Sosthène Munyemana en 2010 au palais de justice de Bordeaux
Au terme de 6 semaines de procès devant la cour d’assises de Paris en France, Sosthène Munyemana a été condamné à 24 ans de réclusion criminelle pour son rôle dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994.
A l’issue de près de 15 heures de délibéré, tard dans la soirée du 19 décembre, le médecin rwandais a été reconnu coupable de génocide, crimes contre l’humanité, participation à une entente en vue de la préparation de ces crimes, ainsi que complicité de crimes contre l’humanité.
Sosthène Munyemana est un ancien médecin directeur du CHUB (Centre Hospitalier Universitaire de Butare) au sud du Rwanda.
Avant les délibérations qui se sont prolongées toute la journée à huis clos, la parole a été donnée à l’accusé. Il commence par remercier le président pour son écoute, pour lui avoir permis de s’exprimer. « J’ai lutté pour sauver des gens. Je n’ai jamais fait allégeance à qui que ce soit. Avec mes voisins, nous nous sommes opposés de tout notre possible à l’indicible. On a fait de notre mieux, c’était très difficile et très risqué, j’ai pris des risques, tout allait très vite. J’exprime toute ma compassion pour les victimes… J’ai une pensée pour ma famille au Rwanda, particulièrement la famille de ma belle-sœur Tutsi. Je n’ai jamais eu l’occasion de faire le deuil. Je pense à ma femme, à mes enfants, à nos amis, à tout ce que nous avons vécu ensemble pendant 29 ans. Je remercie mon comité de soutien, mes avocats et leurs assistantes pour leurs conseils et leur soutien. »
À la cour: « Je vais vous demander de prendre une décision qui me permettrait de retrouver ma dignité et la communauté rwandaise pour pleurer les nôtres ensemble. »
Le président reprend la parole pour dire à l’accusé qu’il devra rester isolé en attendant le verdict. Sa famille est autorisée à l’accompagner.
Ce n’est qu’après une longue délibération de près de 14h que le verdict est rendu à 0h50: Sosthène MUNYEMANA est condamné à 24 années de réclusion criminelle pour crime de génocide, crime contre l’humanité et entente en vue de la préparation de ces crimes, assortie d’une peine de sûreté de 8 ans. (NDR. Dans 8 ans, il pourra demander sa remise en liberté!) Il a été incarcéré à l’audience. Ses avocats ont décidé de faire appel.
Monsieur le président annonce la publication de la feuille de motivation pour la fin de la semaine et adresse quelques mots au condamné à propos de son rôle à Tumba : « Vous avez participé au génocide sur tout le Rwanda… Médecin, vous avez trahi votre serment… S’agissant d’une peine supérieure à 10 ans, vous allez être incarcéré dès ce soir. »
Dans un réquisitoire de 177 pages, le procureur accusait le Dr Sosthène Munyemana, 63 ans, d’avoir cosigné « une motion de soutien au gouvernement » génocidaire et d’avoir participé au comité de sécurité de Tumba ayant organisé la traque des civils tutsi, durant les deux dernières semaines d’avril 1994, peu après le début des massacres au Rwanda, qui ont fait, entre avril et juillet 1994, plus d’un million de morts, essentiellement parmi la minorité tutsi, mais aussi chez les Hutu modérés.
Il lui reprochait aussi la détention « dans des conditions inhumaines des civils tutsi dans les locaux du bureau de secteur alors sous son autorité », d’avoir relayé « auprès des miliciens les instructions des autorités sur la traque des Tutsi » et d’avoir assuré le transfert de civils détenus vers des « sites de regroupement (…) en connaissance des exactions massives qui s’y déroulaient ».
Conclue en mars 2017, l’information judiciaire liée au procès Munyemana avait été ouverte en 1995 à Bordeaux (sud-ouest de la France) puis transférée en 2001 à Paris.
D’abord témoin assisté, le médecin avait finalement été mis en examen en 2011. Il s’était vu refuser en 2008 sa demande d’asile en raison des soupçons pesant sur lui.
La demande d’extradition formulée par Kigali à son encontre avait été rejetée en 2010. Le Dr Sosthène Munyemana, marié et père de trois enfants, exerce depuis 17 ans comme médecin urgentiste dans un hôpital de Villeneuve-sur-Lot (sud-ouest de la France).
Quelque 25 dossiers liés au génocide des Tutsi du Rwanda sont instruits au pôle « crimes contre l’humanité » du Tribunal de Grande Instance de Paris, créé en 2012 face à l’accumulation des plaintes, plusieurs auteurs présumés s’étant réfugiés en France.
À ce jour, leur travail a débouché sur deux grands procès: celui du capitiane Pascal Simbikangwa, dont la peine à 25 ans de prison pour génocide a été définitivement confirmée, et celui de deux anciens maires rwandais, condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité et dont le procès en appel est en cours.
En novembre 2017, la justice a ordonné un troisième procès aux assises, visant cette fois Claude Muhayimana, un Franco-Rwandais accusé de « complicité » de génocide pour avoir transporté des miliciens auteurs de massacres. L’appel formé contre cette décision doit encore être examiné par la justice. (Fin)