“Toute maladie est causée par un empoisonnement ou un acte de sorcellerie”, croit la plupart des paysans du district de Kirehe à l’est du Rwanda, non loin de la frontière avec la Tanzanie, constate le maire, Murayire. C’est pourquoi, avant de consulter un agent de santé, les paysans se confient toujours aux féticheurs et aux herboristes jusqu’à ce que leurs maladies s’aggravent. “Les maladies même faciles à traiter comme les verminoses, la malaria, les maux de tête, sont toujours examinées par les féticheurs, alors que leur compétence est toujours mise en cause”, critique le maire qui montre du doigt certains lettrés, eux aussi tentés par la sorcellerie, pourtant ruineuse et parfois mortelle.
À l’hôpital de Kirehe, des pathologies graves illustrent la force de la sorcellerie dans la conscience des gens, malgré la facilité d’accès aux soins médicaux grâce aux mutuelles de santé. Ainsi, des enfants arrivent dans les centres nutritionnels, non parce qu’ils ne mangent pas assez mais parce qu’ils ont vu des guérisseurs qui les ont fait vomir, soi-disant pour recracher le poison, prétendument administré par des malfaiteurs. “Les parents nous amènent des enfants mourants, à qui on a administré des substances toxiques sauvages. Ces enfants perdent toutes leurs réserves énergétiques et protéiniques et tombent dans un état critique de malnutrition sévère”, tempête ce groupe d’infirmiers de l’hôpital estimant qu’aucun enfant de la circonscription de Kirehe ne devrait souffrir de kwashiorkor. “La zone est suffisamment riche en céréales, en légumes et en poissons. Curieusement, ce sont principalement les paysans riverains de l’Akanyaru et les pêcheurs qui ont le plus d’enfants atteints de kwashiorkor à cause de la sorcellerie qu’ils partagent avec leurs voisins tanzaniens de l’autre rive”, remarquent ces infirmiers.
Les paysans escroqués
“Dans cette course du féticheur au médecin, ce sont toujours ces paysans qui perdent leur temps, payent cher les féticheurs et en plus les coûts d’hébergement à l’hôpital, bien qu’ils soient allégés par les mutuelles de santé”, regrette un mobilisateur de santé dans le district de Kirehe. Il donne l’exemple d’une femme du secteur administratif de Mpanga, Est, qui a vendu une partie de son champ et ses deux chèvres à 95 000 Frw (167 $) pour guérir son gamin, soi-disant empoisonné par sa rivale, chez un féticheur, alors qu’il ne souffrait que de verminoses et de la malaria. “Après la guérison de son enfant à l’hôpital, ajoute-t-il, Godelive a juré qu’elle renonçait complètement au fétichisme.”
“La sorcellerie est fondée sur la croyance en une force surnaturelle, mais il est indispensable de relever ses mérites et ses limites pour saisir davantage sa justification dans les mœurs de gens”, explique Déogratias Mbonyinkebe, docteur en sociologie et professeur à l’Université Libre de Kigali (ULK). Les gens trouvent en la sorcellerie, une réponse pour apaiser leurs souffrances quand ils sont atteints de maladies incurables, notamment de tous ceux qui y croient, mais aussi, un moyen pour les pauvres de se soigner. Selon lui, cependant, beaucoup de guérisseurs sont des escrocs. “Ils s’autoproclament toujours guérisseurs de toutes les maladies et usent d’escroquerie en vue de gagner beaucoup d’argent. Ils posent aussi des conditions difficiles comme avoir des rapports sexuels avec leurs clientes pour une guérison totale et effective”, condamne D. Mbonyinkebe. “Les victimes de la sorcellerie, constate-t-il, sont principalement les gens qui n’ont pas de discernement, ceux qui sont ignorants.’
Entretenir la suspicion
De nombreuses personnes, qui ne se sentent pas en sécurité dans leur milieu, continuent malgré tout à faire confiance aux féticheurs. “Les gens pensent toujours que toute maladie est causée par un empoisonnement, et ce sont les voisins les plus proches qui sont les premiers à être soupçonnés d’en être les auteurs”, argue TR, enseignante à Nyamirambo, Kigali. Elle incrimine les féticheurs comme étant des propagateurs de la haine entre les familles, afin que leur métier perdure. Cet historien insiste lui sur le comportement de gens qui sont toujours sur leur garde et ne font confiance à personne, de peur d’être ensorcelés ou empoisonnés : “La sorcellerie a toujours existé dans la tradition rwandaise. Elle est cause des discordes et haines entre familles et individus.”
“A cela s’ajoute la tradition qui donne du poids à la parole, surtout terrifiante, prononcée par un féticheur ou voyant”, remarque un juriste qui dénombre 11 dossiers d’empoisonnement sur les 20 reçus à son cabinet d’avocat de Muhanga, centre du pays, pour ces deux mois écoulés. Moïse Ngendahayo, gestionnaire des données statistiques au centre de santé de Gitega, Kigali, cite un agent d’une Ong américaine d’appui à la santé, mort récemment du sida, pour avoir, sur les conseils de son féticheur, refusé de prendre des antirétroviraux. “La croyance en la sorcellerie est bien soudée dans la pensée des Rwandais, conclut-il. Même pour les intellectuels.”