By SOS Médias Burundi*
Leur nombre varie entre 130 et 150. Ils ont été victimes de la fermeture des frontières des deux pays voisins en mars dernier suite au Covid-19. Ces Burundais ont par ailleurs saisi leur ambassade à Kigali pour leur rapatriement, en vain. Gitega leur a refusé l’autorisation spéciale pour franchir la frontière burundaise. Certains demandent déjà asile au Rwanda.
La plupart d’entre eux étaient arrivés au Rwanda en janvier et février 2020. Ils s’y étaient rendus entre autres pour les visites familiales et les raisons médicales. Pour d’autres, ils étaient en mission de travail ou y séjournaient provisoirement en provenance d’autres pays, avant de rejoindre le Burundi.
En mars, les deux pays voisins ont fermé leurs frontières pour éviter la propagation de la pandémie de Coronavirus. C’est ainsi que ces Burundais se sont retrouvés bloqués au Rwanda.
Un groupe de plus de 130 individus concernés par cette situation ont saisi l’ambassade du Burundi à Kigali pour qu’elle les aide à rentrer, en vain.
“En juin, nous nous sommes rendus à l’ambassade et nous avons dressé une liste de plus de 130 personnes. L’ambassade a accepté de plaider pour nous pour que le Burundi nous ouvre la frontière. Nous avons même payé des frais de transport. Par après, le Rwanda nous a donné l’autorisation spéciale de traverser la frontière mais notre pays nous a refusé l’accès. L’ambassade nous a remis les 8.000 francs rwandais par personne, arguant qu’il faudra attendre le jour de la réouverture de la frontière pour pouvoir rentrer », ont témoigné à SOS Médias Burundi des Burundais coincés dans la capitale rwandaise.
À Kigali, la vie devient intenable pour eux. “Nous n’avons plus de moyens pour payer les loyers et d’acheter de la nourriture. Ceux qui étaient venus se faire soigner souffrent doublement. Ils n’ont plus d’argent sur eux pour survivre. La majorité a été accueillie par des familles d’amis. On n’est plus capable de se prendre en charge nous-mêmes », se désolent-ils.
Un problème sur le point de prendre une allure politico-diplomatique
Le week-end dernier, Jean Claude Karerwa Ndenzako, porte-parole du Président burundais Évariste Ndayishimiye a déclaré dans une émission sur « BBC Great Lakes » que « la question de retour des Burundais bloqués au Rwanda doit être analysée par plusieurs ministères clés comme ceux de la sécurité et de l’intérieur, de la santé, des affaires étrangères et de la justice ».
Certains de ces Burundais ont eu peur et ont déjà commencé des démarches pour demander asile au Rwanda.
“Plus de six mois après, je suis sûr que j’ai déjà perdu mon travail de fonctionnaire au Burundi. Et comme le Burundi a déjà indiqué qu’il ne nous reconnaît pas, c’est que notre sécurité peut être menacée une fois au pays. Et d’ailleurs nous sommes dans une maison d’ennemi du Burundi, raison pour laquelle certains d’entre nous ont déjà saisi des autorités habilitées au Rwanda pour demander asile. Notre dossier est en cours de traitement”, ont précisé plusieurs de ces personnes.
Kigali se dit prête à escorter ces Burundais jusqu’à la frontière de leur pays.
“Nous, nous sommes prêts à aider ces personnes à franchir la frontière de leur pays. S’ils sont bloqués toujours ici, ils seront toujours bien traités. Seulement, ce que nous ne comprenons pas, c’est que leur pays refuse de les accueillir. Que donc le Burundi ne continue pas de nous accuser d’avoir empêché ses réfugiés à rentrer du moment que ce pays refuse même d’ouvrir la frontière à ceux-là à qui il a donné l’autorisation de venir se faire soigner chez nous”, a réagi sur cette question le Dr Vincent Biruta qui dirige la diplomatie rwandaise dans un point de presse la semaine dernière.
Conséquences dans les familles à Bujumbura
Des familles séparées éprouvent beaucoup de difficultés. « Ma femme est au Rwanda depuis huit mois. Elle était allée se faire soigner. Quand la Covid-19 est apparue au Rwanda, elle était hospitalisée suite à une opération qu’elle a subie après beaucoup d’examens IRM (que nous n’avons pas au Burundi). Elle est avec ma sœur qui est là comme garde-malade. Des conséquences sont innombrables, je les fais vivre au Rwanda en payant pour eux la nourriture et louant une chambrette. À côté des dettes contractées pour les soins de santé, la famille et les amis m’avaient beaucoup aidé. Mais aujourd’hui, j’ai dû mal à joindre les deux bouts du mois. Je ne peux plus couvrir les besoins au Burundi car ça revient à faire vivre deux familles », a indiqué à SOS Médias Burundi Rugira.
Et de continuer « je ne peux plus contracter un crédit. Ceux qui m’assistaient sont presque au bout de leur capacité. Je ne vois plus sur quel pied danser. Mes deux enfants pleurent quand ils restent seuls à la maison. Ils ne cessent de me dire qu’ils ont besoin de leur maman. Ils ne peuvent même pas remarquer que j’ai perdu 10kg suite au stress. Je ne peux plus dormir convenablement. J’ai horreur d’aller dans notre chambre car mon épouse me manque beaucoup. Les enfants sont obligés de rester à la maison avec mon groom. J’ai dû renvoyer la bonne, faute de moyens pour la payer alors que mes enfants ont moins de cinq ans. Ils ont refusé d’être reçus dans d’autres familles car ils attendent impatiemment le retour de leur mère ».
Et de conclure: «depuis quatre mois, je n’ai pas payé le loyer et le bailleur menace de me chasser. Je trouve cruel le fait que le gouvernement refuse d’accueillir des gens qui sont au Rwanda dans de telles conditions».
Ce n’est pas Rugira seulement qui se désole, le jeune Bigingo qui allait se marier cet été est dans le désarroi total.
« J’ai eu la chance de trouver la personne avec laquelle je voulais partager la vie. Nous avons fait ensemble ce projet de mariage et l’avons fixé pour l’été 2020. Je me suis attelé aux préparatifs et elle a fait la même chose de son côté. Depuis que la Covid-19 a obligé nos pays à fermer les frontières, j’ai continué les préparatifs mais sans avoir accès à l’élue de mon cœur. Une relation à distance, très difficile à vivre et gérer. Le grand jour arrivait mais rien ne changeait », a-t-il révélé.
Pour celui qui a dû ajourner le grand événement de sa vie, «cela a occasionné d’énormes dégâts tant matériels que psychologiques dans notre couple. Nous avions déjà payé une partie pour la salle de réception (de l’argent non remboursable). Ce changement a fait que pour l’instant, le moral tombe au plus bas».
D’autres familles disent ne pas comprendre comment le gouvernement refuse à des Burundais se trouvant au Rwanda de rentrer au moment où ceux qui sont en Ouganda retournent dans leur pays normalement.
Les relations entre le Burundi et le Rwanda se sont détériorées en 2015 suite à la crise déclenchée par un autre mandat controversé de feu Pierre Nkurunziza. Gitega accuse Kigali d’avoir donné refuge à des putschistes qui ont échoué un renversement des institutions et de permettre l’entraînement militaire des rebelles burundais sur son sol ainsi que leur armement.
De son côté, le Rwanda reproche au Burundi d’héberger des membres de groupes d’opposants dont des individus poursuivis pour les crimes de génocide et de faciliter le convoi de rebelles en provenance de l’Ouganda pour se rendre dans leur bastion dans la province du Sud-Kivu, à l’est de la République Démocratique du Congo.
En juillet dernier, le président rwandais Paul Kagame avait déclaré être prêt à renormaliser les relations avec son voisin du sud, ce que son homologue burundais Évariste Ndayishimiye a qualifié dernièrement d’hypocrisie affirmant que «le Rwanda veut mettre une épine dans le pied des Burundais». (Fin)
* La plateforme SOS Média Burundi est un collectif spontané de journalistes burundais qui s’est constitué dans les 48 heures qui ont suivi la destruction des radios lors du putsch en mai 2015, et s’est depuis imposé comme une source incontournable d’information locale.