Le procureur Serge Brammertz du Mécanisme de l’ONU chargé d’assurer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda (MTPI) a de nouveau accusé l’Afrique du Sud de protéger des suspects du génocide des Tutsi du Rwanda en fuite depuis des décennies.
Serge Brammertz a renouvelé ses accusations contre le pays de Nelson Mandela, le 13 décembre 2021 devant le Conseil de sécurité des Nations unies, quand il a évoqué les obstacles que son bureau rencontre dans la traque des derniers fugitifs du génocide des Tutsi du Rwanda commis en 1994.
S’agissant de l’Afrique du Sud, le Procureur Serge Brammertz a signalé que « la situation avec l’Afrique du Sud [était] l’un des cas les plus frappants de non-coopération auquel se heurt[ait] [s]on Bureau depuis la création du Mécanisme ».
Le magistrat belge a expliqué que le Bureau du Procureur avait récemment présenté une autre demande d’assistance urgente, qui serait examinée par les plus hautes instances gouvernementales sud-africaines.
«Malheureusement, je ne suis pas en mesure de communiquer des nouvelles plus encourageantes à ce jour. L’Afrique du Sud ne s’acquitte toujours pas de ses obligations internationales », a-t-il déploré.
Serge Brammertz accuse l’Afrique du Sud de protéger Fulgence Kayishema, un ancien inspecteur de police judiciaire (IPJ) rwandais, soupçonné d’avoir participé au génocide des Tutsis, en 1994, dans le centre-ouest du Rwanda. Kayishema fait partie des six Rwandais encore recherchés par la justice internationale. Il s’agit d’hommes mis en accusation il y a de nombreuses années par le Tribunal pénal internationale pour le Rwanda (TPIR) et que le MTPI continue d’avoir la responsabilité de localiser et de faire arrêter.
Ce n’est pas la première fois que Serge Brammertz accuse l’Afrique du Sud de faillir à son devoir de coopération judiciaire. Le 14 décembre 2020, Serge Brammertz avait rappelé être parvenu à localiser Kayishema en Afrique du Sud depuis 2018.
« Documents et sources à l’appui, mon Bureau a conclu, début 2018, que Fulgence Kayishema vivait au Cap, en Afrique du Sud, ce que les autorités sud-africaines ont confirmé par l’intermédiaire d’Interpol, en août 2018. Nous avons alors immédiatement adressé une demande urgente d’assistance à l’Afrique du Sud afin qu’il soit promptement arrêté », avait déclaré le procureur à New-York.
« Nous avons été surpris d’apprendre que, comme Fulgence Kayishema avait obtenu le statut de réfugié en Afrique du Sud, il ne pouvait être transféré au Mécanisme. Cette excuse a été abandonnée quelques mois plus tard et remplacée par un nouvel argument selon lequel l’Afrique du Sud ne disposait pas d’un fondement juridique lui permettant de coopérer avec le Mécanisme », s’est-il alors plaint. Car la même Afrique du Sud avait, dans le passé, arrêté et transféré des accusés au TPIR.
Réagissant à la mise en cause de Brammertz, la représentation sud-africaine à l’ONU avait alors assuré que la question avait été portée à l’attention des autorités nationales au plus haut niveau pour veiller à l’arrestation du fugitif et que le pays veillerait à s’acquitter de ses obligations internationales. Trois ans plus tard, la situation n’a pas évolué et aucun progrès significatif n’a été réalisé à ce jour. D’où l’impatience du procureur Serge Brammertz vis-à-vis du gouvernement sud-africain.
En ce qui concerne la recherche des derniers fugitifs, le Procureur Brammertz a rappelé hier (13 décembre 2021) que Protais Mpiranya, l’ex-commandant de la Garde présidentielle au Rwanda, était le fugitif que son Bureau recherchait le plus activement. [ De bonnes sources au MTPI indiquent que Protais Mpiranya vit au Zimbabwe, pays voisin de l’Afrique du Sud ].
Serge Brammertz a poursuivi en disant que son bureau s’emploie également à localiser cinq autres fugitifs mis en accusation pour génocide afin qu’ils répondent de leurs actes, dont Fulgence Kayishema, qui a déjà été localisé en Afrique du Sud.
Le Procureur a fait savoir au Conseil de sécurité que son Bureau continuait d’enregistrer des progrès importants en vue d’établir les endroits où se trouvent les derniers fugitifs, et que la période à venir serait déterminante. Il a souligné que ces efforts ne pourraient aboutir qu’avec la coopération pleine et efficace des États Membres, dont le Zimbabwe et l’Afrique du Sud.
S’agissant du Zimbabwe, le Procureur Brammertz a expliqué qu’il avait récemment effectué une mission à Harare, au cours de laquelle il avait rencontré le Vice-Président Chiwenga et d’autres hauts responsables, qui ont réaffirmé l’engagement sans réserve du Zimbabwe à fournir une assistance au Bureau du Procureur. Il a dit que, bien qu’il n’ait toujours pas reçu de réponse à des demandes importantes adressées au Zimbabwe, il avait « bon espoir que, pendant la période à venir, [il] pourrai[t] faire état d’une coopération pleine et efficace de la part du Zimbabwe ».
Il a par ailleurs informé le Conseil de sécurité de l’avancement des procédures en première instance et en appel, faisant entre autres le point sur les jugements portant condamnation prononcés dans les affaires Stanišić et Simatović pour l’ex-Yougoslavie et Nzabonimapa et consorts pour le Rwanda.
Le Procureur a signalé que son Bureau avait franchi des étapes clés de la phase de la mise en état dans l’affaire Kabuga, du nom de l’homme d’affaires rwandais Félicien Kabuga considéré comme le principal financier du génocide des Tutsi. Il a fait observer ce qui suit : « Au cours de la période à venir, l’affaire Kabuga figurera parmi nos activités les plus importantes, et nous nous réjouissons à la perspective de l’ouverture des débats. »
Pour terminer, le Procureur Brammertz a informé le Conseil de sécurité de questions concernant la justice pour les crimes de guerre au Rwanda et dans l’ex Yougoslavie. Il a précisé que son Bureau continuait de recevoir de nombreuses demandes d’assistance de différents parquets, et notamment du Procureur Général du Rwanda, du parquet spécial du Monténégro et du parquet de Serbie chargé des crimes de guerre.
Le Procureur a en outre évoqué la persistance de la négation des crimes ainsi que de la glorification des génocidaires et des criminels de guerre. Il a expliqué ce qui suit : « Les fresques à l’effigie de Ratko Mladić que l’on trouve à Belgrade, de même que les publications de groupes extrémistes de la diaspora rwandaise, ont un triste point en commun. Elles sont la preuve que, aujourd’hui, après plus de 25 ans, certains persistent à nier, à relativiser et à minimiser les faits judiciairement établis relatifs au génocide, aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre.»(Fin)