Les policiers ayant tiré sur des réfugiés congolais qui manifestaient contre la réduction des allocations leur permettant de vivre et des aides qu’ils recevaient doivent faire l’objet d’une enquête et rendre des comptes, a déclaré Amnesty International(AI) un an après qu’au moins 11 réfugiés ont été tués dans la ville de Karongi et dans le camp de réfugiés de Kiziba, dans l’ouest du Rwanda.
Amnesty International déplore le fait qu’aucune enquête officielle n’ait encore rendu ses conclusions publiques sur l’homicide de ces manifestants ; en revanche, au moins 63 réfugiés sont visés par des accusations liées aux manifestations, allant d’«organisation et participation à des manifestations illégales» à «répandre des informations fausses avec l’intention de provoquer une opinion internationale hostile à l’État rwandais». Ils sont également inculpés de «violence contre les autorités publiques».
«Au lieu d’accuser les réfugiés de ternir l’image du Rwanda, les autorités devraient enquêter afin d’établir comment 11 réfugiés ont pu perdre la vie lors d’une manifestation au cours de laquelle le maintien de l’ordre était assuré par la police et amener les responsables de ces homicides à rendre des comptes», a déclaré Sarah Jackson, directrice adjointe du bureau régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est, la Corne de l’Afrique et la région des Grands Lacs.
Dans une nouvelle synthèse intitulée Rwanda. Enquêter sur les homicides des réfugiés, Amnesty International condamne l’absence d’enquête sur la conduite des policiers ayant fait usage de la force létale contre les réfugiés qui manifestaient devant le bureau de terrain du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à Karongi et au camp de réfugiés de Kiziba, le 22 février 2018.
Le 20 février, des centaines de réfugiés congolais ont parcouru à pied 15 km depuis le camp de réfugiés de Kiziba pour protester contre la diminution des aides que leur fournissait le HCR, et réclamer d’être rapatriés en République démocratique du Congo (RDC) ou réinstallés dans un autre pays.
Alors que la police, des représentants du gouvernement local et le HCR leur ont demandé de retourner au camp, les réfugiés sont restés sur place pendant trois jours. Le 22 février, des policiers ont tiré des gaz lacrymogènes et ouvert le feu sur la foule, faisant huit morts et des blessés parmi les réfugiés. D’après le HCR, trois autres réfugiés manifestants sont morts au camp ce jour-là sous les tirs des policiers.
D’après des policiers, des réfugiés ont commencé à agir de manière violente, blessant sept d’entre eux. Un témoin a raconté à Amnesty International que certains manifestants ont en effet lancé des pierres, mais uniquement pour se protéger lorsque la police a tiré des gaz lacrymogènes.
D’après les déclarations d’organes gouvernementaux rwandais et de la Commission nationale des droits de la personne, la priorité biaisée a été accordée au fait d’enquêter sur la participation des réfugiés aux manifestations et non sur les actes de la police ayant causé des morts et des blessés.
Des réfugiés arrêtés
Vingt-et-un réfugiés ont été arrêtés après que la police a dispersé la manifestation, tout d’abord en se servant de gaz lacrymogènes, puis peu après en ouvrant le feu sur la foule. Deux autres ont été interpellés le mois suivant.
En avril, la police a alors monté une opération de sécurité dans le camp de réfugiés, déployant de nombreux policiers dans le camp de Kiziba et aux alentours afin de maîtriser les tensions croissantes, selon le ministère rwandais de la Gestion des catastrophes et des réfugiés.
Le 30 avril, des affrontements ont éclaté entre des jeunes du camp et des policiers, qui ont de nouveau tiré des gaz lacrymogènes. Un mineur a été blessé et a dû être hospitalisé.
D’autres affrontements ont eu lieu le 1er mai, faisant 14 blessés parmi les réfugiés; l’un d’entre eux est décédé à son arrivée à l’hôpital local. Le même jour, 30 réfugiés ont été interpellés tandis que 12 autres étaient arrêtés courant du mois de mai: au total, 65 réfugiés ont donc été interpellés.
Deux d’entre eux ont par la suite été libérés et un autre a été inculpé de diffusion d’« informations fausses avec l’intention de provoquer une opinion internationale hostile à l’État rwandais, incitation au soulèvement ou aux troubles de la population, et des manifestations ou réunions publiques illégales». Les autres sont inculpés de diverses accusations.
Selon cette organisation internationale de défense des droits humains basée à Londres, il est contraire au droit international de porter des accusations pénales contre les réfugiés pour avoir organisé des manifestations et y avoir pris part, ce qui n’est pas le cas pour des accusations de participation à des actes violents, lorsqu’il existe des éléments de preuve substantiels. Chacun a le droit de jouir de la liberté d’expression et de réunion pacifique.
«Les autorités rwandaises ont arrêté et poursuivi des réfugiés pour avoir exprimé leur mécontentement à l’égard de leurs conditions de vie, tandis que les policiers qui ont tiré sur les manifestants sont libres de circuler, sans avoir à rendre de comptes pour leurs actions mortelles. Il importe de rectifier sans attendre cette parodie de justice», a déclaré Sarah Jackson.
Enquêter sur l’usage de la force létale par la police
Amnesty International exhorte les autorités rwandaises à diligenter une enquête indépendante et impartiale sur la légalité de la conduite de la police, concernant l’usage d’une force inutile et excessive pour disperser les manifestations.
Cette enquête devra établir si l’usage de la force était nécessaire et proportionné, conformément aux obligations qui incombent au Rwanda en termes de droits humains.
Pendant ces investigations, les responsables concernés doivent être suspendus de leurs fonctions et, s’il existe suffisamment de preuves recevables, tous les auteurs présumés des faits doivent être traduits en justice dans le cadre de procès équitables.
«Que la police ait tiré au hasard sur une foule de manifestants juste après les avoir noyés sous les gaz lacrymogènes est totalement inexcusable. La police rwandaise doit être très claire sur le fait que l’usage de la force létale est réservé aux cas de menace immédiate de mort ou de blessure grave », a déclaré Sarah Jackson.
Afin de prévenir l’usage illégal de la force s’agissant de maintenir l’ordre face à des manifestants et des foules, Amnesty International demande aux autorités rwandaises de réviser de toute urgence leurs directives relatives à l’usage de la force et des armes à feu lors des rassemblements publics, et les aligner sur les normes internationalement reconnues en la matière. (Fin)