucune réforme structurelle n’a été engagée pour améliorer durablement la situation ». Elle a exprimé des inquiétudes quant à la poursuite des violations des droits humains et à l’érosion progressive de l’État de droit. Pourtant, le Conseil des droits de l’homme, dans une résolution menée par l’UE et soutenue par les États-Unis, a mis fin au mandat de la commission en faveur d’un rapporteur spécial disposant de moins de ressources pour enquêter sur les violations des droits humains. La résolution affirmait que « des progrès [ont été] accomplis dans le domaine des droits de l’homme, de la bonne gouvernance et de l’État de droit », en citant des gestes limités et largement symboliques du gouvernement burundais. Sans surprise, en décembre, le ministre des Affaires étrangères du Burundi a déclaré que le gouvernement ne travaillerait « jamais » avec le rapporteur spécial.
La décision de mettre fin au mandat de la commission et la levée des sanctions internationales et d’autres mesures en l’absence de progrès réels en matière de droits humains ou de réformes démocratiques est un pari dangereux. Les États-Unis et l’UE espèrent peut-être que cela encouragera les réformes, mais cela enhardira plus probablement les auteurs de violations des droits humains qui agissent déjà dans une impunité quasi totale. Pour de nombreuses victimes d’abus, la volonté de Washington et Bruxelles de faire confiance aux mêmes responsables qui ont supervisé les meurtres, disparitions et la torture brutale de milliers de personnes depuis 2015 est inexplicable, tout comme leur silence face aux violations persistantes des droits humains sous la présidence d’Évariste Ndayishimiye.
Les États-Unis et l’UE devraient faire pression publiquement sur le gouvernement burundais pour qu’il libère tous les prisonniers injustement emprisonnés, y compris Tony Germain Nkina, et pour qu’il annule les condamnations injustes et abandonne les mandats d’arrêt à l’encontre des défenseurs des droits humains et des journalistes en exil. Le gouvernement peut prouver qu’il prêt à engager des réformes en permettant au rapporteur spécial des Nations Unies d’accéder au pays et menant des enquêtes crédibles sur les meurtres, les disparitions et les cas de torture. Tous les agents de l’État et les membres des Imbonerakure responsables de ces abus devraient être immédiatement arrêtés et traduits en justice.
« S’il vous plaît, je vous demande de dire à autant de personnes que possible ce qui se passe ici. La communauté internationale doit être informée de ces meurtres », nous a demandé un responsable de la Force de défense nationale du Burundi. Il a parlé sous couvert de l’anonymat, défiant sa hiérarchie afin d’attirer l’attention sur les cadavres qu’il trouvait régulièrement le long de la rivière Rusizi. Cependant, le problème n’est pas que les États-Unis et l’UE ne savent pas ce qui se passe au Burundi. Le problème est qu’ils choisissent de l’ignorer. (Fin).
* Mausi Segun est Directrice à la division Afrique de Human Rights Watch(HRW), organisation internationale des droits humains basée à New York