By Bizimana Jean Damascène*
Kigali: Le 14 avril 1994, le gouvernement criminel a continué à mettre en œuvre son plan génocidaire d’exterminer les Tutsi dans tout le pays. Dans le cadre de nous remémorer les victimes du Génocide perpétré contre les Tutsi, la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG) continue à rappeler l’histoire de ce Génocide, comment celui-ci a été mis en œuvre au quotidien, et ci-après comment il a été exécuté à travers le pays le 14 avril 1994.
1. Les massacres de Tutsi à Muhima/Nyarugenge
Le 14 avril 1994 au matin, la population d’une partie du quartier de Muhima, en dessous de l’ancienne prison de Nyarugenge, au village Umwezi dans l’ancienne Cellule Ruhurura, des Interahamwe et des militaires y ont rassemblé des Tutsi, amenaient ceux-ci plus bas à un endroit qui a été appelé “Escalier“ où les Tutsi, pendant qu’ils descendaient, étaient découpés à la machette, leurs têtes fracassées sur la route goudronnée ou tués à l’arme à feu.
Un grand nombre de Tutsi furent tués à cet endroit, sur cette route avait été installée une barrière où étaient arrêtés ceux qui passaient par la route goudronnée et tués quand ils étaient Tutsi, après quoi les corps des victimes étaient empilés au bord de la route. Jusqu’aujourd’hui, ce qui fait de la peine aux familles des victimes c’est que ces corps n’ont jamais été retrouvés pour être inhumés dans la dignité.
Parmi les Interahamwe qui ont participé à ces massacres, il y a leur chef, Ndemeye Nicodème, Gashayija Etienne, le nommé Charles, Rurangirwa Jean Paul qui a été condamné à perpétuité pour crime de génocide, et qui purge actuellement sa peine à la prison de Mageragere.
2. Les massacres des Tutsi qui s’étaient réfugiés à la Deutsche Welle Kinyinya, Gasabo/Kigali
Le 14 avril 1994, dans le Secteur Kinyinya, près de 200 Tutsi se sont réfugiés dans les bâtiments de la radio allemande Deutsche Welle sis à Kinyinya, parce qu’ils croyaient y trouver protection. Les militaires du camp Kami adressèrent un avertissement à la Deutsche Welle, les informant qu’ils avaient appris qu’ils cachaient des Tutsi et demandant de les chasser. Les allemands n’ont pas osé chasser les Tutsi et lorsqu’ils ont été évacués, ils ont laissé la garde de leurs bâtiments à Uwimfura Callixte, un de leurs employés. Dès que cet employé s’est assuré que les allemands avaient pris leur avion, il s’empressa d’appeler les autres Interahamwe de Kinyinya pour que ceux-ci viennent l’aider à tuer les nombreux Tutsi qui se trouvaient à la Deutsche Welle. Ceux-ci furent tous tués à part 3 survivants.
A Kinyinya, et bien avant le déclenchement du Génocide le 7 avril 1994, il y avait deux Interahamwe particulièrement redoutables : Uwimfura Callixte et l’Adjudant-chef Zirimwabagabo, instructeur des Interahamwe. Zirimwabagabo avait l’habitude, quand il allait dans un bar, d’acheter sa bière qu’il donnait d’abord à lécher à son chien, pour ensuite inviter un Tutsi à boire sur cette bière ; lorsque celui-ci le refusait, il était battu jusqu’en avoir les côtes cassées et en devenir handicapé. Les Tutsi qui ont été tués à la Deutsche Welle et qui ont pu être identifiés sont au nombre de 441.
3. Les massacres de Tutsi à l’ADEPR Maheresho, Nyamagabe
Les 13 et 14 avril 1994, les massacres de Tutsi ont commencé à Maheresho tués par des Interahamwe et des gendarmes appelés à cet effet par Hategekimana Didas, Bourgmestre de la Commune Rukondo, avec la complicité du pasteur Emmanuel Hakizimana de l’ADEPR Maheresho. Ils ont commencé par tuer le pasteur tutsi Evariste Rwabihinda. Ce jour, au domicile des parents du Ministre de l’agriculture et de l’élevage, Nzamurambaho Frédéric, qui était également parmi les dirigeants nationaux du PSD, plus de 37 Tutsi qui s’y étaient réfugiés espérant y trouver sécurité, furent tués.
Parmi les grands responsables du massacre des Tutsi a Maheresho, il y a le Bourgmestre Hategekimana Didace, Munyambuga Jean Baptiste, représentant du MDR dans la Commune Rukondo, son fils Twagiramungu Jean dirigeant des jeunesses Interahamwe, Kagimbura Martin enseignant et vice-président du MDR, Munyandinda Joel inspecteur des écoles primaires, Bikorimana Gaspard enseignant, Nyagatare Cyprien enseignant, Hakizayezu Jean, Mageza Onesphore. Bukeye Alphonse, Gashugi Damien, Ntahampagaze Marcel, Ntahompagaze Antoine et d’autres. Les massacres ont été commis par ces tueurs et des gendarmes qui étaient venus de Gikongoro.
4. Les massacres de Tutsi qui s’étaient réfugiés à l’usine à thé de Mata, Nyamagabe
Le 14 avril 1994, les Tutsi qui s’étaient réfugiés à l’usine à thé de Mata et d’autres qui habitaient dans les environs, ont commencé à être massacrés. Les victimes qui ont été identifiés et dont les corps reposent au mémorial du Génocide de cette usine sont au nombre de 380.
Parmi les responsables de ces massacres, il y a le Sous-préfet de Munini, Biniga Damien, Ndabarinze Juvénal, Directeur de l’usine de Mata, Mugirangabo Silas, Bourgmestre de la Commune Rwamiko, Hakizimana Sylvestre, président du MDR Power dans la Commue Rwamiko, Surwumwe Sylvestre, président du MRND, Muriro, président du CDR, Museruka, OPJ à la Commune Rwamiko et d’autres Interahamwe.
5. Les massacres des Tutsi qui s’étaient réfugiés au Secteur Gati, Rwamagana
Le 14 avril 1994, des Tutsi furent tués au Secteur Gati, en District de Rwamagana. Les massacres étaient dirigés par Rutagengwa Jean Marie Vianney qui dirigeait le MRND. C’est lui qui a incité à tuer les Tutsi à Gati. Les Interahamwe qu’il dirigeait lui ont demandé l’autorisation de vérifier sur Consesa Mukandori, une Tutsi, à quoi ressemble le cerveau des Tutsi ; il leur en donna l’autorisation et les Interahamwe tranchèrent la tête de la victime et découpèrent celle-ci pour en examiner le cerveau ; Rwabukame, le mari de Consesa, fut lui aussi immédiatement tué. Parmi les tueurs, il y avait Bigabiro Joshua, Kabugari, Nibivugire et celui qui était le directeur de l’école de Gati.
6. Les massacres de Tutsi à Birambo, Karongi
Le 14 avril 1994, les Tutsi qui s’étaient réfugiés à l’école de la communauté des sœurs de Birambo ont été attaqués par des Interahamwe, des militaires et des gendarmes dirigés par le Bourgmestre e la Commune Bwakira, Kabasha Tharcisse. Ils ont été tués à l’arme à feu, machette, lances, grenades et autres.
Plus de 5000 Tutsi y furent tués. De nombreux corps des victimes furent brûlés à l’aide d’essence, et des engins furent amenés pour creuser des fosses dans lesquelles furent ensevelis les corps des victimes près des bâtiments de l’école. Comme les corps étaient devenus trop nombreux une autre fosse fut creusée près de l’école Urumuri, ce sont des véhicules de commerçants qui transportaient ces corps jusqu’aux fosses.
7. Les massacres de Tutsi à l’église catholique de Kibeho, Nyaruguru
Le 14 avril 1994, à l’église de Kibeho, les Interahamwe et les autorités locales ont exterminé plus de 25,000 Tutsi qui s’étaient réfugiés à l’église et dans les bâtiments de la Paroisse de Kibeho. Les Tutsi se sont d’abord défendus en utilisant les armes à leur portée, et ont pu repousser l’attaque du 12 avril 1994. Les Interahamwe de Kibeho sont allé chercher des renforts et les autorités de la Sous-préfecture de Munini les ont aidés à mobiliser des gendarmes et d’autres Interahamwe venus de Mata, Ruramba, Mudasomwa et ailleurs, qui attaquèrent les réfugiés Tutsi à l’arme à feu et à la grenade.
L’attaque a commencé à 13h de l’après-midi et a duré jusqu’au soir. Le Père Pierre Ngoga a demandé aux survivants de ces massacres d’envisager comment fuir au Burundi, et en a pris quelques-uns dans son véhicule et les amena à Butare, où il fut assassiné, trahi par son collègue, le Père Anaclet Sebahinde, qui était lui-même originaire de Kibeho.
Parmi les tueurs de Kibeho il y a le Sous-préfet Damien Biniga, le Bourgmestre de Mubuga Charles Nyiridandi, le Bourgmestre de Rwamiko, Silas Mugerangabo, Juvénal Ndabarinze, directeur de l’usine à thé de Mata, l’agronome Bakundukize Innocent, le Père Emmanuel Uwayezu qui dirigeait le groupe scolaire Marie Merci de Kibeho et le policier communal Athanase Saba.
8. Les massacres des Tutsi du Secteur Munyiginya/Rwamagana
Dans le Secteur Munyiginya, l’endroit appelé Sayi est situé au carrefour des lignes électriques qui desservent le District de Rwamagana. En 1994, l’endroit était fort gardé par des gendarmes. Lors du déclenchement du Génocide, les Tutsi de Munyiginya se sont réfugiés à Sayi, espérant que les militaires qui gardaient l’endroit leur assureraient protection. Du 10 au 12 avril 1994, de nombreux Tutsi, dont des femmes et des enfants, s’y refugièrent et plus de 100 d’entre eux furent tués.
Dans la nuit du 14 avril 1994, les Tutsi qui s’y étaient réfugiés furent tués par les Interahamwe et les militaires qui étaient sur place les aidèrent dans leur sinistre besogne.
9. Les massacres de Tutsi au Secteur Kibungo, Ngoma
Le 14 avril 1994, depuis le matin vers 8h, un groupe de tueurs Interahamwe armés d’armes diverses est entré dans l’hôpital de Kibungo et ont fait sortir ceux qui s’y étaient cachés, à partir de la maternité, et les ont fait s’asseoir en dessous d’un arbre, à un endroit appelé « Muduha », et ce jusqu’à 10 h du matin. A cet instant les Tutsi ne furent pas tués, leurs tortionnaires voulaient en connaitre le nombre pour revenir plus tard les massacrer. Vers 15h de l’après-midi les Interahamwe sont revenus et ont commencé à tuer les réfugiés Tutsi en leur lançant notamment des grenades comme ils l’ont fait contre ceux qui s’étaient réfugiés dans le bureau de la Commune Birenga.
Le lendemain, le 15 avril 1994, un groupe de tueurs dirigé par le redoutable Interahamwe Cyasa qui envoya des équipes pour aller tuer dans différents endroits : à l’hôpital, à Rukira, à l’Economat et ailleurs. Les Interahamwe Shumbusho, Birasa et d’autres se sont vantés de leurs sinistres exploits à la Commune Birenga et à l’Economat général. Les Interahamwe ont tué ceux de l’hôpital, dont Marie de chez Gatare et sa petite sœur Nyirankware, Mukankuranga et d’autres qui étaient venus de Kazo et Karama.
Le 21 avril 1994, les troupes du FPR Inkotanyi sont arrivées à l’hôpital et ont pu sauver les rares survivants. Les Inkotanyi ont amenés à l’hôpital de Kibungo d’autres survivants pour leur fournir les soins nécessaires.
10. Les massacres de Tutsi à l’école primaire de Ngoma/Nyamasheke
Le 14 avril 1994, à l’école primaire de Ngoma, il y avait une barrière et une fosse profonde de 15 m. Les Tutsi de ce secteur ont été rassemblés et amenés à cette école pour y être mis à mort, après que le Préfet Bagambiki Emmanuel a fait le tour de Cyangugu pour exhorter les Hutu à tuer les Tutsi. Les Tutsi qui y ont été tués venaient surtout du Secteur Ngoma, surtout de la Cellule Keshero. Ils ont été encerclés et amenés à la barrière pour y être tués. Parmi les tueurs, les Interahamwe Mazera, Ndayishimiye Emmanue, Bazambanza et d’autres. Les Tutsi ont connu une mort atroce car de nombreux hommes étaient d’abord émasculés et leurs bras taillés à la machette, quand d’autres étaient énucléés, les femmes étaient violées, les enfants en bas âge étaient enlevés des bras de leurs mères et jetés vivants dans la fosse ; jour et nuit l’on entendait les hurlements et les pleurs des enfants qui y agonisaient.
Conclusion
Le Génocide perpétré contre les Tutsi a été planifié et exécuté par l’Etat. Le fait que depuis le 7 avril 1994 au matin, les Tutsi ont été en même temps massacrés sur toute l’étendue du pays, à partir de Kigali, et ailleurs, démontre sans le moindre doute que le Génocide avait été planifié par l’Etat rwandais. (Fin).
* Bizimana Jean Damascène, Secrétaire Exécutif, Commission Nationale de Lutte contre le Génocide, CNLG