Le Ministre de l’Engagement Civique, Jean-Damascène Bizimana
La société rwandaise est préparée à recevoir les criminels du Génocide qui ont purgé leur peine, surtout qu’eux aussi, ils bénéficient des leçons pour leur réinsertion dans la communauté, selon le Ministre de l’Engagement Civique, Jean-Damascène Bizimana, qui parle aussi du négationnisme du Génocide des Tutsi. C’était lors de la Conférence Internationale organisée par RCN J&D la dernière semaine : Lire ses propos :
On construit l’unité par référence à la politique discriminatoire, aux faits politiques et administratifs qui ont détruit l’unité qui existait déjà. Donc faire référence à ces problèmes, la réalité des faits ne peut pas du tout constituer un obstacle à l’unité ou si vous voulez à la réconciliation. Parce que l’unité qui a été détruite doit être construite sur base de l’examen des facteurs qui l’ont détruite. Il importe de voir maintenant comment à travers la nouvelle éducation il faut inculquer d’autres valeurs culturelles, sociales, politiques, qui rétablissent l’unité par rapport au passé qui a détruit cette unité.
Le problème arrive quand les auteurs de cette histoire dramatique, de ces faits destructeurs, continuent de les légitimer. Ils cherchent à perpétuer ce qui a détruit l’unité rwandaise. L’éducation des jeunes est très importante. Je ne pense pas que ceux qui sont impliqués dans la destruction de la société rwandaise qui ont 70 ans ou plus vont changer. Il y en a qui ont changé et d’autres qui ne changent pas et qui le disent publiquement. Mais les jeunes qui doivent recevoir les repères des adultes ont besoin d’un enseignement vrai. Il faut mettre beaucoup d’énergies sur les jeunes. Il y a une synergie qui doit être faite par tous les acteurs étatiques, de la société civile, etc…
Pour la gravité des peines. Le juge a le pouvoir de prendre la décision individuelle sur la base des faits et des preuves fournies. La société peut considérer Bagosora comme le planificateur du génocide. Mais il revient à l’accusation de prouver avec des preuves matérielles que ce Monsieur Bagosora-de triste mémoire-est réellement le planificateur du génocide. Très probablement dans son appréciation, le juge d’appel a considéré que la teneur des preuves fournies par l’accusation n’était pas suffisante pour justifier la perpétuité.
Mais c’est très compliqué. Il y a aussi des vices de procédure qui interviennent là-dedans. Les juges du TPIR ont souvent réduit les peines des accusés non pas en ignorant la gravité des crimes qu’ils ont commis, mais aussi la longue période passée en détention sans qu’ils soient jugés dans un délai raisonnable.
Il y a des vices de procédures qui ont contribué à l’acquittement des accusés et des accusés coupables. Je peux vous citer le cas de préfet Bagambiki.
Il y a aussi quelques juges qui croyaient qu’il ne fallait pas punir le Génocide des Tutsi comme on avait puni la Shoah. Je pense que dans la mentalité du juge Meron, il y a cette perception erronée des choses.
S’agissant des libérations anticipées, le Gouvernement a réussi à s’entendre avec le Mécanisme résiduel que les cas de ceux qui demandent des libérations anticipées puissent être soumis au Gouvernement afin que lui aussi fournisse son opinion. Parce que les crimes ont été commis au Rwanda, sur des victimes rwandaises et les auteurs sont aussi des Rwandais, et le Rwanda gère les conséquences du Génocide. Nous nous félicitons de cette avancée. Le Rwanda fournit ses arguments, les condamnés aussi et le juge décide ce qu’il convient de faire.
La question de réinsertion des condamnés par rapport aux victimes qui doivent accepter que la personne qui a été condamnée à 20 ou 30 ans, qu’elle finisse sa peine et qu’elle rentre : Ici je réponds comme je l’ai fait avant. Il faut qu’il y ait une collaboration entre autorités, responsables, société civile. Il ne peut pas y avoir une seule intervention auprès de ces personnes. Les condamnés qui ont fini leurs peines : Le service pénitentiaire dispose d’un programme de réinsertion des condamnés. Il y a des causeries qu’ils reçoivent au sein des prisons qui les préparent à la réinsertion sociale lorsqu’ils retournent sur leurs collines. C’est un programme continuel pour qu’ils soient aptes à rentrer chez eux. Parce que souvent, nous parlons des victimes, mais nous oublions ces hommes et ces femmes qui ont commis les crimes. Certains ont peur de retourner sur les lieux où ils ont commis les crimes. D’autres n’ont même pas regretté ce qu’ils ont commis. Ils ont l’arrogance. Il y a tout un programme de s’adresser à eux pour qu’ils sachent qu’il y a la loi. Si jamais ils rééditaient les mêmes crimes, ils seront sanctionnés. Le programme d’explication des textes légaux et législatifs existent dans les prisons. Il y a des organisations de la société civile qui interviennent là-dedans.
Le travail doit être un peu plus fort en ce qui concerne les victimes qui ne sont pas suffisamment préparées. D’une part, je crois qu’il y a une faiblesse de l’organisation des associations qui regroupent ces victimes, la plupart d’entre elles vivent de façon isolée sur les collines, dans les villages. La préparation se fait de manière générale. Il n’y a pas une préparation dirigée uniquement vers les victimes. C’est souvent lors des causeries. La pandémie de Covid-19 a anéanti un certain nombre de pratiques. Mais des causeries qui avaient eu lieu notamment après l’Umuganda (travaux communautaires du Samedi de fin du mois), les causeries de Ndumunyarwanda que j’ai citées, se referaient aussi à la nécessité de recevoir les condamnés qui ont terminé leurs peines, mais en même sur le temps de préparer les victimes qui recevront ces personnes relaxées. Il y a une étude de 2019 qui montre que le fait de ne pas être préparé à recevoir les condamnés est l’une des raisons qui font que le taux de trauma augmente chez les rescapés.
Il faudrait qu’il y ait une collaboration régulière et permanente surtout à partir de certaines périodes où il y a un grand nombre de condamnés qui vont terminer leurs peines pour préparer les populations ensemble d’une manière générale.
Pour ce qui est de Peter Verlinden. Je lis ces interventions dans les médias sociaux où il prétend qu’il y a eu de faux témoignages dans les procès Gacaca. Il ne faut pas faire un procès d’intention sur les tribunaux Gacaca en disant qu’ils se sont fondés sur de faux témoignages parce que la loi Gacaca sanctionnait le dit de faux témoignage. Donc, la personne qui aurait eu des preuves que le témoin avait raconté de faux témoignages avait la possibilité d’introduire sa plainte devant les tribunaux. S’il ne l’a pas fait, c’est qu’il a considéré que les récits qui ont été apportés par les témoins étaient véridiques. Il s’agit d’un acte qui est utilisé actuellement par les négationnistes pour diaboliser le système Gacaca qui a permis à la société rwandaise de rendre justice et de résoudre le contentieux du Génocide en utilisant très peu de moyens.
Peter Verlinden a prétendu aussi que les procès étaient inéquitables, c’est faux. Je l’ai largement démontré.
Il dit qu’il y a des victimes hutu qui ne sont pas reconnues. J’inviterai Monsieur Verlinden à venir au mémorial de Rebero dédié spécifiquement aux victimes Hutu qui ont lutté contre l’idéologie et qui ont été massacrés dans ce Génocide. Tout cela a relevé des procès d’intention et je ne juge pas nécessaire de m’y attarder.
Sur l’expansion de l’idéologie du Génocide dans les médias étrangers : La diplomatie rwandaise a réussi à faire voter à l’ONU une résolution qui demande à tous les Etats membres de l’ONU de réprimer le Génocide et le négationnisme du Génocide commis contre le Tutsi. Cette résolution demande également aux Etats de promulguer des lois internes de répression du négationnisme. A travers sa diplomatie, le Rwanda essaye de demander aux Etats de voter des lois de répression du négationnisme, pas seulement du Génocide des Tutsi, mais tous les Génocides reconnus par l’ONU. Nous nous réjouissons qu’il y ait des Etats qui commencent à mettre en place ce système répressif de la négation du Génocide. Et nous allons continuer à agir de cette manière-là parce que les négationnistes profitent de l’absence des lois.
Par exemple, Pierre Péan publiait ses textes négationnistes avant que la France ne vote la loi réprimant la négation du Génocide. Depuis la promulgation en France de la loi qui réprime le négationnisme, nous voyons très peu d’actes, que ça soit des ouvrages, des propos ou paroles publiques qui nient le Génocide. Voilà comment on y travaille.
Par rapport aux médias sociaux, il y a des gens qui utilisent ce canal pour diffuser les propos négationnistes tant au Rwanda et qu’à l’extérieur. La façon de les contrecarrer consiste toujours à utiliser les textes législatifs mais en même temps avoir un dialogue avec les responsables de ces réseaux sociaux. Ces derniers doivent être aussi tenus responsables des actes qui y sont diffusés. Il faut que la liberté de parole, d’expression, soit respectée, mais en même temps, il faut que le droit à la mémoire, à la vérité historique soit aussi respectée. C’est ce dialogue perpétuel qu’il faut continuer à côté du cadre légal qui doit avoir lieu. (Fin)