L’auteur: Gaël Faye
Deux jours consécutifs ont aidé à comprendre que le roman « Jacaranda » du jeune écrivain Gaël Faye décrit la métamorphose ou la transformation du Rwanda.
Le premier jour de Jeudi le 03 Octobre 2024 à la Librairie Publique de Kigali, a été consacré à une série de questions à l’auteur pour comprendre l’œuvre et l’auteur. Tandis que la 2ème soirée suivante du 04 Octobre à l’Institut Français s’est focalisée sur la lecture des extraits de l’ouvrage.
D’emblée, l’on doit savoir que Gaël Faye auteur-compositeur, interprète, rappeur, poète, écrivain est né en 1982 à Bujumbura d’une exilée rwandaise et d’un père français. Dans son premier roman Petit Pays, qui est le Burundi où l’auteur a grandi, on y voit un jeune métis évoluant entre deux cultures dont il est issu. Une culture française dominatrice et une africaine. L’auteur qui est métis est considéré dans la société comme blanc, jouissant d’une aisance matérielle. Mais quand il arrive en France, les autres élèves l’appellent le « black ». Des contradictions sur son indenté surgissent en lui. Il a de la peine à les expliquer.
N’empêche. Tous les métis au Burundi ne mènent pas une vie aisée. « Car, dit-il, je connais des métis au Burundi, discriminés, pauvres, ne jouissant pas d’une aisance matérielle propre aux Blancs ou à une catégorie d’Africains nantis ».
L’ouvrage
Ainsi, métissage signifie un mélange, ou une résultante. Dans la cité globalisée, c’est un brassage enrichissant. Être métis, c’est avoir son vécu. Chaque personne a son vécu en fonction de sa trajectoire. Parmi les métis exclus et marginalisés, l’on peut citer les métis de Save qui sont des enfants arrachés à leurs mères noires, puis envoyés très loin en Europe. Un réel drame historique, toujours selon Gaël Faye.
Gaël Faye est aussi un musicien compositeur qui se produit sur scène. Pour mener une double carrière littéraire et musicale, la discipline s’impose.
« Il faut rester curieux, continuer à éditer sa musique. Etre à Kigali et dire aux amis qu’on n’y est pas, et puis s’enfermer. Créer demande une forme de mégalomanie aussi. Il faut parvenir à gérer ces deux tensions. Se parler à soi. Un silence qui oblige à écouter soi-même. Le roman est une aventure solitaire. Le lire signifie suivre une aventure », confie encore Faye.
Le roman « Jacaranda »
Il est en partie autobiographique. La fiction consiste à y aborder des situations vraisemblables. Il suffit d’avoir la capacité d’observation et du détail pour emmagasiner ce qu’on a vécu pour enfin le transposer dans le roman.
« J’écris un roman pour raconter une histoire vraisemblable, qui n’est pas vraie », dit l’auteur, qui ajoute : « Ce qui m’intéresse, c’est le retour d’exil de ma mère depuis 26 ans. La rencontre avec ma grand-mère provoque une charge émotionnelle. Il s’agit de métaboliser les faits ».
Quand il explique le titre de l’ouvrage « Jacaranda », Gaël Faye dit que le jacaranda est « un arbre tutélaire qui porte, des racines aux branches jusqu’aux fleurs, l’idée de transmission ». « C’est aussi, précise-t-il, un arbre porteur de secrets, un arbre protecteur. Il est aussi comme une borne stable dans un monde sens dessus dessous. » Le jacaranda signifie donc la métaphore symbolique du Rwanda.
Vue de la salle Librairie Publique de Kigali
« Autobiographique non, je suis très loin de Milan, le héros. Il y a bien sûr quelques éléments de ma propre vie. C’est une œuvre tissée de faits réels et vraisemblables. Tout ce qui est dans le livre a existé, existe ou existera, d’une manière ou d’une autre à travers des générations », poursuit Faye.
Quels secrets cache l’ombre du jacaranda, l’arbre fétiche de Stella ?
Il faudra à son ami Milan des années pour le découvrir. Des années pour percer les silences du Rwanda, dévasté après le génocide des Tutsis. En rendant leur parole aux disparus, les jeunes gens échapperont à la solitude. Et trouveront la paix près des rivages magnifiques du lac Kivu.
Sur quatre générations, avec sa douceur unique, Gaël Faye nous raconte l’histoire terrible d’un pays qui s’essaie malgré tout au dialogue et au pardon. Comme un arbre se dresse entre ténèbres et lumière, Jacaranda célèbre l’humanité, paradoxale, aimante, vivante.
Les personnages de Jacaranda ne livrent pas de messages politiques. L’auteur fait parler ses personnages qui plongent dans le silence sur des sujets tabous. Parfois pour protéger son enfant, une mère préfère le silence face à des sujets embarrassants, tabous, par peur de ne pas engager son enfant dans l’erreur ou le danger.
L’autre thème qui revient est celui des traumas consécutifs au génocide. « Pendant que j’étais invité à chanter lors de la commémoration du génocide, des scènes de trauma et de râle ont eu lieu au stade Amahoro de Kigali. Des victimes de trauma ont été évacuées. Pour connaître ce genre de scène, il faut être sur place. Au Rwanda, il y a des réalités que l’on connaît quand on vit dans le pays. Quand on est une seule fois dans un pays, on croit qu’on connaît la vérité. Mais quand on y reste, on se rend compte qu’il y a des réalités qu’on ne comprendra jamais », confie toujours Gaël Faye.
Avec Jacaranda, loin de l’exil, l’auteur narre le quotidien de Milan, héros du livre, et jeune Franco-rwandais qui a quitté Versailles pour s’installer dans le pays natal de sa mère.
Roman de quête des origines ? Pas vraiment. Milan se rend pour la première fois au Rwanda presque sous la contrainte. Son regard est d’abord celui d’un étranger, focalisé sur les “rigoles d’eaux sales et usées” ou sur “l’odeur nauséabonde” des sanitaires. L’intérêt qu’il nourrit pour le pays ne vient ainsi pas d’une volonté de le faire sien. Jacaranda est un récit sur l’attachement, l’amitié. Ce sont des relations fortes qui mènent le jeune garçon à s’interroger et donnent à ce roman ses plus beaux passages ainsi que, peut-être, sa plus grande conviction : il faut être prêt à comprendre pour pouvoir correctement aimer.
En arrivant au Rwanda, Milan ignore tout de l’histoire nationale. Le tabou autour de la situation politique et du génocide est immense. L’apprentissage de Milan se fait alors au fil des brèches laissées ouvertes par son entourage, autant de témoignages qui constituent une fresque intime et bouleversante. Jacaranda, dont l’intrigue s’étend sur vingt-six ans, est un tâtonnement vers la compréhension d’un récit familial qui dévoile, en filigrane, la terrible histoire du pays.
Sans jamais négliger la fiction, Gaël Faye offre ainsi un livre d’une grande pédagogie autour d’événements souvent méconnus dans le monde. L’auteur explore les racines coloniales du génocide des Tutsis, remonte l’histoire politique, religieuse, et s’intéresse aux lendemains, aux traumatismes de la population. Publié à l’occasion de la commémoration du trentième anniversaire du génocide du Rwanda, Jacaranda demeure un livre important, à ne pas manquer. (Fin)