Mohamed Mbougar Sarr (MMS), le Jeune écrivain Sénégalais très talentueux et Prix Goncourt 2021 avec son roman « La Plus Secrète Mémoire des Hommes » a participé à la Rencontre Internationale du Livre Francophone organisée du 01 au 04 Mars 2023 à Kigali par l’Institut Français. Dans une interview exclusive sur son œuvre accordée à André Gakwaya de l’Agence Rwandaise d’Information (ARI), Sarr livre son secret sur la maîtrise de l’écriture et affiche son impression de sidération face au cannibalisme tropical en cours en RDC et dont est maintenant victime le congolaise rwandophone Tutsi. Lire son interview :
Mohamed Mbougar Sarr (MMS) – Je suis Mohamed Mbougar Sarr. Je suis sénégalais. Je suis né en 1990. Je vais avoir bientôt 33 ans. Et je suis écrivain. J’ai publié 4 romans. Mon dernier roman “La plus secrète mémoire des hommes” a reçu le Prix Goncourt 2021. Voilà.
ARI – Les trois autres romans sont ?
MMS – Le premier s’appelle “Terre ceinte”, le deuxième “Silence du chœur” et le troisième “De purs hommes” qui ont été publiés en 2014 et 2018.
ARI – Vous avez commencé à écrire à quel âge ?
MMS – J’ai commencé à écrire autour de 20 ans. Et mon premier roman a été publié quand j’avais 24 ans.
ARI – 24 ans. Alors avoir un prix Goncourt comme écrivain africain, ce n’est jamais facile. Vous êtes un écrivain talentueux. Talentueux. Vraiment. Alors, quel est votre secret pour maîtriser les techniques d’écriture, pour proposer un récit si captivant, qui acquiert l’universalité et la consécration mondiale? Comment ça s’est fait.
MMS – Eh. Je ne sais pas. Quand je dis je ne sais pas, c’est que je ne sais pas seulement en dehors du travail, le travail, la patience, l’humilité, mais aussi l’ambition à chaque fois de se dépasser, d’aller un peu plus loin de roman en roman. Ce qui est plus important, c’est d’être bien préparé. Et la préparation se joue à plusieurs niveaux. Elle se joue dans l’éducation, mais elle se joue dans le goût personnel qu’on a pour la lecture. Je trouve que c’est depuis tout jeune que je lis, j’écoute des contes traditionnels de chez moi, depuis tout jeune j’ai une grande attention pour la culture, pour les livres, pour la sensibilité artistique. Je crois que c’est tout ça. C’est avec tout ça que j’écris aussi. Donc, je n’ai pas de secret. Je n’ai pas de recette. L’écriture n’est pas qu’une technique. C’est aussi un parcours, une histoire, une sensibilité qui se forme dans le temps. Mais s’il y a un conseil à donner, c’est vraiment de lire énormément pour se forger sa propre voie. Le fait que j’ai obtenu ce prix ne fait pas de moi … je vais dire qu’avant moi, il y a eu de grands écrivains africains, extrêmement talentueux qui auraient pu l’avoir. Moi je l’ai eu. Il y a évidemment une part de travail, mais il y a certainement aussi une part de chance. Je ne sais pas. Mais en tout cas, je suis très heureux de l’avoir. Et c’est un prix dont je partage la joie avec toutes les personnes qui aiment la littérature. Voilà.
ARI – Alors quelles études avez-vous faites ? Vous avez fait l’Université n’est-ce pas ?
MMS – Oui.
ARI – Et quelles études avez-vous faites à l’Université ?
MMS – J’ai fait des études de littérature et de philosophie.
ARI – Trois ans ou quatre ans ?
MMS – Alors j’ai fait cinq ans de littérature et de philosophie.
ARI – Est-ce que vous avez fait une maîtrise quelque part ?
MMS – Oui. Une maîtrise de littérature et de philosophie.
ARI – Vous n’avez pas envie de poursuivre pour faire un PhD ?
MMS – C’est fini. J’ai commencé mon PhD en littérature. Et puis je l’ai arrêté pour écrire.
ARI – Pour écrire. C’était dans quelle Université ?
MMS – C’était à l’Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris.
ARI – Où est-ce que vous vivez maintenant ?
MMS – Je vis en France.
ARI – Qu’est-ce que vous faites en France ?
MMS – J’écris.
ARI – Vous avez pris votre métier….
MMS – Oui.
ARI – Est-ce que vous n’enseignez pas ?
MMS – Non.
ARI – Vous écrivez seulement ?
MMS – Uniquement.
ARI – Vous vivez de votre plume ?
MMS – Oui.
ARI – Vivre en France et vivre de sa plume, est-ce que c’est facile ? Ça rapporte de l’argent ?
MMS – Non. Ce n’est pas facile. Parce que, en tout cas, ce n’est pas facile avant le Goncourt. Évidemment après le Goncourt, c’est plus facile. Parce que ça génère beaucoup de ventes. Ça génère plus de tranquillité aussi du côté matériel. Parce que c’est un prix qui est tellement prescripteur à travers le monde tellement que oui l’auteur gagne aussi de l’argent, de quoi être tranquille quelques années. Mais avant de publier le Goncourt, je ne travaillais pas à côté, je n’enseignais pas. Donc, c’était une vie assez précaire, mais qui était aussi très intéressante parce que je vivais toujours dans une sorte de tension qui peut aussi être créatrice. Voilà. Mais c’est le choix que j’ai fait parce que j’ai trouvé que je n’avais pas la capacité. D’autres l’ont. Moi, je n’ai pas la capacité de faire deux choses en même temps, intellectuellement. J’avais donc vraiment besoin de me concentrer, de mobiliser tout mon être, de concentrer toute ma sensibilité, tout mon esprit dans l’écriture. Donc, j’ai fait ce choix-là. C’était un pari. Et puis il a à mon sens payé avec le prix. Mais, ce n’est pas pour autant que je déteste l’enseignement. J’aime beaucoup l’enseignement. Je l’ai fait quelques années, mais vraiment dans le cadre de mon doctorat. C’était vraiment une charge d’enseignement. Mais ce sont des choses que j’aime, la transmission.
ARI – Est-ce que vous êtes marié ?
MMS – Non. Pas encore.
ARI – Vous êtes parti vivre en France à quel âge? Il y a combien d’années ?
MMS – A19 ans.
ARI – A 19 ans. Donc la maîtrise vous l’avez obtenue là-bas ?
MMS – Oui.
ARI – Vous avez commencé à écrire justement quand vous étiez en France ?
MMS – Oui.
ARI – Et les parents sont restés au Sénégal.
MMS – Oui.
ARI – Sans doute, il y a des influences que vous avez eues, qui vous ont marqué, qui ont fait que vous puissiez maîtriser une bonne stylistique, que vous puissiez maîtriser une bonne conduite de la pensée. Mais aussi que vous puissiez avoir suffisamment de force dans votre action. Alors dites-moi les meilleurs auteurs que vous avez pu fréquenter ?
MMS – C’est une question que je redoute toujours parce qu’il en a beaucoup. Évidemment comme il y en a beaucoup, je n’aime pas en oublier. Nécessairement…
ARI –Les meilleurs
MMS – Mais il y en a beaucoup qui sont meilleurs. C’est difficile de les hiérarchiser à un certain niveau. Qu’est ce qui me permettrait par exemple de dire que Dostoïevski est supérieur à William Faulkner. C’est-à-dire sous quel critère ? C’est vraiment des questions de sensibilité personnelle. Qu’est ce qui me permettrait de dire que Yambo Ouologuem serait moins pertinent pour moi.
ARI – Avec “Le devoir de violence”
MMS – Oui avec “Le devoir de violence” serait moins pertinent pour moi qu’un auteur comme Joseph Quesnel par exemple…Oui. Donc dans mon panthéon, dans ma bibliothèque. il y a beaucoup d’auteurs qui ont compté. Ces auteurs sont des auteurs africains, mais aussi des auteurs qui viennent du monde entier. J’ai donné quelques noms comme ça, tous ces noms-là comptent pour moi. Et je pourrais en rajouter un certain nombre. Eh Roberto Bolaño, mais aussi Mishima, mais aussi Mongo Beti, mais aussi Ferdinand Oyono mais aussi Ayi Kwei Armah, mais aussi Ken Bugul, mais aussi Sylvia Plath, mais aussi Virginia Woolf, mais aussi Henry James, mais aussi Boubacar Boris Diop, ça peut aller à l’infini, Senghor, Césaire. Mais disons que ce qui est important pour moi toujours, c’est qu’une bibliothèque soit toujours en tension. Quand je dis en tension, c’est qu’elle soit toujours un dialogue entre des auteurs d’air diffèrent, de cultures différentes qui travaillent entre eux. J’ai beaucoup lu de littératures, mais j’ai aussi beaucoup lu de philosophies. Tout simplement parce que j’estime que c’est la discipline sœur de la littérature et que les grandes questions qui font les grands romans sont d’abord des questions existentielles avec une déclinaison philosophique. Et c’est pour cela que j’ai aussi lu énormément de philosophies. Je pourrais aussi les citer comme ça pêle-mêle, ça ne dira rien du temps que j’ai passé avec les livres.
ARI – Alors la littérature sur le Génocide. Est-ce que vous êtes informés sur la littérature sur le Génocide au Rwanda.
MMS – Oui.
ARI – Il y a des ouvrages que vous avez lus ?
MMS – Oui. Beaucoup. Je parlais tout à l’heure de Boubacar Boris Diop «Murambi. Le livre des ossements ». C’est un grand texte que j’ai lu. Çà a été mon premier grand texte que j’ai lu sur la question du Génocide. Mais aussi j’ai lu un certain nombre d’autres livres des gens qui sont très connus comme Scholastique Mukasonga. Mais avant Scholastique Mukasonga, Gilbert Gatore avait écrit un très bon roman « Le passé devant soi ». Mais également les auteurs d’aujourd’hui quand je pense à Béata Umubyeyi Mairesse, à Dominique Félis, quand je pense évidemment aux œuvres de Carole Karemera, à Dorcy Rugamba. A la manière dont ils tournent autour de cette question-là, dont ils déclinent cette question-là dans leur travail. Oui j’ai été, j’ai lu un certain nombre de textes dessus. Abdourahman Waberi était là tout à l’heure « Moisson de crânes » un très très bon texte. Oui j’ai lu un certain nombre de textes sur ce Génocide-là.
ARI – Oui. Alors justement la souffrance extrême, indicible, les plus grands crimes comme le Génocide, et même les violences comme ce qui est en train de se passer en RDC. Vous trouvez l’idéologie de la haine qui est répandue. Vous trouvez un homme qui ameute des gens, vous avez mille personnes qui courent derrière une victime congolaise rwandophone tutsi et puis tout d’un coup on l’attrape, on le brûle, on le dépèce et on le mange publiquement. Cannibalisme tropical. Il y a des gens qui ont prêché publiquement de telles choses. En public. On est en train de faire une enquête pour qu’on essaye de démanteler de tels réseaux. Et comme écrivain. Quand vous êtes en face d’un pays qui exhume de telles barbaries, de tels démons, l’impression que ça vous fait ? Au niveau de vos réactions pour combattre le mal ?
MMS – Comme tout le monde, c’est une impression de sidération. On se demande comment on en est arrivé là. Pourquoi est-ce qu’on fait ça? Quelle est, et où est notre humanité? Où est notre fraternité? Et ce sont de grandes questions que je me pose. Et devant ces questions-là, je n’ai aucune réponse. La grande chose avec la violence, c’est qu’elle vous ôte toujours les mots. Elle vous ôte toujours la capacité même à la rationaliser. C’est quelque chose qui déborde totalement la raison. Et on peut essayer bien sûr d’en voir l’archéologie, de voir les constructions historiques, qu’est-ce qui fait ? Qu’est ce qui explique certains conflits ? Historiquement, comment en est-on arrivé là ? Mais ça n’explique jamais pourquoi à un moment donné, un homme saisit je ne sais pas une arme et puis l’abat sur un autre homme qui est supposé être son frère humain. Je veux dire : Ça, rien ne l’explique, rien ne le justifie. Et comme écrivain, je suis toujours affolé. Et complètement dépassé, fasciné un peu, mais dans le mauvais sens du terme, sidéré, disons par la violence. Et c’est tout le travail de l’écriture d’arriver, d’essayer de chercher, de trouver des mots pour la dire. Des mots qui sont tantôt crûs, tantôt poétiques, tantôt symboliques, mais pour tenter de circonscrire cette chose qu’on ne comprend pas, et qui est très violente, et qui évidemment fait de la peine. La question du mal, du mal métaphysique je vais dire, est quelque chose qui traverse tous mes romans. Et je pense que c’est une grande question de la littérature et de la philosophie. Le mal, comment le représenter, comment l’expliquer ? Et comment faire en sorte que, est-ce que le mal est consubstantiel à l’homme ? C’est une vieille question philosophique. Personne ne le sait, est-ce que nous naissons avec le mal en nous ? Est-ce que nous sommes capables de le combattre, par exemple, je ne sais pas, la volonté : Est-ce que nous sommes capables de le dépasser par le recul, la critique, le pardon ? Tout un ensemble de grandes questions auxquelles je n’ai pas la prétention de répondre ici et maintenant. Mais dans les romans, j’essaye de mettre en scène des situations où des hommes réagissent à la question de la violence et du mal.
ARI – Alors votre livre. Essayez de le présenter au public rwandais et de la région de façon qu’il puisse comprendre, qu’il puisse être intéressé. Essaye de leur donner l’histoire, la trame du récit, les grands thèmes abordés. Qu’est-ce qui le rend plus attrayant.
MMS – Alors mon roman « La Plus Secrète Mémoire des Hommes » est menée par un jeune écrivain sénégalais Diégane Latyr Faye, c’est son nom, qui en 2018 découvre un manuscrit ancien qui a été perdu parce que c’est un manuscrit qui a été publié en 1938, mais qui a fait scandale à l’époque et qui avait été complétement oublié. L’auteur de ce manuscrit s’appelle Elimane. C’est un écrivain africain qui a aussi disparu après ce seul manuscrit. Et donc, c’est comme ça que l’histoire commence par la découverte de ce livre que Diégane Latyr Faye découvre par hasard. Et c’est aussi l’histoire de cet écrivain. Et donc, tout le roman est le récit de l’enquête que Diégane Latyr Faye effectue pour retrouver cet écrivain, pour savoir ce qui lui est arrivé, et pour savoir finalement pourquoi il a disparu. Où est-ce qu’il a disparu ? Est-ce qu’il est toujours vivant ? Est-ce qu’il a écrit autre chose ? Et voilà. C’est tout un ensemble de questions. Et pour répondre à ces questions, Diégane Latyr Faye enquête, rencontre des gens, découvre que cette enquête le mène sur trois continents en Afrique, en Europe, en Amérique latine. Et le roman est le récit de ce déplacement-là à travers le temps, à travers aussi un espace, à travers plusieurs témoignages des personnages qui ont été plusieurs proches de cet écrivain légendaire qui a disparu. Et donc, Diégane Latyr Faye mène son enquête et le roman est l’histoire de cette enquête fictive. Au fond, c’est un roman sur le désir de littérature, sur la quête de la littérature, sur la quête de la passion littéraire et sur la manière dont on essaye quel que soit l’endroit d’où on vient, quelle que soit notre couleur de peau. Vous trouvez une signification et une valeur à notre existence. Et donc, c’est un roman à la fois qui est une quête littéraire et un conte philosophique. Eh, un roman d’aventure, un roman de voyages, et voilà. Et ça se passe dans… C’est ouvert.
ARI – Trois continents. Ah, c’est très bon.