Des policiers arrêtent des manifestants à Goma, dans l’est de la RD Congo, lors de manifestations contre la désignation de Ronsard Malonda à la tête de la commission électorale, le 8 juillet 2020. ©2020 Guerchom Ndebo
L’administration du président Félix Tshisekedi en République démocratique du Congo a réprimé de façon croissante les médias et les groupes d’activistes depuis son entrée en fonction il y a deux ans, a déclaré Human Rights Watch(HRW) aujourd’hui.
Malgré quelques mesures initiales visant des avancées en matière de droits humains, les autorités ont menacé, arrêté arbitrairement, détenu et poursuivi des dizaines de journalistes, d’activistes et d’autres personnes jugées critiques à l’égard du gouvernement.
« Les Congolais ne devraient pas avoir à craindre d’être harcelés ou arrêtés pour avoir émis des critiques ou manifesté pacifiquement contre la politique du gouvernement », a indiqué Thomas Fessy, chercheur principal sur la RD Congo chez Human Rights Watch. « Deux ans plus tard, les engagements de Félix Tshisekedi à respecter les droits humains commencent à sonner creux. »
Human Rights Watch s’est entretenu avec 83 personnes par téléphone entre janvier 2020 et janvier 2021, dont des victimes d’abus, des avocats, des activistes et des journalistes. Les chercheurs ont recensé au moins 109 cas d’arrestations arbitraires et de harcèlement au cours de l’année passée. Bon nombre de victimes sont journalistes, qui ont subi des intimidations, des menaces et parfois des passages à tabac. Des agents de l’Agence nationale de renseignements (ANR) sont impliqués dans au moins 16 cas.
L’un des cas les plus récents concerne huit jeunes militants pro-démocratie du mouvement citoyen la Lucha, détenus pendant un mois dans la ville de Beni, dans le nord-est du pays, après qu’ils ont participé le 19 décembre à une marche appelant à la paix dans la région et dénonçant le manque de protection des civils. Ils encouraient 10 ans de prison pour des accusations fabriquées de toutes pièces de « sabotage » et de « violences à sentinelle ».
« Ils nous ont conduits dans une pièce [au poste de police] et nous ont fait asseoir à même le sol », a décrit un des activistes à Human Rights Watch. « Les policiers qui étaient dehors mais près de la fenêtre ont lancé des gaz lacrymogènes dans la pièce. Nous n’avions pas d’autre choix que de tenter de nous échapper. Je ne sais pas comment, mais certains d’entre nous ont réussi à ouvrir la porte. J’ai perdu connaissance une fois dehors. »
Les huit jeunes militants pro-démocratie du mouvement citoyen la Lucha lors de leur procès dans la ville de Beni, dans le nord-est de la RD Congo, le 15 janvier 2021. © 2021 Privé
Après un tollé général, un tribunal militaire les a acquittés le 20 janvier.
Le 20 août, à Lodja, dans la province centrale du Sankuru, des soldats et des policiers ont fait irruption dans le bureau de la station privée Radio Losanganya et ont arrêté Hubert Djoko, journaliste, et Albert Lokongo, technicien radio, les accusant de soutenir le rival politique de longue date du gouverneur. Ils les ont ensuite conduits au stade où le gouverneur tenait un meeting.
« Ils nous ont fouettés et nous ont fait répéter ce que nous avons dit à l’antenne », a expliqué Hubert Djoko. « Le gouverneur a ensuite donné l’ordre de nous emmener au poste de police. Le matin, le gouverneur a envoyé deux motos pour nous exhiber dans la ville afin de montrer que nous avions été arrêtés alors que ses partisans criaient : “Il faut les tuer !” » Hubert Djoko et Albert Lokongo ont indiqué avoir été battus en garde à vue. Ils ont été accusés d’incitation à la haine tribale et à la désobéissance civile avant d’être libérés le 22 août. Le 16 septembre, leur rédacteur en chef, François Lendo, a aussi été arrêté et détenu pendant 11 jours pour des accusations d’« outrage au gouverneur ».
À Kinshasa, le 16 novembre, les services de renseignements ont arrêté la chanteuse populaire Elisabeth Tshala Muana, membre de longue date du parti politique de l’ancien président Joseph Kabila, et l’ont détenue pendant 24 heures après la sortie de son single « Ingratitude ». Elle a été accusée de viser Félix Tshisekedi, bien qu’aucun nom ne soit mentionné dans la chanson. Les autorités ont interdit la diffusion de sa chanson sur les ondes.
La répression au cours de l’année passée contraste vivement avec la première année de mandat de Félix Tshisekedi, qui avait été marquée par une baisse significative de la répression politique par rapport à l’administration de Joseph Kabila, a déclaré Human Rights Watch. En 2019, Félix Tshisekedi avait libéré la plupart des prisonniers politiques et autorisé les Congolais vivant en exil à revenir au pays. Cette année-là, les forces de sécurité ont néanmoins détenu arbitrairement et battu des manifestants pacifiques dans certains cas.
Peu de responsables des forces de sécurité et du renseignement impliqués dans des violations des droits humains sous l’ancien président Joseph Kabila ont été traduits en justice, et beaucoup continuent d’occuper des postes à responsabilité. L’impunité pour la répression passée ne fait qu’alimenter la poursuite des mêmes tactiques abusives, a déclaré Human Rights Watch.
Le ministre congolais des droits humains, André Lite, a expliqué à Human Rights Watch par téléphone qu’il « condamn[ait], une fois de plus, ces violations des droits… Alors que la liberté devrait être le principe et la détention l’exception, nous avons tendance à arrêter d’abord et ensuite à faire les enquêtes en RD Congo et, la détention est devenue la règle malheureusement. Lorsqu’un préposé de l’État, quel que soit son rang, se rend responsable de voie de fait, il doit être interpelé par la justice et poursuivi. »
Le gouvernement congolais a l’obligation en vertu du droit international des droits humains de respecter et de faire respecter le droit de toute personne dans le pays à manifester pacifiquement et à recevoir et diffuser librement tout type d’information. Les partenaires régionaux et internationaux devraient demander instamment à la RD Congo de protéger les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.
Les autorités devraient mettre fin au harcèlement des journalistes et des médias, et abandonner toutes les charges retenues contre les personnes détenues pour avoir exercé leurs droits fondamentaux. En 2020, la RD Congo figurait parmi les 30 pays au monde présentant le pire bilan en matière de violations de la liberté de la presse, d’après le Classement mondial de la liberté de la presse, malgré la promesse de Félix Tshisekedi de faire « véritablement » des médias « un quatrième pouvoir ». Le gouvernement devrait aussi abroger les dispositions pénales réprimant la diffamation et adopter des mesures concrètes pour protéger les journalistes conformément aux normes de droits humains régionales et internationales.
Félix Tshisekedi devrait parler sans détour pour défendre les droits humains et prendre des mesures contre les gouverneurs de province qui cherchent à sanctionner les personnes critiques à l’égard de leurs politiques. Les agents des services de renseignements et autres personnels de sécurité devraient respecter les normes internationales relatives aux droits humains concernant l’arrestation, la détention et la procédure régulière. Les tribunaux militaires ne devraient pas juger de civils. Lorsque des violations graves se produisent, les autorités devraient enquêter de manière rapide et impartiale et prendre les mesures disciplinaires ou légales appropriées à l’encontre des personnes responsables, quels que soient leur rang ou leur position.
« Deux ans après l’arrivée de la nouvelle administration, la répression contre les libertés d’expression et de réunion pacifique s’intensifie », a conclu Thomas Fessy. « Les partenaires internationaux de la RD Congo devraient faire part, publiquement et en privé, de leurs inquiétudes quant à cette escalade dans le pays auprès du président et de ses conseillers. »
Cas d’abus et de répression
Entre janvier et juillet 2020, Human Rights Watch a documenté 39 cas de menaces, harcèlement, d’arrestations et détentions arbitraires liés à la liberté des médias, à la contestation et aux manifestations pacifiques.
Depuis juillet, Human Rights Watch a documenté 65 cas supplémentaires. Cette liste n’est pas exhaustive.
Province de Kinshasa
Le 9 juillet, un tribunal a condamné Henry Maggie, vice-président de la ligue des jeunes du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de l’ancien président Joseph Kabila, à 18 mois de prison pour outrage au président, pour avoir suggéré lors d’une interview dans les médias que Félix Tshisekedi n’avait pas gagné les élections de 2018. Une cour d’appel a par la suite ajouté six mois supplémentaires à cette peine. Maggie a déclaré qu’il n’avait été informé de la nouvelle condamnation qu’en octobre. Il est en prison depuis son arrestation en mai.
Le 1er octobre, le parquet a convoqué Pascal Mulegwa, un journaliste de Radio France Internationale (RFI), à Kinshasa dans une affaire de diffamation pénale suite à la plainte d’un sénateur et ancien ministre, José Makila, concernant un reportage dans lequel Mulegwa citait le rapport d’une organisation non gouvernementale accusant le plaignant de détournement de fonds. Le procès de Mulegwa, qui a commencé le 22 décembre, a été suspendu en attendant la décision du juge d’appel.
Pius Romain Rolland Ngoie, un journaliste de Radio Télévision Groupe Avenir (RTGA), a été arrêté le 22 décembre et inculpé pour diffamation à l’encontre du député national Fabrice Puela. Il est en détention provisoire à la prison centrale de Kinshasa.
Le 28 novembre, des membres de l’Agence nationale de renseignements ont arrêté Barnabé Wimana Isombia Milinganyo, dirigeant du parti Rassemblement des leaders congolais, après une émission de télévision et l’ont immédiatement conduit au tribunal. Il a été jugé et condamné le jour même à trois ans de prison et à une amende de 10 000 USD pour « insulte au chef de l’État et menaces d’attentat ». Bien que ses critiques à l’égard du président dans l’émission télévisée aient soulevé de possibles problèmes d’incitation à la violence, ses droits à une procédure régulière ont été violés. Son appel est en cours.
Matadi, province du Kongo Central
En juillet, un groupe de sept avocats, activistes et journalistes ont fui vers Kinshasa depuis la ville Matadi, où ils résident, dans la province occidentale du Kongo Central, où ils avaient été menacés, tabassés et victimes de tentatives d’enlèvement. Roukiya Mpaka, Rachidi Malundama, Samantha Mushiya, Guylain Kiangabeni, Tristan Mavungu, Erick Ngoma et André Misumbu avaient pris part à des manifestations provoquées par un scandale sexuel impliquant le vice-gouverneur de province, et appelé à la démission du gouverneur. Le procureur de la province a par la suite émis des mandats d’arrêt contre certains d’entre eux, pour des accusations d’outrage à fonctionnaires et outrage au président Félix Tshisekedi. Ils n’ont toujours pas regagné Matadi par crainte d’être arrêtés.
Tshikapa, province du Kasaï
Le 10 octobre, des agents des services de renseignements ont arrêté Farly Kalombo, un journaliste de la station communautaire Réveil du Congo suite à son reportage sur des violations des droits humains présumées, y compris par l’Agence nationale de renseignements, dans la ville d’Ilebo et ses alentours. Il a expliqué que les agents lui ont volé ses affaires et l’ont forcé à embarquer sur une barge à destination de Kinshasa, où il vit dans des conditions précaires, sans possibilité de rentrer chez lui.
Kisangani, province de la Tshopo
Le 28 juillet, la police a arrêté Elly Munganga, Patrick Twaeni, Ilengi Ndembe, Ruphin Wema et Henri Belafekaka, des défenseurs des droits humains, alors qu’ils manifestaient contre la mauvaise gestion des autorités provinciales, appelant à la démission du gouverneur. Ils ont été détenus au bureau du procureur et ont été libérés sans chef d’inculpation le 30 juillet.
Goma, province du Nord-Kivu
Le 18 décembre, la police a arrêté Josué Wallay Akuzwe, Djemba Uchu, Placide Itula, Emma Mwinuka et Daniel Kikuni, tous activistes de Lucha RDC-Afrique, après qu’ils ont manifesté pour la sécurité et la paix dans la province. Ils ont été détenus pendant quatre jours dans un cachot du parquet de grande instance avant d’être transférés à la prison centrale de Goma, où ils ont été enfermés pendant 10 jours. Ils n’ont pas été informés des accusations ou motifs qui ont conduit à leur arrestation. Ils ont été libérés le 1er janvier.
Bukavu, province du Sud-Kivu
Le 1er décembre, la police aurait frappé plusieurs journalistes – Jérémie Matabaro, Prince Cikala, Bertin Bulonza, Emmanuel Deward Chuma et Claude Musengero – alors qu’ils couvraient une manifestation étudiante. La police a confisqué le matériel de Jérémie Matabaro ; ce dernier et Prince Cikala ont été blessés.
Patrice Lwabaguma, Patrick Nyamatomwa et Gédéon Fikiri Kanigi, tous activistes, ont été arrêtés le 20 juillet et accusés d’atteinte à la sécurité de l’État, après que les drapeaux d’une imaginaire « République du Kivu » ont été hissés à Bukavu quelques semaines auparavant. Ils sont toujours en détention à la prison centrale de Bukavu dans l’attente d’un verdict du tribunal. Patrice Lwabaguma avait lancé une pétition appelant à la libération de l’ancien directeur de cabinet de Félix Tshisekedi, Vital Kamerhe, qui avait été condamné à 20 ans de prison pour corruption. (Fin)