Le procès de Paul Rusesabagina, héros du film “Hotel Rwanda”, et ses 21 co-accusés a repris ce vendredi 26 févier. La séance entendait confirmer ou non la compétence de la Cour pour connaître ce procès.
Paul Rusesabagina, accusé entre autres de terrorisme, avait contesté le droit du tribunal à le juger à l’ouverture du procès le 18 févier. Appelé à la barre pour s’identifier, il avait fait valoir sa nationalité belge. Il avait dit que les tribunaux rwandais n’avaient pas compétence pour le juger, demandant donc d’être renvoyé en Belgique.
Le procureur Bonaventure Ruberwa avait souligné la nationalité rwandaise des parents de M. Rusesabagina et ajouté que ce dernier n’avait jamais renoncé à sa nationalité d’origine. « Le tribunal devrait donc ignorer sa demande”, avait-il estimé.
La Cour a balayé ce vendredi l’argument de l’accusé. Elle a cité l’ article 42, alinéa 2 de la loi de 2018 qui institue la Chambre Spécialisée avec pleins pouvoirs de juger toute personne y compris les étrangers, un individu ou une association poursuivi pour des crimes commis au Rwanda.
La Cour a ajouté que ce crime commis sur le territoire rwandais est aussi réprimé par les lois belges. Par conséquent, a conclu le greffier, « Il n’y a aucune raison que le procès soit relocalisé pour la justice belge surtout que les crimes commis par l’accusé se sont déroulés sur le territoire rwandais ».
Après avoir jugé l’objection de Rusesabagina sans fondement, le juge a demandé que le procès se poursuive. Une décision contestée par Rusesabagina et ses deux avocats. Ces derniers ont dit qu’ils d’autres objections et qu’ils ont donc besoin de suffisamment de temps pour les soumettre.
Le juge président Antoine Muhima a déclaré que l’accusé a le droit de se voir accorder le temps de présenter son objection, mais l’a exhorté à expliquer la nature de cette objection.
Rusesabagina et son avocat ont insisté pour qu’ils aient plus de temps pour déposer la soumission par écrit, ajoutant que l’objection découlait de la décision concernant la contestation de la compétence.
Le parquet a déclaré que le tribunal ne devrait pas agir sur la base d’un argument abstrait, pressant Rusesabagina et son avocat de faire part de leur objection.
Après délibération, le juge a décidé de donner à Rusesabagina cinq jours pour soumettre son objection, affirmant que le tribunal se réunira de nouveau la semaine prochaine le 3 mars.
L’affaire est jugée par la Chambre spécialisée pour les crimes internationaux et transfrontaliers de la Haute Cour basée à Nyanza au sud du Rwanda.
Mais elle a dû être transférée à Kigali où il y a des salles d’audience plus larges pour accueillir tous les accusés et les autres parties, et en même temps assurer la distanciation sociale. On notait parmi les participants à la séance, le diplomate belge en poste à Kigali.
Le héros du film “Hôtel Rwanda” a été inculpé de 13 chefs d’accusation, dont le terrorisme, formation et financement des mouvements rebelles, l’incendie criminel, l’enlèvement et le meurtre perpétrés contre des civils rwandais non armés et innocents sur le territoire rwandais.
Ces 13 chefs d’accusation sont liés aux activités des FLN (Forces de Libération du Rwanda), la branche armée du MRCD (Mouvement Rwandais pour le Changement Démocratique) dont il est co-fondateur.
Le groupe FLN est affilié aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe rebelle basé en RDC qui mène des attaques au-delà de la frontière contre les forces rwandaises.
Rusesabagina a insisté sur le fait qu’il n’avait aucune connaissance directe des atrocités que les FNL avaient commises. Il a dit qu’il ne s’occupait que de la diplomatie du MRCD et que la branche armée était dirigée par son collègue, le «général» Wilson Irategeka.
Wilson Irategeka dirigeait le CNRD, un groupe dissident des FDLR. Il a été tué en décembre de l’année dernière lors d’une offensive contre des groupes armés par les forces armées congolaises.
“Nous avons formé le FLN comme un bras armé, pas comme un groupe terroriste comme le dit le procureur. Je ne nie pas que le FLN a commis des crimes, mais mon rôle était la diplomatie”, a dit Paul Rusesabagina.
“L’accord que nous avons signé pour former le MRCD, comme une plateforme politique, incluait la formation d’un bras armé appelé le FLN. Mais mon rôle était de travailler pour cette plateforme politique et j’étais en charge de la diplomatie”, a-t-il ajouté.
Paul Rusesabagina,-devenu opposant farouche au régime du président rwandais Paul Kagame-, dispose d’une notoriété mondiale depuis qu’un long-métrage hollywoodien – Hôtel Rwanda – a mis en lumière son action lors du génocide de 1994 au Rwanda.
Paul Rusesabagina a sauvé la vie de plus de 1200 personnes qui s’étaient réfugiés à l’Hôtel des Milles Collines à Kigali dont il était le gérant intérimaire durant les cent jours du génocide en usant de son influence auprès des miliciens génocidaires. Mais le gouvernement rwandais conteste l’histoire de Paul Rusesabagina telle que présentée dans le film “Hôtel Rwanda” et l’accuse d’imposture.
Le 31 août, Paul Rusesabagina avait été présenté par la police menotté à Kigali alors qu’il vivait en exil aux États-Unis et en Belgique depuis 1996. Les autorités rwandaises affirment qu’il est retourné de son propre chef au Rwanda et il a été cueilli comme un fruit mur à l’aéroport international de Kigali.
Ses soutiens pensent qu’il a été enlevé au cours d’un voyage à Dubaï, estimant qu’il ne serait jamais retourné de lui-même au Rwanda où il se savait activement recherché. Ils sont par ailleurs convaincus que les charges retenues contre lui sont purement politiques.
Human Rights Watch (HRW) a estimé dans un communiqué que Rusesabagina avait été victime d’une “disparition forcée” dont les autorités rwandaises devraient répondre de manière exhaustive. Le président rwandais, Paul Kagame, a démenti qu’il ait été enlevé, mais laissé entendre qu’il pourrait avoir été trompé sur sa destination finale.
Dans une interview au New York Times, réalisée dans sa cellule en présence de deux officiers rwandais, Rusesabagina a dit qu’à Dubaï il pensait embarquer dans un jet privé à destination du Burundi, et non du Rwanda. (Fin)