Avant de tuer massivement les Tutsi du Rwanda, on les déshumanisait en les traitant de «cafards, cancrelats ou inyenzi», juste comme Keny-Claude Nduwimana est train de le prêcher impunément au Burundi
Le journaliste Antoine Kaburahe, diplômé de l’ESJ de Paris, Fondateur du Groupe de Presse Iwacu, écrivain, par une lettre ouverte au Président du CNC (Conseil National de Communication au Burundi), alerte l’opinion sur l’idéologie du génocide que son concitoyen journaliste aussi, Keny-Claude Nduwimana, est entrain de distiller dans les esprits. Lire la lettre :
Monsieur le Président,
Comme citoyen, mais aussi comme journaliste, je prends la liberté de vous interpeller. Depuis plusieurs semaines, un « journaliste », j’emploie à dessein les guillemets, lance ouvertement des messages de haine dans lesquels il traite une partie de la population burundaise de « chiens », de « chacals », de « buveurs de sang » et la liste des qualificatifs n’est pas exhaustive.
Pour lui, les Tutsi sont des « sous-hommes », qui ont « tous les vices », ce n’est pas « un peuple de Dieu », ce sont d’ailleurs des « étrangers » sur le sol burundais… Ce genre de discours dans d’autres temps et d’autres lieux a été souvent le précurseur de grandes tragédies. Dans un brillant essai intitulé « Purifier, détruire », livre que vous connaissez sûrement, le chercheur Jacques Sémelin explique que « le premier indicateur important réside dans le discours : le massacre n’est pas d’abord cet acte atroce ¬ il l’est, il va le devenir ¬, mais il procède avant tout d’un imaginaire, il est ce processus mental qui définit un autre à exclure, à violenter, voire à tuer. » Souvenez-vous du « scorpion » juif, des personnes traitées comme « udukoko, » en 1972 , des « cafards » au Rwanda en 1994 et plus récemment des « chiens » faméliques « mujeri »… Les mots précèdent les massacres. C’est une dynamique bien huilée.
Monsieur le Président,
Cette rhétorique de la déshumanisation à l’égard d’une partie de la population burundaise, les Tutsi, est publiquement assumée par un homme à qui le CNC a octroyé une carte de presse. Ce n’est pas un clandestin qui avance masqué, caché derrière un pseudonyme. Il participe dans des ateliers de journalistes comme dernièrement lors d’une rencontre organisée par la CVR à Gitega. Ce n’est donc pas un inconnu.
Monsieur le Président,
Comment se fait-il que ce « journaliste » dispose encore d’une carte de presse dont vous êtes le garant moral ? La Loi sur la presse vous donne l’autorité de sévir, de retirer « temporairement ou même définitivement » la carte de presse d’un journaliste « défaillant. »
Force est de constater que vous avez une sensibilité très sélective par rapport au respect de la déontologie journalistique et de la Loi sur la presse! Le journal Iwacu qui n’a jamais tenu ce genre de propos a été souvent menacé de fermeture. Vous avez même interdit le forum de discussion des lecteurs sur notre site.
Monsieur le Président,
Je ne me permettrais pas la moindre familiarité, mais je voudrais juste rappeler que dans notre jeunesse, vous et moi avons été nourris d’humanisme et de littérature à l’université du Burundi. Nous avons appris avec le sage abbé Adrien Ntabona que « ururimi rubi rurica ». La mauvaise parole tue. Vous connaissez très bien la force de la parole, écrite ou proférée.
Votre silence par rapport à la parole du « journaliste » Keny-Claude Nduwimana pourrait être interprété comme un soutien, une caution. En laissant cet homme continuer à utiliser une carte de presse délivrée par le CNC, vous la dévaluez.
Monsieur le Président,
Le Burundi a besoin de journalistes intègres, responsables et respectueux de notre déontologie. Les « journalistes » auteurs des écrits ou propos diffamatoires, injurieux, calomnieux ou offensants ne devraient avoir aucune place dans notre corps de métier.
Je garde l’espoir que vous allez faire votre devoir et agir. L’histoire vous regarde.
Avec mes salutations respectueuses. (Fin)