Les rescapés du génocide saluent la condamnation à 20 ans de prison en France de Laurent Bucyibaruta, l’ancien Préfet de Gikongoro au Sud du Rwanda.
« Ibuka France se félicite de la tenue de ce procès. Poursuivre et juger les criminels permet de reconnaître la qualité de victimes aux rescapés et d’entendre leur souffrance », se réjouit dans un communiqué l’association Ibuka France dédiée au “soutien aux rescapés” et à la “mémoire” du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994.
« Cela permet aussi de lutter contre l’impunité des responsables, une impunité qui, au Rwanda, en 1959, 1963 et 1973 s’est toujours traduite en message d’encouragement. Ce qui a abouti au génocide contre les Tutsi en 1994. Ne pas juger les criminels c’est trahir les victimes et l’Humanité toute entière », poursuit Ibuka France.
Le 30 mai 2000, Laurent Bucyibaruta est interpellé et mis en examen par le Bureau du Procureur de la ville de Troyes. Un peu moins de 22 ans après, le 9 mai 2022, son procès s’ouvre enfin devant la Cour d’Assises de Paris. Après un procès de plus de deux mois, le 12 juillet 2022 à 20h30, la Cour présidée par Jean-Marc Lavergne, assisté de trois juges assesseurs, dont un suppléant et de huit jurés, dont deux suppléants, le verdict tombe. Laurent Bucyibaruta est condamné à 20 ans de réclusion criminelle.
Ibuka France s’était constituée Partie Civile dans ce procès aux côtés de sept associations (le CPCR, la LICRA, la CRF, la FIDH, la LDH et Survie) et d’une soixantaine de personnes physiques.
Après Pascal Simbikangwa en 2014, Tito Barahira, Octavien Ngenzi (dans une affaire jointe) en 2016 et Claude Muhayimana en décembre 2021, Laurent Bucyibaruta est le quatrième ressortissant rwandais à être jugé en France pour sa participation au génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda durant les mois d’avril à juillet 1994. C’est la plus haute autorité administrative à avoir été jugée en France.
Alors préfet de la préfecture de Gikongoro dans le Sud du Rwanda, Monsieur Bucyibaruta était accusé notamment d’avoir ordonné et organisé le rassemblement des réfugiés tutsi de sa préfecture dans des lieux stratégiques, permettant ainsi de faciliter leur massacre. Il a finalement été renvoyé devant les Assises de Paris le 21 avril 2021 pour génocide, crime contre l’Humanité, complicité de génocide et complicité de crime contre l’Humanité. Les treize membres de la Cour d’Assises de l’île de la Cité ont entendu plus d’une centaine de témoins et d’experts, certains venus depuis le Rwanda, d’autres auditionnés en visioconférence.
Au total, ce sont sept scènes de crimes qui ont été détaillées par les survivants et étudiées par la Cour : les attaques contre les réfugiés tutsi de la paroisse de Kibeho entre le 11 et le 15 avril 1994, l’attaque contre les réfugiés sur le site de l’Ecole Technique Officielle de Murambi le 21 avril, l’assaut sur les réfugiés de la paroisse de Cyanika ce même jour, le massacre des réfugiés rassemblés à la paroisse de Kaduha toujours le 21 avril, l’attaque des élèves tutsi de l’école Marie-Merci de Kibeho le 7 mai, les exécutions dans la prison et le camp de gendarmerie de Gikongoro et enfin les crimes commis par les miliciens Interahamwe ou des civils dans la préfecture de Gikongoro, notamment aux barrières.
Ce 12 juillet, les membres de la Cour ont dû répondre à plus de quarante questions principales et une quinzaine de questions subsidiaires afin de déterminer si l’accusé s’est rendu coupable de crimes contre l’humanité ou de crime de génocide et, si oui, s’il est complice ou auteur principal. Enfin, une fois cette responsabilité déterminée, ils ont dû analyser si l’accusé avait agi sous contrainte, élément qui viendrait caractériser son irresponsabilité pénale.
Le Parquet avait, lors de ses réquisitions le vendredi 8 juillet dernier, réclamé la réclusion à perpétuité pour l’accusé, retenant qu’il doit être considéré comme auteur principal de crime de génocide pour avoir fait commettre les massacres à Murambi, Cyanika, Kaduha, à l’école Marie-Merci de Kibeho et aux barrières ; complice par aide ou assistance de génocide pour les faits commis à la paroisse de Kibeho ; complice par aide ou assistance de crimes contre l’Humanité pour tous les faits mentionnés précédemment. Les avocates générales avaient cependant demandé l’acquittement de Monsieur Bucyibaruta pour les exécutions à la prison de Gikongoro, considérant que le doute qui persiste sur l’implication des autorités civiles pour ces faits ne permet pas de retenir une condamnation.
Le 12 juillet, à 20h30, après 11 heures de délibération, l’audience s’est rouverte et le Président Lavergne présente la décision de la Cour : Laurent Bucyibaruta est déclaré coupable pour les sites de Murambi, Cyanika, Kaduha, à l’école Marie-Merci de Kibeho et pour les massacres commis aux barrières comme complice de génocide et de crimes contre l’Humanité. Il est cependant acquitté comme auteur principal pour ces mêmes faits. Aussi, il est acquitté entièrement comme auteur et complice de génocide et de crimes contre l’Humanité pour les faits commis à la prison de Gikongoro et à la paroisse de Kibeho, les circonstances ne permettant pas de considérer une implication quelconque. Enfin, la Cour a rejeté la cause d’irresponsabilité pénale. L’ancien préfet est donc finalement placé en détention ce jour dès 20h45 à la levée de l’audience. (Fin).