By Bizimana Jean Damascène*
A cette date du 23 avril 1994, le gouvernement génocidaire continuait à mettre en œuvre leur plan d’extermination des Tutsi dans toutes les régions du pays, voici ci-après le rappel de massacres de Tutsi qui ont été commis le 23 avril 1994.
Jusqu’à cette date, dans tout le pays ont été installées des barrières sur lesquelles des Tutsi étaient tués, il devenait évident que les Tutsi étaient tués surtout dans les églises, les Centres de Santé, les bureaux communaux, les terrains de football, les places de marché et les écoles. En un laps de temps, dans les préfectures du sud du pays (Butare, Gikongoro, Cyangugu) de très nombreux Tutsi avaient été tués. Dans les préfectures du nord du pays, Byumba, Ruhengeri, Gisenyi, les Tutsi avaient déjà été exterminés dès la première semaine après le 7 avril 1994.
Le présent document reprend l’essentiel des massacres de Tutsi qui ont été commis le 23 avril 1994.
1. MASSACRES DE TUTSI DANS LE SECTEUR KABUYE, GISAGARA
Kabuye est situé dans l’ancienne Commune Ndora, Préfecture Butare. Il y eu d’abord de nombreux réfugiés Tutsi qui venaient de Nyaruguru où les massacres avaient commencé, certains allèrent loger chez des membres de leurs familles, d’autres ont été rassemblés sur le terrain qui se trouvait a l’endroit où a été plus tard érigé une place de marché. A l’époque il y avait des patrouilles qui étaient censées assurer la sécurité pour empêcher toute infiltration des inyenzi, mais au sein desquelles étaient planifiés les massacres des Tutsi sans qu’aucun parmi eux ne puisse y survivre.
Le 21 avril 1994, le Président Sindikubwabo Théodore est venu à la Sous-préfecture de Gisagara donner le signal du Génocide. Apres la réunion au cours de laquelle il a incité les Hutu à tuer les Tutsi, le lendemain 22 avril 1994, un mécanicien du nom de Uwizeye Fidèle a pris des policiers avec lui dans un véhicule de la commune et ils sont allés arrêter tous les jeunes gens qui s’y étaient réfugiés; ceux-ci ont été embarqués dans le véhicule de la Commune Ndora et amenés pour être enfermés dans le cachot de la Commune; le soir, ces tueurs ont tué les jeunes gens dans le bois de Rwasave, et ont dit aux Interahamwe de commencer “le travail”, en prétendant avoir tué ceux à qui les Inkotanyi auraient distribué des armes.
Uwizeye Fidèle supervisait les barrières et faisait rapport aux instances supérieures militaires et civiles, en collaboration avec Manariyo François, Ndayisaba Antoine et Kamanzi Yozefu qui avaient tous dans le passé dirigé la Commune Ndora. Uwizeye Fidèle a été peu après nommé Bourgmestre de la Commune Ndora en remplacement de Rwankubito, grâce à son zèle dans la mise en œuvre du Génocide.
Le 23 avril 1994, Ntawukuriryayo Dominique, Sous-préfet de Gisagara, Callixte Kalimanzira et Rwankubito, Bourgmestre de la Commune Ndora, ont demandé aux Tutsi de se rendre à la colline de Kabuye, ont ensuite amenés des militaires et des policiers qui ont ouvert le feu sur les Tutsi; les massacres ont continué le lendemain, les tueurs parmi la population sont venus achever ceux qui respiraient encore.
Les tueurs sont venus de différents endroits pour venir tuer à Kabuye: un groupe de tueurs dirigé par le Bourgmestre Ndayambaje Elie est venu de la Commune Muganza, des réfugiés burundais du camp de Kibayi sont également venus tout comme un groupe de miliciens qui s’était fait appeler “jaguar”.
A la tête des responsables de ces massacres, il y avait le Président Sindikubwabo, Ntawukuriryayo Dominiko, Sous-préfet de Gisagara, Callixte Kalimanzira, Rwankubito, Bourgmestre de la Commune Ndora, Uwihoreye Kayitani, commerçant, Albert, secrétaire à la Sous-préfecture de Gisagara en collaboration avec son épouse Agatha et leurs deux fils (Claude et Francois), Manigabe Vincent qui avait un fusil et a tué de nombreux Tutsi à Kabuye, Singirankabo Laurent, président du MRND, Rutagengwa Anathole, policier, Karemanzira, chef ELECTROGAZ, Kubwimana Jean alias Bikomagu, Sindikubwabo Vianney, président du MDR, Hategekimana Isaac, Responsable de Dahwe et d’autres. La député Mukarurangwa Bernadette venait superviser la mise en œuvre du Génocide dans la Commune Ndora.
Dominique Ntawukuriryayo a été condamné pour crime de génocide à 20 ans de prison par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR).
2. MASSACRES DE TUTSI DANS LE SECTEUR DE RWANIRO, À MWENDO, HUYE
Le 20 avril 1994, le Secteur Rwaniro a été attaqué par des tueurs qui venaient de la Commune Kinyamakara, en Préfecture Gikongoro ; la population, Hutu et Tutsi confondus, a résisté ensemble contre cette attaque, mais les tueurs redoublaient de force chaque jour. Le 22 avril 1994, les tueurs qui attaquèrent étaient armés de nombreux fusils et étaient dirigés par le commandant de la gendarmerie à Gikongoro, le Capitaine Faustin Sebuhura, lequel était accompagné de Munyaneza, Bourgmestre de la Commune Kinyamakara; il y avait également Mucumankiko Silas, Directeur de Tabarwanda, et Masabo Juvénal Nyangezi qui transportait dans son petit véhicule des tueurs qu’il déposa au pont de Mwogo et qui ont immédiatement ouvert le feu.
Les membres de la population de Rwaniro ont fui, ont traversé la rivière Rusuri et ont passé la nuit sur la colline Rubaba. Ceux qui ne se sont pas rendus à Rubaba sont allés se réfugier en grand nombre à la Commune Ruhashya et à l’ISAR Rubona.
Les tueurs de Gikongoro se sont mis à incendier les maisons, assistés par d’autres tueurs venus de la Commune Maraba, ils ont poursuivis leur route et arrivés à Rubaba ont, dans un communiqué, demandé aux Hutu de se désolidariser des Tutsi et de venir les aider à tuer ceux-ci.
Les Tutsi de l’ancien Secteur Rwaniro ont été tués petit à petit. Ceux qui ont survécu aux massacres de Rubaba se sont rendus à la Commune Rusatira et ont rencontré en cours de route un groupe de tueurs dirigé par Nyawenda Hesironi, Bourgmestre de Rusatira, et Munyakayanza qui dirigeait le Centre de Santé de Ruhashya, ceux qui ont survécu ont continué vers l’ISAR Songa où, quand les massacres y ont commencé, certains d’entre eux se sont réfugiés dans la région du Mayaga.
Parmi les tueurs de Rwaniro il y avait Mugemana Tharcisse alias Mabiye, enseignant à Rwaniro, Ngenzi Godefroid, moniteur agricole (MONAGRI), Nsengiyumva Venuste, commercant, et les Interahamwe Munyakayanza Joseph, Ntamukunzi Aloys, Munyankindi Michel et Ntahobavukira Emmanuel.
3. MASSACRES DE TUTSI DANS LE BUREAU DE L’ANCIÈNNE COMMUNE DE MUSANGE, NYAMAGABE, GIKONGORO
C‘était dans l’ancienne Commune de Musange, en Sous-préfecture de Musange, Préfecture de Gikongoro. Les Tutsi ont commencé à se réfugier à la Commune Musange le 9 avril 1994. Des membres d’une famille s’y sont réfugiés à cette date, mais Bizimana Bernard, Bourgmestre de la Commune Musange, les a fait escorter par un policier du nom de Sahabu pour que celui-ci les ramène chez eux parce que, disait-il, il n’y avait aucun problème. Le policier les a ramenés, et à son retour, a déclaré que les membres de cette famille lui ont été enlevés en cours de route par des tueurs qui les ont tués. Ce jour, le Bourgmestre a fait le tour des secteurs en véhicule, annonçant dans son mégaphone que tous les Tutsi devaient se réfugier à la Commune et qu’il allait y assurer leur sécurité. Les Tutsi s’y sont immédiatement réfugiés en grand nombre et certains d’entre eux sont allés au Tribunal; ils y ont vécu dans de très difficiles conditions car à un certain moment l’Interahamwe Mbayire Longine leur a coupé l’eau courante, et ils ont commencé à se rendre à la rivière Muhura y puiser de l’eau; le Bourgmestre Bizimana a immédiatement fait installer autour des réfugiés une clôture et a donné instruction aux policiers à tirer sur quiconque franchirait la dite clôture.
Le 23 avril 1994, vers 10h du matin, de nombreux Interahamwe et militaires ont ouvert le feu sur les réfugiés Tutsi pendant 30 minutes, après quoi des tueurs parmi les citoyens ordinaires se sont mis à tuer les survivants à l’aide de leurs machettes, houes, gourdins cloutés et autres armes traditionnelles. Ils ont tué jusqu’à 17h du soir à cause de la pluie qui les avait interrompus, les contraignant à aller s’abriter. Les survivants ont marché toute la nuit pour se rendre à Nyanza (Butare) mais la plupart d’entre eux furent jetés et noyés dans le lac Nyamagana.
Les autorités responsables de ces massacres sont notamment le Bourgmestre Bizimana Bernard, Yowakimu, le Sous-préfet de Kaduha, Munyangoga Dominiko, un cadre supérieur de la BNR et qui était originaire de Musange, Mugwaneza, médecin directeur du Centre de Santé de Musange, Akimana, agronome de la Commune, Rwamuhungu, Inspecteur des écoles et d’autres.
4. MASSACRES DE TUTSI AU LAC NYAMAGANA, DISTRICT NYANZA
Le lac Nyamagana date du règne du roi Rudahigwa et était destiné à l’irrigation des champs; pendant le Génocide de nombreux Tutsi furent jetés et noyés dans ce lac, et il y avait une redoutable barrière. Le lac se trouvait dans la Commune Kigoma en Secteur Remera, actuellement en District Nyanza, Secteur Busasamana. Pendant le Génocide, de nombreux Tutsi sont venus de la Préfecture Gikongoro, surtout des Communes Rukondo et Kinyamakara, pour se réfugier à Nyanza parce qu’ils espéraient y trouver sécurité, car Nyanza avait été relativement épargnée par les massacres depuis 1959. Certains parmi les survivants des massacres de la Paroisse Kaduha s’y sont eux aussi réfugiés.
Lorsqu’ils sont arrivés au lac Nyamagana, ils y ont trouvé une redoutable barrière. On leur a dit de ne plus avoir peur parce qu’ils étaient désormais dans les bonnes mains des autorités, mais ce n’était qu’une astuce pour les rassembler parce qu’ensuite ils furent tués à l’arme à feu, machettes, gourdins et autres.
A part ces réfugiés, de nombreux Tutsi habitaient aux alentours de ce lac, et les tueurs les ont débusqué de leurs cachettes, notamment dans les champs de sorgho et chez leurs voisins car leurs maisons avaient été incendiées et les Tutsi ne pouvaient même pas, par peur, occuper celles qui étaient encore intactes. Lorsque les Tutsi étaient débusqués, les tueurs leur courraient après, les encerclaient en hurlant, et après les avoir rattrapés, les jetaient et les noyaient dans le lac. Le nommé Mudacumura Eraste a été pourchassé, cerné de toutes parts par les tueurs qui l’ont rattrapé et jeté dans le lac; les tueurs ont ensuite plaisanté sur sa mort en disant qu’il s’était suicidé, ce qu’il ne pouvait pas faire car chrétien convaincu. Les tueurs lançaient de grosses pierres sur ceux qui savaient nager jusqu’à ce qu’ils se noient par épuisement.
Les Tutsi ont été tués par des gendarmes parmi lesquels il y avait Haguma et Birikunzira François, en collaboration avec un groupe de miliciens qui se faisait appeler « Imberebere ».
5. MASSACRES DE TUTSI À L’ÉCOLE PRIMAIRE DE BITSIBO, KAMONYI
L’école primaire qui était appelée Bitsibo pendant le Génocide perpétré contre les Tutsi est située dans le village Nkomane, Cellule Rukambura, Secteur Musambira, District de Kamonyi. Les massacres sur la colline Bitsibo ont commencé au grand jour le 20 avril 1994. Les Tutsi ont alors commencé à se réfugier dans des endroits différents, dans les broussailles, chez les voisins, et d’autres furent amenés à la Commune Musambira par les autorités de celle-ci pour qu’ils y soient tués.
Le 23 avril 1994, les autorités locales ont fait des communiqués qui affirmaient que la paix était revenue, ce qui a poussé les Tutsi qui avaient survécu et qui s’étaient réfugiés à la Commue Musambira, à rentrer chez eux, tout comme ceux qui s’étaient cachés dans les broussailles ou chez des voisins. Le 23 avril 1994, au soir, les tueurs ont rassemblé tous les Tutsi et les ont amenés à l’école de Bitsibo. Toute la soirée, les Tutsi y ont été massacrés et jetés dans une fosse qui se trouvait à cette école et qui avait été creusée pour en extirper de la terre utilisée lors de la construction de l’école. Les Tutsi tués à Bitsibo furent nombreux car même les survivants des massacres du 21 et 22 avril 1994 de la Commune Kayenzi étaient eux aussi venus à Bitsibo, tout comme certains Tutsi du Secteur Gacurabwenge. Les Tutsi tués à cette école le furent à l’aide d’armes traditionnelles, machettes, gourdins et autres.
Parmi ceux qui ont participé à ces massacres, il y avait: MINANI, MBUGUJE, BADEGE Augustin qui avait une boutique, Aloys, Responsable de cellule, RUTAGENGWA Bertin et d’autres.
CONCLUSION
Le Génocide perpétré contre les Tutsi a continué à être mis en œuvre à travers tout le pays, dirigé par le gouvernement génocidaire, les dirigeants des partis Hutu Power, le haut commandement militaire et les tueurs des milices Interahamwe et Impuzamugambi. Les autorités locales au niveau des Communes, Secteurs et Cellules ont activement participé à la mobilisation de la population pour commettre le Génocide, raison pour laquelle même ceux qui n‘ont pas tué sont restés des spectateurs passifs, à part un petit nombre de personnes qui ont osé sauver la vie de Tutsi. (Fin).
* Bizimana Jean Damascène, Secrétaire Exécutif Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG)