By Dr BIZIMANA Jean Damascène*
INTRODUCTION
Pendant que le gouvernement génocidaire organisait la population et donnait des instructions précises sur l’élimination systématique et généralisée des Tutsi, les Nations Unies continuaient de tergiverser sur la vraie nature des massacres qui étaient en train d’être perpétrés contre les Tutsi.
C’est seulement à partir du 24 mai 1994 que la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies a tenu une réunion d’urgence à Genève, convoquée par le Canada.
Au bout de cette réunion, une résolution a été adoptée le 25 mai 1994, et a conclu sur la nécessité d’une enquête sur les massacres de Tutsi au Rwanda.
La première reconnaissance officielle du génocide est finalement intervenue dans un rapport au Conseil de sécurité du 31 mai 1994. Il était basé sur les informations fournies par Iqbal Riza et Maurice Baril, le conseiller militaire du Secrétaire général qui a effectué une visite au Rwanda entre le 22 et le 27 Mai 1994.
Finalement, Mr René Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la Commission des Droits de l’homme de l’ONU, a effectué une mission d’enquête au Rwanda, du 16 au 20 juin, et publié son rapport le 28 juin 1994 qualifiant de génocide les massacres perpétrés contre les tutsi depuis le 7 avril 1994.
1) LA RESOLUTION DE LA COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME DES NATIONS UNIES, ADOPTEE LE 25 MAI 1994, A CONCLU SUR LA NECESSITE D’UNE ENQUETE SUR LES MASSACRES DE TUTSI
Lors de la réunion du 25 mai 1994 de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, les délégués ont conclu que le génocide était en cours et devait faire l’objet d’une enquête.
Le même jour, cette Commission a adopté la résolution 1994 S-3/1, par laquelle un rapporteur spécial a été nommé, et chargé d’enquêter sur place sur les massacres perpétrés contre les Tutsi qui étaient en cours.
Précédemment, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme, M. Ayala Lasso avait effectué une mission au Rwanda être le 11-12 mai 1994. Son rapport faisait état de massacres systématiques et généralisés dont les Tutsi faisaient l’objet.
2) LE «RAPPORT SUR LA SITUATION DES DROITS DE L’HOMME AU RWANDA » PRESENTE PAR Mr DEGNI-SEGUI, RAPPORTEUR SPECIAL DE LA COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, LE 28 JUIN 1994, A QUALIFIE DE GENOCIDE LES MASSACRES PERPETRE CONTRE LES TUTSI
Le 28 juin 1994, le «Rapport sur la situation des droits de l’homme au Rwanda présenté par Mr Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, a rendu son rapport qui a qualifié de génocide les massacres perpétrés contre les Tutsi et désignait les responsables de ces massacres, le gouvernement génocidaire, l’armée et les milices Interahamwe et Impuzamugambi du MRND et CDR.
Le rapport a montré que les miliciens Interahamwe et Impuzamugambi massacrent les Tutsi
Selon le rapport, les atrocités s’étendaient sur l’ensemble du territoire national. La plupart des massacres étaient le fait des milices Interahamwe du MRND, et Impuzamugambi de la CDR, et étaient dirigés contre les Tutsi.
Le rapport a qualifié de génocide les massacres perpétrés contre les Tutsi
a)Les massacres de Tutsi étaient programmés par le gouvernement génocidaire
Le rapport a constaté que les massacres, étaient horribles et terrifiants, programmés, systématiques et atroces.
En effet, il y avait un faisceau d’indices montrant que les massacres étaient programmés: le premier était constitué par la campagne d’exhortation à la haine ethnique et à la violence orchestrée par les médias du gouvernement ou proches de lui, tels que la Radio rwandaise, et surtout la “Radio Télévision Libre des Milles Collines” (RTLM). Le second consistait dans la distribution d’armes à la population civiles et plus particulièrement aux miliciens.
De plus, les miliciens avaient eu des entraînements intensifs dans des installations militaires de novembre 1993 à mars 1994. Le deuxième résidait dans la célérité exceptionnelle avec laquelle les massacres ont commencé et continué à partir du 7 avril 1994. De plus, des barrières ont été posées entre 30 et 45 minutes après l’attentat contre l’avion présidentiel et avant même que la nouvelle de l’accident n’ait été annoncée par la radio nationale.
b) Le rapport a montré que les massacres de Tutsi étaient systématiques
Le rapport du rapporteur spécial a constaté que les massacres perpétrés contre les Tutsi revêtaient un caractère systématique. Des familles entières étaient décimées, grands-parents, parents, enfants. Personne n’y échappait, même pas les nouveau-nés. Mais ce qui était encore plus symptomatique, c’est que les victimes étaient poursuivies jusque dans leur dernier retranchement pour y être exécutées. C’est le cas des victimes qui ont été tuées dans des paroisses et surtout des églises, qui sont devenues le théâtre de leur holocauste. Il en était de même des caches dans les plafonds ou recoins des maisons et dans les bois et forêts, où les assaillants mettaient le feu pour s’assurer qu’ils ne laisseraient pas de survivants derrière eux. Il en était encore ainsi des frontières, qui sont barrées pour empêcher aux Tutsis de se rendre dans les pays voisins.
c) Le rapport relève que les massacres perpétrés contre les Tutsi étaient exécutées dans des conditions atroces, affreusement cruelles.
Selon le rapport, les massacres étaient en effet précédés d’actes de torture ou autres traitements cruels, inhumains et dégradants. D’une manière générale, les victimes étaient attaquées à coups de machettes, de haches, de gourdins, de massues, de bâtons, ou de barres de fer. Les bourreaux allaient parfois jusqu’à couper successivement les doigts, la main, les bras, les jambes avant de trancher la tête ou de fendre le crâne. Des témoins rapportaient qu’il n’était pas rare que les victimes supplient leurs bourreaux ou leur proposent de l’argent pour être exécutées plutôt par balles qu’à la machette. Il a aussi été signalé que, lorsque les Tutsis étaient enfermés dans une salle ou dans une église que les miliciens n’arrivaient pas à ouvrir, les militaires venaient à leur secours : ils défonçaient les portes, lançaient des grenades dans la salle et laissaient le soin aux miliciens d’achever le travail. La barbarie n’épargnaient ni les enfants des orphelinats, ni les blessés des hôpitaux, qui étaient enlevés et tués ou achevés. Des mères se sont vues obligées de piler leurs enfants. On a même signalé que les bourreaux, après avoir exécuté leurs victimes en pleine rue, au vu et au su de tous, les découpaient en morceaux et certains n’hésitent pas à s’asseoir sur les corps pour boire une bière en attendant que les prisonniers viennent ramasser les corps.
d) Tous ces éléments amenèrent le rapporteur spécial à affirmer qu’un génocide a été perpétré contre les Tutsi
D’éminentes personnalités, dont le Secrétaire général des Nations Unies, n’ont pas hésité à qualifier le massacre des Tutsis de génocide, au regard des faits, la pertinence de cette qualification.
Toutes les conditions de l’article II de la Convention sur la prévention et répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 sont réunies s’agissant des massacres perpétrés cotre les Tutsi.
La première condition ne semble pas faire de doute eu égard aux massacres perpétrés (II a)) et même aux traitements cruels, inhumains et dégradants (II b)).
La seconde n’est pas davantage difficile à remplir, car l’intention claire et non équivoque se trouve bien contenue dans les appels incessants au meurtre lancés par les médias (en particulier le RTLM) et transcrits dans les tracts. Et si ce n’était le cas, l’intention aurait pu être déduite des faits eux-mêmes, à partir d’un faisceau d’indices concordants : préparation des massacres (distribution d’armes à feu et entraînement des miliciens), nombre de Tutsis tués, et résultat de la poursuite d’une politique de destruction des Tutsis.
La troisième condition qui exige que le groupe ethnique soit visé comme tel est également remplie : d’abord, nombre de témoignages révèlent que les tris opérés au cours des barrages pour la vérification des identités visaient les Tutsis. Ensuite et surtout, l’ennemi principal, reste le Tutsi qui est l’inyenzi, c’est à dire “le cafard”, à écraser à tout prix selon les tueurs.
Les conditions prescrites par la Convention de 1948 sont ainsi réunies et le Rwanda, y ayant accédé le 16 avril 1976, est tenu d’en respecter les principes qui se seraient imposés même en dehors de tout lien conventionnel, puisqu’ils ont acquis valeur coutumière.
De l’avis du Rapporteur spécial, la qualification de génocide doit être d’ores et déjà retenue en ce qui concerne les Tutsi.
e) L’impunité était garantie aux tueurs par le gouvernement génocidaire
Les milices des partis politiques dressaient des barricades, contrôlaient l’identité des passants, arrêtaient les Tutsis et les exécutaient en pleine rue, au vu et au su de tous, devant les éléments de la gendarmerie et des forces armées rwandaises. Ceux-ci, loin d’inquiéter les miliciens, leur portaient plutôt main forte. C’est également le cas des autorités locales, préfets ou bourgmestres, qui ont directement participé aux tueries.
Jusque-là, les auteurs des massacres précédents et actuels, connus de la population et des pouvoirs publics, n’avaient fait l’objet d’aucune poursuite. Bien au contraire, ils continuaient à mener une vie paisible et à circuler librement en toute quiétude et impunité.
f) Le rapport a identifié les responsables du génocide perpétré contre les Tutsi
Il s’agit des organes de l’Etat rwandais, et tout particulièrement, des hauts cadres politiques au niveau national, tels que des ministres, l’armée et la gendarmerie, plus particulièrement la garde présidentielle, les préfets et les bourgmestres. La responsabilité du “gouvernement intérimaire” rwandais était pleinement engagée compte tenu du fait qu’il a incite la population à exterminer les Tutsi.
Le rapport pointe du doigt les miliciens, les responsables de partis politiques extrémistes (MRND et CDR) ou les fondateurs et les animateurs de la RTLM.
g) Le rapport concluait en faisant quelques recommandations :
L’organisation des Nations Unies doit condamner le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en insistant sur le caractère horrible, abominable et inacceptable de tels actes.
Les Nations Unies devraient informer les auteurs qu’une fois identifiés ils auront à répondre de leurs actes et omissions devant des instances compétentes et en quelque endroit de la planète qu’ils puissent se trouver.
IL faut en outre demander aux Etats qui ont accordé l’asile ou autre refuge aux personnes impliquées dans les massacres de prendre les mesures appropriées pour qu’elles n’échappent pas à la justice.
L’ONU devrait créer, dans l’attente d’une juridiction pénale internationale permanente, une juridiction internationale ad hoc chargée de connaître des faits et de juger les coupables et, à défaut, étendre la compétence du tribunal pénal international pour les crimes de guerre commis dans l’ex-Yougoslavie.
CONCLUSION
Depuis le mois de janvier 1994, le général Romeo Dallaire, commandant de la MINUAR n’a cessé d’alerter les instances onusiennes sur la préparation du génocide par le régime en place.
Pour des raisons encore non encore élucidées, les organes onusiens qui devaient prendre une décision pour prévenir et arrêter le génocide ont tergiversé et laissé faire.
Certaines grandes puissances qui ont un siège permanant au conseil de sécurité auraient pu prédire le génocide, et tenir compte des avertissements significatifs qui montraient qu’un génocide était imminent.
Les membres permanents du conseil de sécurité savaient qu’au cours des deux semaines du génocide était apparent, les informations provenaient de sources réfutables, MUNUAR, le CICR et OXFAM.
Au contraire, certains membres ont continué à dépeindre le génocide comme des massacres liés à la guerre civile, ce qui n’a fait qu’obscurcir la réalité du génocide perpétré contre les Tutsi et l’obligation d’intervenir.
L’opinion internationale refusait de voir la réalité de ce qui se passait au Rwanda à partir du 7 avril 1994. Il fallut attendre le 28 juin 1994 pour que l’intention génocidaire soit enfin par les instances onusiennes, plus de trois mis après le début du génocide. (Fin).
*Dr Bizimana Jean Damascène, Secrétaire Exécutif Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG)