By Dr Bizimana Jean Damascène*
A cette date du 29 avril 1994, le gouvernement génocidaire continuait à mettre en œuvre son plan d’extermination des Tutsi, et avait l’intention de traquer tous les Tutsi qui se cachaient encore dans des hôtels ou des églises.
Voici ci-après le rappel de massacres de Tutsi qui ont été commis le 29 avril 1994.
1. Pour la première fois, le Conseil de Sécurité de l’ONU a étudié la question du Génocide perpétré contre les Tutsi
Le Conseil de Sécurité de l’ONU avait continué à ignorer la question du Génocide qui depuis le 7 avril 1994, était perpétré contre les Tutsi.
Le 28 avril 1994, l’Ambassadeur de la République Tchèque, Karel Kovanda, a demandé au Conseil de Sécurité d’étudier la question. L’Ambassadeur Kovanda, a démontré qu’à ce jour le Conseil de Sécurité avait mis 80% de ses efforts à étudier la question de maintenir les troupes de la MINUAR au Rwanda ou de les faire quitter le pays, 20% à étudier comment arrêter la guerre et enfin 0% à étudier la question des massacres commis au Rwanda.
Se basant sur des informations relayées par des organisations de protection des droits de l’homme, l’Ambassadeur Kovanda a affirmé que le gouvernement en place au Rwanda était en train de commettre un Génocide contre les Tutsi. Certaines des grandes puissances ayant un siège permanent au Conseil de Sécurité se sont attaquées à lui sous le prétexte fallacieux que le langage qu’il avait utilisé n’avait pas sa place au sein du Conseil de Sécurité.
Celui qui présidait le Conseil de Sécurité, l’Ambassadeur Colin Keating, a lui aussi fait état d’informations selon lesquelles des actes d’extrême violence et des meurtres étaient commis contre les Tutsi. Le Dr Rony Zachariah de MSF-Belgique l’avait informé de massacres commis le 22 avril 1994 à l’hôpital universitaire de Butare. Ceux qui y ont été tués étaient des médecins, des malades et des personnes venues veiller sur ceux-ci, qui se trouvaient dans cet hôpital.
Ces informations ont été confirmées par le communiqué d’OXFAM qui dénonçait le Génocide qui était en train d’être commis au Rwanda.
Le 24 avril 1994, pour la première fois, le Conseil de Sécurité de l’ONU a donc étudié la question du Génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda. Le président du Conseil de Sécurité voulait mettre les pays qui en étaient membres, devant leur responsabilité de porter secours s’il était confirmé qu’un Génocide était commis au Rwanda, conformément a ce qui est prévu par la Convention Internationale sur la Prévention et la Répression du crime de Génocide (1948). .
Certains pays comme la Nouvelle Zélande, l’Argentine, l’Espagne et la République Tchèque, soutenaient l’adoption d’une résolution sur le Génocide qui était commis contre les Tutsi au Rwanda. Certaines grandes puissances se sont opposées à l’utilisation du mot génocide. Les représentants de la France et du Rwanda ont fait tout leur possible pour semer la confusion au Conseil de Sécurité en prétendant que les actes de violence au Rwanda étaient la conséquence de la guerre, cela pour qu’aucune décision de secourir soit prise.
Apres de longues discussions, il a été décidé de ne pas utiliser le mot génocide comme prévu dans la Convention Internationale sur la Prévention et la Répression du crime de Génocide (1948), et la formulation ci-après a été utilisée: … “Le Conseil de Sécurité de l’ONU rappelle que tuer des personnes membres d’un groupe racial avec l’intention de les exterminer est un crime de droit international”.
2. Massacres de Tutsi au camp militaire de Butotori (Marine), Rubavu
Le camp militaire de Butotori était situé dans le village de Butotori, Cellule Rubona, Secteur Nyumyumba en District de Rubavu. Sous le régime Habyarimana, il était occupé par des membres de la Garde Présidentielle qui gardait une maison appartenant au Président Habyarimana. Ce sont ces mêmes militaires qui ont tué des Tutsi dans ce camp.
Dans ce camp ont été organisées un grand nombre de réunions qui planifiaient le Génocide, elles étaient dirigées par des militaires de hauts rangs comme le Colonel Theoneste Bagosora, le Colonel Nsengiyumva Anatole et d’autres.
Dans ce camp étaient également organisés des entrainements militaires dispensés aux Interahamwe par des militaires français dans le but d’exterminer les Tutsi.
Le 29 avril 1994, y ont été tués des Tutsi dont la famille de NYARUZUNGU Laurent, celle de KAREKEZI Jonathan, un nommé BABONAMPOZE André et son enfant et d’autres.
Parmi les responsables des massacres de ces personnes il y avait le Major KABERA commandant du camp, le Lieutenant MINANI originaire de Nyamyumba, le Lieutenant BIZUMUREMYI, réputé pour avoir tué un grand nombre de Tutsi depuis 1992 à Kibuye et le membre de la Garde Présidentielle du nom de Patrice. Ceux-ci sont les principaux acteurs de ces massacres.
3. Massacres de Tutsi à la Paroisse catholique de Shangi, Cyangugu
La Paroisse Shangi était située avant le Génocide dans la Commune Gafunzo, en Secteur Shangi, actuellement en District Nyamasheke, Secteur Shangi. A Gafunzo, les discriminations et les persécutions des Tutsi datent de longtemps, et ont redoublé d’intensité depuis le début de la guerre de libération en 1990. Le MRND et le MDR se sont alliés et ont persécuté les Tutsi. Dans la Commune Gafunzo en 1992, les Tutsi qui avaient pu poursuivre leurs études et qui avaient du travail, ont commencé à être licenciés ou démis de leurs fonctions, comme les enseignants. Les Hutu qui avaient épousé des femmes Tutsi ont été priés de répudier leurs épouses pour s’en séparer définitivement. Le Conseiller BACAMURWANGO Anicet a donné l’exemple et répudia son épouse pour la seule raison qu’elle était Tutsi. Mais les Hutu n’ont pas tous obéi à cette consigne.
En 1993, les entrainements des Interahamwe commencèrent dans les différentes localités, ceux de Gafunzo étaient entrainés à l’usine à thé de Shagasha, le directeur de cette usine était NSABIMANA Callixte, originaire de Gisenyi et qui clamait publiquement qu’il détestait les Tutsi. C’est lui qui a initié les entrainements des Interahamwe à l’usine de Shagasha, en collaboration avec le Préfet BAGAMBIKI Emmanuel, les Sous-préfets Gérard TEREBURA et Theodore MUNYANGABE, et le Lieutenant Samuel IMANISHIMWE.
Depuis le 8 avril 1994, les Interahamwe ont commencé à hurler sur les collines en chantant “tubatsembatsembe” c.à.d. “ exterminons-les”. Les Tutsi ont alors commencé à se réfugier à la Paroisse Shangi. Parmi ceux qui hurlaient et chantaient de cette façon, il y avait des Hutu du clan “Abanyumu”, et des barrières ont commencé à être installées à plusieurs endroits. Une barrière a été notamment installée chez l’enseignant Bonaventure qui habitait en dessous de la Paroisse Shangi.
Depuis les 12 et 13 avril 1994, les Tutsi qui s’y étaient réfugiés ont commencé à subir des attaques des Interahamwe et d’autres Hutu qui venaient tuer et piller, mais les Tutsi ont résisté et repoussé les assaillants.
Le 14 avril 1994, une troisième attaque a été menée par des tueurs dirigés par l’Interahamwe Pima. Avant d’aller tuer les Tutsi qui s’étaient réfugiés à la Paroisse de Shangi, ils sont d’abord passés par la Commune Gafunzo s’approvisionner en fusils et grenades destinés à tuer les Tutsi. Le Bourgmestre Karorero Charles a ordonné au Brigadier de la Commune de leur livrer ces armes. Les Interahamwe ont utilisé ces fusils et grenades pour tuer les Tutsi, mais il y eu des survivants. Cette attaque dirigée par Pima était venue de Nyamirundi.
Les Interahamwe ont d’abord fermé les canalisations qui acheminaient l’eau dont se servaient les réfugiés Tutsi de la Paroisse Shangi pour qu’ils soient assoiffés et affamés. Ceux qui ont essayé de rejoindre le lac Kivu qui se trouvait en dessous de l’église ont été tués en cours de route avant d’y être arrivés.
Le 18 avril 1994, une délégation de la Préfecture dirigée par le Sous-préfet MUNYENGABE Theodore, est venue tenir une réunion avec les Conseillers à qui il fut demandé de dresser la liste de tous les Tutsi qui ont quitté leurs domiciles et l’endroit où ils se sont réfugiés.
Peu après le Père MATEGEKO Aimé, le Sous-préfet MUNYANGABE et des agents de la Commune venaient sélectionner parmi les réfugiés, les hommes et les jeunes gens en bonne santé, tout comme ceux qui étaient les plus éduqués, et les tuaient. Ils ont menti aux réfugiés que ceux qui étaient sélectionnés l’avaient été par ce que des armes (fusils, grenades, piques) destinées à tuer les Hutu avaient été trouvées à leurs domiciles, et qu’ils devaient s’en expliquer au Tribunal à Kamembe. Ceux qui ont été amenés ne sont jamais revenus.
Le 27 avril 1994, vers 10h du matin, les Interahamwe de Shangi et Nyabitekeri ont lancé une attaque sur les réfugiés Tutsi qui ont néanmoins résisté et repoussé les tueurs. Le 29 avril 1994, des tueurs venus de Bugarama et dirigés par Yussuf Munyakazi, sont arrivés dans trois (3) véhicules, armés de machettes, de gourdins, de fusils et de grenades. Ceux qui ont survécu à cette attaque, dans leurs témoignages, ont révélé que les Interahamwe sont arrivés en chantant “ tout ce qui est sur terre appartient aux Hutu”; ils ont immédiatement lancé des grenades et commencé à tuer les réfugiés à la machette. Ce jour ils cessèrent de tuer à 19h30’ parce qu’il venait de faire nuit, et ils amenèrent les femmes et filles qui étaient encore vivantes chez eux où ils les violèrent.
Le 30 avril 1994, des Interahamwe sont venus achever les blessés, après ils ont intercepté des personnes qui se rendaient au marché, lesquelles les ont aidés à enlever les cadavres de l’église et les transporter à la fosse qui était appelée “Croix Rouge” (cette fosse était destinée normalement à accueillir les vidanges des latrines de l’école primaire de Shangi) et dans laquelle étaient jetés les corps sans vie des victimes. La fosse fut remplie et ils en creusèrent une autre où les corps continuèrent à être jetés, ils voulaient nettoyer l’église pour pouvoir continuer à y aller prier.
Le Père MATEGEKO Aimé, un des tueurs les plus redoutables à Shangi, a été condamné pour crime de génocide à la prison à perpétuité.
4. Massacres de Tutsi au stade Kamarampaka, Rusizi
Le stade Kamarampaka était érigé à côté de la Haute Cour de Rusizi, les camps militaire et de la gendarmerie, les bureaux de la préfecture de Cyangugu, la prison de Cyangugu, et le centre commercial de Kamembe; ce stade était proche de la frontière avec la République Démocratique du Congo.
De nombreux Tutsi s’y sont réfugiés parce qu’ils croyaient qu’ils y seraient protégés par outes ces institutions de l’Etat qui étaient à proximité du stade.
Les premiers Tutsi se sont réfugiés au stade le 9 avril 1994, et ont amené avec eux leur bétail parce que les Hutu avaient commencé à incendier leurs maisons.
Le 19 avril 1994, des militaires dirigés par le Préfet Bagambiki Emmanuel, Préfet de Cyangugu, ont attaqué les réfugiés Tutsi. Ils sont arrivés avec la liste des hommes Tutsi qu’ils voulaient amener en priorité et dont la plupart étaient éduqués et nantis. Y étaient également listés les hommes les plus robustes et donc les plus susceptibles de leur résister.
Le Père Laurent Ntimugura est venu et s’est moqué des réfugiés Tutsi quand ils lui ont demandé d’appeler du secours pour eux. Il leur répondit en ces termes : “ Ça veut dire que vous êtes repus, les autres sont affligés par la mort de leur Père de la Nation et, alors que je viens de vous apporter de la nourriture, vous me débitez des futilités”. Son collègue, le Père Oscar NKUNDAYEZU, a au contraire rassuré les réfugiés Tutsi, leur a apporté à manger et administra le sacrement de la pénitence à ceux qui le désiraient. Le Père Laurent Ntimugura a été condamné à 20 ans de prison, a purgé sa peine et réside actuellement chez l’évêque de Cyangugu.
Les Tutsi qui s’étaient réfugiés au stade Kamarampaka ont vécu très péniblement, assoiffés et affamés, et sans toilettes où aller; certains furent atteint par le cholera à cause de la saleté dans laquelle ils vivaient, un grand nombre sont tombés malades.
Le 26 avril 1994, un autre groupe de militaires dirigés par le Lieutenant IMANISHIMWE Samuel est venu, et ont amené des hommes réfugiés pour aller les tuer. Le Préfet Bagambiki a décidé d’interdire aux réfugiés du stade tout moyen de s’enfuir hors du Rwanda et les a amenés à Nyarushishi loin de la frontière pour qu’aucun d’entre eux ne puisse s’échapper et rejoindre le Zaïre.
Le 28 avril 1994, des militaires sont venus amener d’autres Tutsi pour les tuer. Les réfugiés se sont réunis et ont décidé de s’enfuir au Zaïre. Vers 3h du matin, ils sont tous sortis du stade et se sont rués vers le Zaïre mais les militaires qui les gardaient les ont interceptés, Bagambiki et des Interahamwe étaient sur leur chemin, et le Préfet leur intima l’ordre de rebrousser chemin. Lorsqu’ils ont commencé à reculer les tueurs ont ouvert le feu sur eux et en tuèrent certains parmi eux, tandis que les Interahamwe les ont attaqués avec des grenades, des machettes, des gourdins. Les survivants ont été amenés à Nyarushishi.
IMANISHIMWE Samuel a été condamné pour crime de génocide par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) à 12 ans de prison.
CONCLUSION
Les massacres de Tutsi ont continué à travers tout le pays, de façon similaire, tout Tutsi devait mourir, la plupart ont été tués en cours de route alors qu’ils fuyaient. A cette date beaucoup d’entre eux ont été tués dans des bâtiments publics, des Communes et dans des églises parce qu’ils croyaient y trouver sécurité. (Fin).
* Dr Bizimana Jean Damascène, Secrétaire Exécutif Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG)