L’écrivain Bruno Boudiguet
A la veille de la 30ème Commémoration du Génocide des Tutsi du Rwanda, l’écrivain Bruno Boudiguet (B.B.) présente son troisième ouvrage « Qui a traversé la nuit peut la conter » axé sur le Génocide des Tutsis et qui est un important volume de 1900 pages. Il a accordé une interview à André Gakwaya de l’Agence Rwandaise d’information (ARI). Il a écrit aussi : “Françafrique 2012, la bombe à retardement” Aviso, 2012 ; “Vendredi 13 à Bisesero”, Aviso, 2014 ; “Le génocide des Tutsi à Kibagabaga. Une mémoire bafouée.” Izuba, à paraître en 2024. Lire son interview :
ARI- Pouvez-vous nous parler de votre prochain ouvrage sur le génocide perpétré contre les Tutsi, intitulé provisoirement “Qui a traversé la nuit peut la conter” ?
B.B. – Mon dernier ouvrage datait de 2014, il m’a donc fallu dix ans pour accoucher du suivant, mais il s’agit là d’un volume beaucoup plus important, correspondant à peu près 18 ouvrages en nombre de signes, et contient 1900 pages en format A4. Commencé en 2012, il est terminé et en cours d’édition. Il s’agit de la quasi première* étude globale de l’exécution du génocide des Tutsis rwandais en 1994.
ARI- Pouvez-vous nous parler de la genèse de votre ouvrage ?
B.B. – À partir d’enquêtes précédentes, je me suis rendu compte de l’importance des armes de guerre dans le processus d’extermination dans la préfecture de Kibuye. Cela m’a donné l’idée d’enquêter sur d’autres préfectures, à partir des années 2012-2013. Mais le plus gros de l’enquête de terrain s’est déroulé en 2022-2023, où j’ai obtenu une autorisation du MINUBUMWE, du Conseil national scientifique et technique (requérant l’aval de deux doyens universitaires), ainsi que du Comité d’éthique dépendant du ministère de la Santé. Nous avons établi, avec cette dernière organisation, un protocole pour les entretiens avec les personnes rescapées, afin que celles-ci se sentent en toute confiance dans le processus parfois difficile de livraison de témoignages.
ARI- Quelles sont les zones couvertes par votre étude ?
B.B. – J’ai passé en revue les 130 ex communes de la zone gouvernementale d’alors, et essayé de documenter 300 sites où ont eu lieu des massacres de masse du génocide en interviewant 600 témoins (à 95% des rescapés) et en citant 400 autres témoignages publics.
L’ouvrage est agrémenté de plus d’une centaine de cartes, c’est-à-dire une carte par commune, contenant à la fois secteurs et cellules d’antan, ainsi que des cartes de Kigali, Butare, Kabgayi et Gisenyi. Sur ces cartes sont superposées l’ancienne structure administrative créée après l’indépendance et la nouvelle, issue de la réforme de 2006. Les principaux sites du génocide sont bien entendu indiqués. J’ai aussi inséré plus de 400 photos de sites et mémoriaux, et quand vous feuilletez le tout, cela vous donne tout de suite une idée de l’ampleur du drame.
ARI- Quelles sont les nouveautés proposées dans votre ouvrage ?
B.B. – Sont documentés un grand nombre de sites quasi absents de la bibliographie sur le sujet, avec un focus sur les armes de guerre utilisées lors des massacres, en quoi elles furent déterminantes, tant la résistance civile des Tutsi était importante et efficace. Les machettes et autres gourdins ont toujours été au centre des récits, mais qui a entendu parler d’hélicoptères, de bombardements de collines, de mitrailleuses et autres armes lourdes, en plus des kalachnikovs et des grenades ? Le cœur de cette œuvre, ce sont aussi les témoignages, peu souvent reproduits au profit de synthèses, d’où le titre ”Qui a traversé la nuit peut la conter”. Dans la conclusion, je présente des données et des statistiques encore jamais produites sur ce crime d’État, un des plus importants du XXème siècle.
ARI- Quand pourrons-nous nous procurer votre ouvrage ?
B.B. – La date de sortie n’est pas encore connue, même si ce sera sans doute cette année (les temps de l’édition sont beaucoup plus longs que ceux du journalisme), mais je peux d’ores et déjà, outre l’expérience vécue lors de la fabrication de cet ouvrage, exposer les résultats des travaux de mes recherches lors de cette 30ème commémoration. Je prépare d’ailleurs un article/dossier pour le 7 Avril prochain, se voulant à la fois didactique, percutant et un condensé des bonnes feuilles de ce livre.
ARI- Votre étude ne part bien sûr pas de zéro. Sur quels ouvrages existants vous êtes-vous basé ?
B.B. – Le “rapport Rousseau” comme il est communément appelé, le premier tour d’horizon des massacres en vue d’identifier les besoins en mémoriaux, paru en février 1996, a été un des fils rouges de cette enquête. L’étude d’African Rights parue en 1994/1995 était déjà très extensive (1 200 pages) et le rapport de la FIDH/Human Rights Watch, qui fait encore autorité, démontre la mécanique du génocide, les responsabilités politiques, en se focalisant de plus sur trois sites. Enfin, la CNLG (devenue MINUBUMWE depuis), dans un ouvrage sur la préparation et l’exécution du génocide perpétré contre lesTutsi présente des synthèses inédites et chronologiques d’un très grand nombre de sites. Ce travail est le plus cité dans mon ouvrage, car l’équipe dirigée par M. le Ministre de l’Unité nationale et de l’Engagement civique, le Dr Jean-Damascène Bizimana, a fourni un travail de longue haleine sur un très grand nombre de sites du génocide perpétré contre les Tutsi, grâce notamment à un maillage régional fort.
Je tiens également à saluer l’ensemble de l’administration locale (districts, secteurs, cellules) qui, outre leur accueil chaleureux, m’ont grandement facilité la tâche, parfois en alléguant un espace dans leurs bureaux afin que les rescapés se sentent en confiance lors des entretiens.
ARI- Quid des associations de rescapés ? Y a-t-il eu une collaboration avec elles ?
B.B. – J’ai principalement travaillé avec les présidents de districts d’Ibuka, qui ont connaissance essentielle du terrain et à qui je soumettais des idées de sites que je connaissais déjà. Ils ont été d’une grande aide. J’ai assisté, pendant l’enquête, au renouvellement des générations au sein de cette association, un passage de témoin très important en vue de faire perdurer cette association qui se bat pour la mémoire de ce génocide et pour le bien-être des personnes rescapées. J’ai également, entre autres, travaillé avec Josiane Umulisa, du GAERG, qui anime de nombreux ateliers avec les survivants, dans un grand nombre de districts, sans oublier Ignatiana Mukarusanga, universitaire et psychologue désormais à la retraite. (Fin)
Le titre de l’ouvrage