Des Burundais rapatriés de Tanzanie dans le centre de transit de Mabanda, dans la province de Makamba, au Burundi – 24 avril 2018
Les nouvelles autorités de Bujumbura ont « une occasion unique de rectifier le cours destructeur que le Burundi a suivi depuis bien trop longtemps », a déclaré, ce mercredi, Doudou Diène, le Président de la Commission d’enquête sur ce pays d’Afrique de l’Est.
«Le peuple burundais attend des changements significatifs et positifs. Le Conseil des droits de l’homme doit montrer qu’il n’en attend pas moins », a ajouté l’expert onusien. Devant cet organe intergouvernemental de l’ONU basé à Genève, M. Diène a indiqué que « les risques pour l’avenir ne sont pas négligeables » au Burundi malgré l’avènement d’un nouveau pouvoir.
Jusqu’à présent, la Commission n’a pas relevé « de signe d’amélioration tangible de la situation des droits de l’homme malgré les déclarations à cet effet du nouveau Président burundais Évariste Ndayishimiye en fonction depuis le 18 juin dernier.
Etant donné que « l’impunité continue de régner », il est « nécessaire que la communauté internationale continue de suivre avec la plus grande attention les développements relatifs aux droits de l’homme au Burundi », estime la Commission d’enquête. Il s’agit, selon elle, de maintenir un mécanisme international et indépendant qui puisse suivre objectivement la situation dans ce pays.
A en croire M. Diène, la démonstration de cette volonté sera « un élément décisif pour inciter les nouvelles autorités à remédier aux causes profondes des violations des droits humains ». Sans quoi, les cycles de violence qui ont émaillé l’histoire du pays « risquent de se reproduire ».
Une alerte d’autant plus importante que le point marquant du dernier processus électoral avec l’élection présidentielle de 2020, a été « la multiplication des discours haineux et incitant à la violence contre l’opposition politique, y compris par des membres du CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie) ou des autorités locales. « Des propos de haine avec une dimension ethnique, qui ont été tolérés par le gouvernement et ont largement circulé », a regretté le Président de la Commission d’enquête.
Domination de la sphère publique par les « Imbonerakure » dans les zones rurales
Sur le terrain, des exécutions sommaires de personnes soupçonnées de collaborer avec des groupes armés d’opposition ont été commises, notamment dans le cadre d’opérations conjointes entre le Service national de renseignement (SNR) et la Brigade anti-émeute.
Selon la Commission d’enquête, des tortures et des violences sexuelles ont continué à être commises contre des femmes, principalement sous la forme de viols, pour des raisons politiques, même si non directement liées au processus électoral. Dans la plupart de cas, c’était leur mari qui était recherché soit en raison de ses activités politiques, soit parce qu’il avait refusé de rejoindre le CNDD-FDD, ou qu’il était soupçonné de coopérer avec l’opposition armée.
Durant le processus électoral, la politique de la terreur s’est traduite également par une stratégie, visant à « contrôler étroitement la population avant, pendant et après les scrutins ». Des personnes ont été intimidées et menacées pour les forcer à rejoindre le parti au pouvoir ou à voter en faveur du CNDD-FDD.
Selon les enquêteurs de l’ONU, une telle situation est devenue possible par la domination de la sphère publique par les Imbonerakure, notamment dans les zones rurales.
Ces membres de la Ligne de la jeunesse du parti au pouvoir « sont omniprésents sur les collines ayant notamment la mainmise sur les comités mixtes de sécurité humaine établis en 2014, qui sont chargés d’une pléthore de missions, dont la protection de la population ». Et c’est sur cette base qu’ils se substituent quasi-systématiquement aux forces de défense et de sécurité en tout impunité.
Deux Imbonerakure condamnés à 15 ans de prison pour avoir enlevé et tué un opposant
Plus largement, les Imbonerakure restent les principaux auteurs de toutes ces violations, tout comme des agents du SNR et de la police et des autorités administratives locales. Et à l’issue des élections de 2020, en comparaison à la période pré-électorale, la plupart des facteurs de risque sont restés tels quels même si les indicateurs pour chaque facteur de risque ont évolué.
Seul un facteur s’est atténué (le facteur déclencheur) puisque les élections ont eu lieu sans violence de masse. En revanche, la Commission met un bémol avec « les messages ambigus du nouveau Président Ndayishimiye sur les libertés publiques » et son « approche sélective des violations des droits de l’homme qui relativisent de facto ses déclarations en faveur de la lutte contre l’impunité ».
La Commission a néanmoins noté des premières brèches à l’impunité générale depuis la mise en place du nouveau gouvernement. Les enquêteurs ont rappelé la condamnation au mois de juillet 2020 de deux Imbonerakure à 15 ans de prison pour avoir enlevé et tué en mai 2020 Richard Havyarimana, un membre du Congrès national pour la liberté (CNL).
De plus, le 13 août 2020, 13 personnes, dont trois policiers, deux responsables administratifs locaux, un responsable du CNDD-FDD, et sept Imbonerakure, ont été condamnés à des peines allant de cinq à dix ans de prison, pour avoir extorqué et assassiné des ouvriers agricoles burundais qui rentraient de Tanzanie. « Bien que ces procès soient une première étape encourageante dans la lutte contre l’impunité des forces de police, des Imbonerakure et des responsables administratifs locaux et des représentants du parti CNDD-FDD qui n’a que trop duré, ils restent trop rares à ce stade », fait valoir Doudou Diène.
Pour le Burundi, il est temps de « tourner la page » et s’inscrire dans une dynamique de coopération
Pour finir, M. Diène a cité le témoignage d’une réfugiée burundaise rencontrée par la Commission : « Les raisons qui m’ont poussées à fuir […] sont toujours là, ça arrive toujours. Vous avez beau changer le Président, le problème reste. […] ».
Une façon pour la Commission d’enquête de rappeler à Bujumbura que les Burundais ainsi que la communauté internationale attendent désormais « des actions significatives ».
Face à cet obscur tableau décrit par l’équipe de Doudou Diène, le Burundi a naturellement rejeté « un rapport musclé, diffamatoire et insultant ».
« Au regard de ce qui se passe dans le monde, la situation au Burundi n’est pas la plus alarmante pour lui valoir un quelconque mécanisme, n’eut été l’existence d’autres mobiles géopolitiques », a déclaré l’Ambassadeur Rénovat Tabu, Représentant permanent du Burundi auprès de l’ONU à Genève.
Pour Bujumbura, il est temps de « tourner la page et d’entrer dans la logique d’une nouvelle dynamique de coopération, tant avec le système des Nations Unies qu’avec les différents Etats épris de paix et de développement durable pour tous.
Le représentant burundais a ainsi fait état des « progrès énormes » fait depuis 2015 « dans le renforcement, la promotion et la protection des droits de l’homme à tel point qu’il mérite aujourd’hui d’être enlevé sur l’agenda du Conseil des droits de l’homme plutôt que d’être mis au mépris du monde par des rapports répétitifs et politiquement motivés ».
A Genève, le Burundi a demandé une nouvelle fois au Conseil des droits de l’homme « de dépassionner le débat, de reconnaître objectivement que la situation sur le terrain s’est nettement améliorée, que de grands signes positifs sont à l’actif du gouvernement ». Pour l’Ambassadeur Rénovat Tabu, le Conseil doit « accepter de surseoir à cette Commission » et Bujumbura n’entend pas se faire « distraire par les rapports de la Commission ».
« Une commission d’enquête, un bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, ou une procédure spéciale ne sont pas les seuls canaux de coopération avec les Nations Unies », a conclu le Représentant permanent du Burundi, tout en ajoutant qu’il en existe « d’autres plus positifs qui promeuvent les droits humains et l’épanouissement des peuples ». (Fin)