Poste frontière de Ruhwa entre le Burundi et le Rwanda
Le Rwanda a rouvert ses frontières terrestres après deux ans de fermeture suite à la pandémie de Covid-19. Mais sa frontière avec le Burundi reste fermée.
D’après le Collectif SOS Médias Burundi qui a réalisé ce dossier, le ministre burundais en charge des relations extérieures parle de «négociations» qui doivent aboutir. Des habitants des provinces frontalières ne décolèrent pas.
C’est le conseil des ministres qui a décidé la réouverture des frontières terrestres du pays des mille collines vendredi dernier. Une des mesures prises par les autorités rwandaises après avoir constaté une régression significative des cas Covid-19 et un nombre intéressant de gens vaccinés contre la maladie dans le pays.
Depuis lundi, le Rwanda a donc ouvert ses frontières terrestres avec le Burundi, l’Ouganda et la Tanzanie, celle avec la RDC étant déjà fonctionnelle.
Depuis l’annonce, les Burundais et les Rwandais, vivant au pays ou non espéraient une ouverture automatique avec le voisin du sud. Ce n’est pas le cas et ce n’est pas surprenant.
Une barrière au poste frontière de Ruhwa
«Chaque pays prend ses décisions de façon souveraine. Si la République sœur du Rwanda a pris la décision d’ouvrir ses frontières, c’est une décision que nous apprécions mais pour le cas du Burundi, cette décision n’est pas encore prise», a annoncé Albert Shingiro, le patron de la diplomatie burundaise lundi sur la radio nationale du Burundi.
Et de préciser «[…], nous sommes en train de normaliser les relations avec le pays frère, le Rwanda, le dialogue est très avancé à plusieurs niveaux. Nous y travaillons encore, le jour où ce processus de normalisation prendra fin nous vous mettrons au courant sinon à ce stade les frontières du Burundi avec ce pays sont encore fermées. Nous pensons qu’à un certain moment ces frontières seront rouvertes mais pour le moment la décision n’est pas encore prise».
Cette décision est plus que sollicitée par les habitants des provinces frontalières des deux sœurs nations de la région des Grands-Lacs d’Afrique.
SOS Médias Burundi a visité la frontière commune de Ruhwa (séparant la province de Cibitoke nord-ouest du Burundi et le district de Rusizi, en province de l’ouest du Rwanda).
Alors qu’ils s’attendaient à la libre circulation des biens et des services entre les deux pays comme avant 2016, le constat a été que seul le Rwanda était prêt.
Au poste frontière de Ruhwa, des Burundais qui voulaient se rendre au Rwanda se sont vus refuser le passage par des policiers attachés à ce poste.
«J’avais contracté des dettes et j’ai acheté des oranges et mandarines, j’allais les vendre au Rwanda comme je le faisais avant la fermeture des frontières. Arrivé à la frontière, la police m’a dit de ne pas m’approcher de la barrière car, disent des policiers la frontière est fermée», se désole un commerçant de la commune de Rugombo, en province de Cibitoke.
Lui et ses compagnons de la commune de Mugina espéraient aller vendre leurs marchandises dans un marché de Bugarama (au Rwanda). Les jours du marché sont les lundi et jeudi.
Un élu collinaire qui s’est confié à SOS Médias Burundi plaide pour la réouverture de la frontière pour permettre «à nos gens d’écouler leurs marchandises au Rwanda car il y a un grand bénéfice, la valeur de la monnaie rwandaise étant trois fois supérieure à celle du franc burundais».
Des Rwandais, surtout commerçants transfrontaliers ne décolèrent pas non plus. «Nous espérions pouvoir traverser la frontière pour aller vendre des biens et services au Burundi et revenir avec des produits burundais comme il en était d’usage mais voilà que la frontière reste fermée. Les deux gouvernements devraient vider cette question pour le bien des populations des zones frontalières surtout», ont indiqué des Rwandais qui pratiquent le commerce transfrontalier, la majorité étant constituée de femmes.
Dans les régions frontalières, plusieurs familles ont aussi un membre de l’autre côté de la frontière, des mariages entre Rwandais et Burundais dans ces zones étant fréquents. Avec la détérioration des relations entre les deux pays, un haut gradé rwandais a défendu les Rwandais de s’unir avec des Burundais pour «éviter des ennuis».
Même situation à Gasenyi-Nemba
Sur la frontière Gasenyi-Nemba (séparant la province de Kirundo au nord du Burundi et le district de Bugesera dans la province de l’est du Rwanda), à 11h, rien ne se passe. L’ouverture des frontières se raconte comme une histoire.
“Depuis le matin, moi et mes amis, nous sommes ici pour attendre des passagers et les transporter vers Kigali. Mais, personne ne vient. Personne ne traverse la frontière, en fait”, indiquent des motards, campés sur la frontière coté Rwanda.
Des commerçants transfrontaliers burundais rentrent à la maison après avoir été refusés l’accès au territoire rwandais
A midi moins quelques minutes, une réunion est organisée entre les officiels de l’immigration burundaise et rwandaise. Conclusion, “Gitega n’a pas encore ouvert sa frontière”, apprend-on de ces services.
Du côté du Rwanda l’on signale que tout est prêt et que celui qui veut franchir la frontière est libre.
Cinq Burundais, quatre jeunes hommes et une femme tentent de rentrer chez eux. Les services burundais leur refusent l’accès. Explication: “Vous allez retourner chez vous au Rwanda pour attendre les décisions de notre gouvernement».
Ils bloquent aussi des Rwandais qui veulent rentrer dans leur pays en provenance du Burundi.
Même si le ministre Shingiro n’a pas précisé les points sur lesquels portent les négociations, en août 2021, le tout puissant Premier Ministre burundais Alain Guillaume Bunyoni avait accusé le Rwanda de «ne pas faire mieux pour ce qui est de l’extradition des Burundais recherchés par la justice de leur pays à commencer par le général Godefroid Niyombare (numéro un dans l’affaire du coup d’Etat raté de mai 2015) et ses collaborateurs accueillis par le Rwanda».
Et dans une émission publique des porte-paroles du gouvernement et des institutions étatiques, la porte-parole du ministère en charge des relations extérieures avait aussi été on ne plus clair sur la question de la réouverture des frontières avec le voisin du nord. «Elle est conditionnée par l’extradition des putschistes», avait-elle répondu début octobre dernier.
Le Burundi a fermé ses frontières terrestres et maritimes avec le Rwanda en 2015, l’accusant d’avoir donné refuge à des putschistes qui ont tenté de renverser le pouvoir de feu président Pierre Nkurunziza en mai 2015 après que ce dernier ait brigué un autre mandat controversé, et d’entretenir des groupes armés d’origine burundaise et permettre leur entraînement et recrutement sur le sol rwandais entre autres, ce que les autorités rwandaises ont toujours nié.
La semaine dernière, la ministre de la Justice et le procureur général du Burundi se sont rendus à Kigali. Ils ont échangé avec leurs homologues rwandais sur des questions épineuses notamment celle relative à l’extradition des présumés putschistes du coup d’Etat raté de 2015, une des questions qui doit être vidée avant la réouverture des frontières.
“C’est d’ailleurs l’un des objectifs de notre mission ici. Nous devons nous assurer qu’aucun pays ne soit refuge de criminels venant de l’autre côté. Du moins, de façon permanente”, a insisté la ministre Domine Banyankimbona.
La question a d’ailleurs été débattue à huis clos. “La question relative à l’extradition de présumés criminels dont font partie les putschistes a été soulevée. Les deux parties ont constaté qu’elle a été discutée dans d’autres forums et niveaux, et donc que la question reste pendante pour être analysée au fur et à mesure des progrès des relatons diplomatiques”, a précisé Providence Umurungi, chargée des crimes internationaux au ministère de la justice au Rwanda, lisant un communiqué final de la rencontre. (Fin)