Dans une lettre ouverte, la Communauté Rwandaise du Canada demande au Premier Ministre canadien Justin Trudeau de soutenir le processus de paix en RDC. L’appel est lancé dans un contexte d’escalade des tensions entre le Rwanda et la RDC au sujet d’accusations réciproques liées à la lutte entre l’armée congolaise (FARDC) et le groupe rebelle M23.
Les FARDC continuent de perdre des bases au profit du groupe rebelle M23 et attribuent la force du M23 au soutien présumé du Rwanda. Le Rwanda a cependant démenti ces allégations. Il a dit à plusieurs reprises que les affrontements entre les FARDC et le M23 est un problème interne qui devrait être résolu par la RDC.
Le Président de la RDC, Félix Tshisekedi, a récemment révélé au sens figuré qu’il était temps de faire la guerre au Rwanda après avoir élucidé que le processus diplomatique n’était plus une option prometteuse pour rétablir la paix dans l’est de son pays.
La lettre envoyée au Premier Ministre du Canada indique que la communauté rwandaise au Canada est gravement préoccupée par la détérioration de la situation sécuritaire dans l’est de la RDC et sa manifestation par le discours de haine et l’idéologie génocidaire qui se répandent contre les Rwandais et les Congolais d’expression rwandaise, surtout les Tutsi, tant en RDC qu’au Canada.
Ci-dessous la lettre
À : Le Très Honorable Justin Trudeau, Premier Ministre du Canada.
Appel au gouvernement du Canada pour soutenir le processus de paix en RDC
Cher Premier Ministre :
La Communauté Rwandaise du Canada est préoccupée par la détérioration de la situation en matière de sécurité dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) et sa manifestation à travers les discours de haine et idéologie génocidaire qui se répand dans les communautés rwandaises et congolaise tant en Afrique qu’ici au Canada. Nous exhortons fortement le gouvernement du Canada de s’engager à stabiliser la situation dans l’Est de la RDC et de faire taire des activités et incitations qui créent des tensions au sein des communautés immigrantes de ces régions et qui se sont établies au Canada.
Il existe des lois sur les discours haineux au Canada et nous notons qu’elles n’ont pas été toujours respectées. Par exemple, une personnalité publique congolaise du nom de Martin Fayulu a tenu une conférence à Montréal, le 2 octobre 2022, où il a prononcé un discours toxique; rhétorique contre le Rwanda et les rwandophones. Au cours de son allocution, un membre du public inspiré par ce discours a déclaré que le Rwanda est dirigé par des Nazis ! De tels messages de haine sont diffusés sur les réseaux sociaux, appelant à tuer des Rwandais, notamment les Tutsis. Dans l’Est de la République démocratique du Congo qui compte des peuples rwandophones, un sentiment anti-rwandais qui sévit au sein de l’opinion publique, dans la société civile et dans le gouvernement de la RDC ne peut rien faire pour réprimer de telles incitations toxiques.
Très Honorable, Premier Ministre, nous aimerions porter à votre attention et faire comprendre au public canadien les enjeux fondamentaux du conflit dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) car nous pensons que tant que ces problèmes ne seront pas abordés et résolus, la paix durable ne pourra jamais être rétablie dans la région. Le conflit dans l’Est de la RDC a dans ses racines trois fondamentaux problèmes :
Le droit des « rwandophones » congolais (congolais d’héritage culturelle rwandaise) d’être pleinement acceptés comme citoyens à part entière avec tous les droits des autres Congolais.
• L’insécurité est causée par les génocidaires FDLR (Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda), groupe rebelle, et plus d’une centaine d’autres groupes négatifs armés, dans la région de l’Est de la RDC.
• Le manque de la volonté politique de la part du gouvernement de la RDC pour mettre en œuvre les processus de paix et les accords qui ont déjà été parrainés par les gouvernements régionaux, les Nations Unies, l’Union Africaine et d’autres organismes régionales telles que la CIRGL et la Communauté de l’Afrique de l’Est, pour aborder les questions politiques et l’insécurité en RDC et dans la région.
En effet, depuis son indépendance en 1960, différentes administrations de la République Démocratique du Congo ont pris des positions contradictoires sur le statut des communautés Rwandophones de leur pays. Sous Mobutu Sese Seko qui fut président de 1965 à 1997, les communautés Rwandophones ont été pleinement acceptées dans la constitution en tant que citoyens Congolais, et furent autorisées à participer à toutes les affaires de l’État. Plus tard, cependant, surtout après les années 1994, le statut des Congolais rwandophones, en particulier ceux identifiés comme tutsis, est devenu moins significatif. Les Congolais rwandophones ont commencé à être victimes de la politique en cours et des circonstances existantes. Au Rwanda, un régime génocidaire venait d’être vaincu et les auteurs venaient de traverser vers l’Est de la RDC. Déjà, ils campaient à moins de 20 kilomètres de la frontière rwandaise. De plus, ils avaient créé un groupe rebelle actuellement connu sous son acronyme de FDRL (Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda) et avaient mis sur pied une stratégie de réarmement avec intention de déstabiliser le Rwanda. Ils ciblaient la population locale, en particulier les communautés tutsies de l’Est de la RDC, forçant ainsi des dizaines de milliers de personnes à fuir vers le Rwanda et d’autres pays. Aujourd’hui, le Rwanda compte plus de 50 000 de ces réfugiés congolais depuis 1996, conséquence directe de l’instabilité dans l’est de la RDC, provoquée par ces forces génocidaires.
Le groupe rebelle au nom du code M23 (Mars, le 23), est né pour donner suite à l’échec du gouvernement de la RDC à mettre en œuvre les accords antérieurs destinés principalement à défendre et à protéger les droits des Rwandophones congolais, et de créer un environnement propice pour permettre le rapatriement des réfugiés congolais vers leurs terres et biens dans l’Est de la RDC. En décembre 2013, le gouvernement de la RDC et le M23 ont signé un accord pour mettre fin au conflit, mais il n’a jamais été mis en œuvre en raison du manque de volonté politique du gouvernement de la RDC. Depuis la reprise des hostilités en juin 2022, le groupe rebelle M23 a cherché à négocier avec le gouvernement de la RDC pour un règlement politique, et la réponse du gouvernement de la RDC a simplement fait du Rwanda un bouc émissaire, alléguant que ce dernier soutient la rébellion; une accusation que le Rwanda a toujours niée. Depuis lors, grâce aux efforts régionaux, le processus de paix de Nairobi a été adopté pour traiter avec tous les acteurs non étatiques de l’Est de la RDC, et la feuille de route de Luanda a été adoptée pour désamorcer les tensions entre le Rwanda et la RDC.
Pour des raisons de principe et de clarté, il convient de préciser qu’en fait, il n’est pas au gouvernement de la RDC de décider de la légitimité citoyenne des Rwandophones de la RDC. Lors de la répartition de l’Afrique pendant la Conférence de Berlin en 1884-1885, ces communautés vivaient déjà sur leurs terres qui se sont finalement retrouvées en RDC. Ainsi, à moins que le gouvernement de la RDC ne veuille suggérer une révision des frontières internationales, les Rwandophones congolais ont un droit légitime et indestructible de rester citoyen congolais quel que soit le régime au pouvoir. Le gouvernement de la RDC doit faire preuve de diligence et de traiter tous ses citoyens sans discrimination fondée sur l’origine ethnique.
Pour instaurer une paix durable dans l’Est de la RDC, l’une des plus importantes conditions est d’éradiquer définitivement le problème des génocidaires FDLR (Forces Démocratiques pour la libération du Rwanda) et d’autres forces négatives nationales et étrangères opérant en RDC. La communauté internationale a peu fait pour résoudre ce problème. La Mission de paix des Nations Unies, la MONUSCO, qui compte plus de 20 000 hommes forts avec un grand budget est dans l’Est de la RDC depuis plus de 20 ans. Elle n’a pas réussi à éradiquer ces groupes rebelles. En fait, le gouvernement de la RDC a, pour sa part, recruté des rebelles-membres des FDLR au sein de ses propres forces armées, pour tenter de vaincre le M23. Ce fait a été récemment documenté par Human Rights Watch (HRW). De la sorte, le gouvernement de la RDC ne peut pas gagner sur les deux tableaux ; combattre les rebelles tout en recrutant les rebelles dans ses propres rangs !
Derrière le gâchis dans l’Est de la RDC se trouve aussi l’existence de plus d’une centaine d’autres groupes armés irréguliers qui parcourent les andains sans reconnaissance, sauf pour piller les ressources de cette riche région. Parfois, les dirigeants locaux et les responsables militaires sont de connivence avec ces groupes rebelles pour partager leurs exploits. La corruption et l’indiscipline règnent au sein des agents de la sécurité dans ce pays.
Nous supplions instamment le gouvernement canadien d’user de son pouvoir et de son influence pour soutenir les processus de paix de Nairobi et de Luanda dans le but d’aider à faire pression pour une paix durable dans l’Est de la République Démocratique du Congo et la sous-Région. Le gouvernement de la RDC doit être persuadé de prendre ses propres responsabilités, au lieu de rejeter les responsabilités de ses propres échecs sur les pays voisins, notamment le Rwanda.
Nous exhortons également le gouvernement canadien à surveiller et à stopper la propagation des discours de haine au Canada par les parties prenantes au conflit en RDC car ces discours peuvent conduire à des tensions et des polarisations au sein des communautés rwandaises et congolaises vivant au Canada.
Cordialement,
Alain Patrick Ndengera, Président de la Communauté Rwandaise du Canada.